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Tribune

Être directeur des ressources humaines aujourd’hui

La fonction de DRH fait l’objet d’une controverse croissante. On l’a vu cette année avec la sortie du film Corporate et plus récemment l’ouverture d’une "chasse aux DRH" à l’occasion d’un congrès à Paris. Cette controverse est vraisemblablement alimentée, certes par quelques mauvais exemples, mais surtout par des représentations de ce métier et une méconnaissance de son évolution.

Par Jérôme Friteau (Directeur des Ressources Humaines Cnav)

Publié le 26 nov. 2017 à 11:17

Le monde de l'entreprise, dans son acception la plus large, est aujourd'hui en pleine mutation. Économie française au ralenti depuis des décennies, renouvellement générationnel, voire choc générationnel diront certains, transformation digitale, développement d'une économie collaborative et son pendant, l'inquiétante "uberisation"... Ce contexte de mutation encourage les dirigeants, de structures publiques ou privées, à renforcer leur attention sur la personne, et c'est plutôt rassurant. La fonction RH, si elle semble l'outil tout désigné pour accompagner les salariés vers de nouveaux repères et les dirigeants à intégrer de nouveaux paradigmes, est controversée. Certains la perçoivent encore comme un outil de gestion administrative du personnel, d'autres souhaitent qu'elle reste dans ce rôle. Certains lui confèrent un rôle stratégique majeur en soutien de la direction générale, en charge du premier actif de l'entreprise. D'autres la voient comme toute fonction support, qui intervient en aval des transformations décidées par les directions métiers. Mais la plupart souhaitent ou observent la transformation de la DRH au regard des enjeux de l'entreprise.

Je suis encore en phase découverte de la fonction de DRH après 4 ans d'exercice, dans un service public assuré par un organisme de 3 500 salariés. Je ne suis pas originaire de la "filière RH", à l'instar d'une part croissante de DRH issus de directions opérationnelles. Sans prétendre détenir une quelconque vérité, j'identifie aujourd’hui pour un DRH de structure de taille importante, quelques challenges ou "terrains de jeu" prioritaires... Un DRH avant tout manager : cela peut sembler une évidence, mais la fonction RH est plurielle et composée d'expertises pointues. Développer une politique RH cohérente impose une pleine appropriation (j'irais jusqu'à dire adhésion) par tous les acteurs de la fonction. Pour la plupart, ils incarnent la DRH au quotidien auprès des clients internes. Les compétences managériales sont ainsi particulièrement sollicitées par un DRH dont la réussite ne peut être individuelle.

Par ailleurs, la posture de conseil aux managers, l'accompagnement du changement, le déploiement d'une démarche d'amélioration de la QVT requièrent une certaine exemplarité auprès de ses propres collaborateurs. Le besoin de démonstration d'efficacité par l'exemple devient particulièrement prégnant aujourd'hui. Un équilibre à trouver entre "business partner" et relais des attentes des salariés. L'agilité dans l'entreprise, terme très actuel, est souvent perçue par les cadres dirigeants comme la capacité de l'entreprise à se transformer rapidement. La performance du DRH devient peu à peu proportionnelle au délai de conduite d'une transformation à fort impact organisationnel. L'agilité vue par les salariés est plus difficile à atteindre, mais plus intéressante. Elle est davantage perçue comme la capacité d'une organisation à remettre en cause ses schémas informationnels et décisionnels, à réduire le nombre d’interactions entre les hommes à travers des modèles hiérarchiques classiques. Nous vivons actuellement le passage de l’entreprise pyramidale à l’entreprise en réseau.

Le DRH doit accompagner les managers de l'entreprise dans ces évolutions et conduire, avec eux, dans une démarche collaborative, des transformations managériales. La plus significative et sans doute la plus débattue, y compris au sein d'un comité de direction, est selon moi le passage d’un système du contrôle a priori, base des pratiques actuelles, à un système basé sur la confiance donnée a priori et contrôlée a posteriori. Seule cette transformation permettra véritablement de rendre attractif le monde de l'entreprise auprès des salariés des générations en cours d'intégration (Y et bientôt Z), fascinées par la création d'entreprises et l'autonomie qu'elle confère. Le parfait exemple est le développement du télétravail dans les organisations. Le travail à distance nécessite par essence une réelle confiance en nos collaborateurs. Il nous entraîne inéluctablement à passer d'un management du temps de travail à un management par objectifs, à condition bien sûr qu'ils soient source de motivation.

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La capacité de l'entreprise à s'adapter en permanence aux mutations de son environnement et à innover passe selon moi par la capacité des dirigeants à accorder leur confiance, à accorder de l'autonomie et donc à lâcher prise sur les décisions pour lesquelles ils n'ont pas de valeur ajoutée. L'automatisation de process définis par le pouvoir central, qui a permis hier de réels gains en matière de qualité et de productivité dans les activités de production, jusqu'à être utilisée dans le domaine des services et notamment les services publics, crée aujourd'hui une contradiction forte. Un pilotage toujours plus centralisé et une surproduction de normes, déclinés par des managers gestionnaires, chargés de reporting et de supervision, s'opposent aujourd'hui au besoin croissant d'autonomisation et d'un nouveau positionnement managérial. Il est aisé de constater que cette contradiction crée peu à peu une perte de sens. Aussi, le DRH doit tenter de démontrer que rendre ses lettres de noblesse au manager et accroître la performance sociale, qui intègre l'engagement des salariés, contribue à la performance économique de l'entreprise.

Je ne crois pas beaucoup au concept d'entreprise libérée, en tous cas pas dans tous les secteurs d'activité, mais je crois davantage à un management plus libéré, à condition d'accompagner ces managers dans ce mouvement, pour ne pas les plonger dans la difficulté. Le garant du sens : La vision stratégique de l'entreprise doit être cohérente avec son modèle social: modèle de management, modèle RH, modèle de gouvernance... La cohérence est une caractéristique du sens. Dans une stratégie globale, il existe nécessairement des contradictions, des adaptations, voire des corrections (le droit à l'erreur existe aussi pour les dirigeants !), mais il faut désormais pouvoir les expliquer en toute transparence. Donner du sens, c'est aussi faire participer les salariés aux réflexions, chacun à l'échelle de son équipe, de son périmètre d'activité, au moins dans un premier temps. Mais cette dimension participative est à double tranchant : il est nécessaire que le produit de l'intelligence collective soit réellement pris en considération par les décideurs. Le DRH peut se positionner comme un facilitateur dans ces opérations participatives. Il identifiera bien sûr aussi les besoins d'accompagnement des managers en termes de méthodes d'animation de l'intelligence collective. L'entreprise est aujourd'hui ouverte et transparente.

Les réseaux sociaux, notamment, bien plus désormais que les médias, l'exposent en permanence. C'est pour cela que l'on parle autant de marque employeur. Le DRH doit en permanence veiller à mesurer les résultats de sa politique RSE, de sa politique diversité, de sa politique handicap... tout en mesurant l'évolution du ressenti du salarié. Il prend la plupart du temps une bonne leçon d'humilité, mesurant le gap entre réalité mesurée et perception par les salariés. La communication des résultats est bien sûr importante, mais il faut se méfier de la notion de marketing RH, particulièrement lorsque la communication ne s'appuie pas sur des actions concrètes. La "matière RH" est déjà bien assez difficile à concrétiser !

Le gardien du lien : l'entreprise héberge désormais 3 générations de salariés. Même si chaque individu à sa personnalité, même si dessiner un portrait robot de chaque génération ferait courir le risque que personne ne s'y reconnaisse vraiment, chacune de ces générations (baby-boomers, génération X, génération Y) a clairement ses caractéristiques. Nous le mesurons au quotidien. Le digital crée de nouveaux usages du travail. Le DRH doit devenir le gardien des droits à la flexibilité sécurisée, à la confiance a priori et à la déconnexion. Il doit emmener toutes les générations vers ces nouveaux modèles, en capitalisant sur les apports de chacune. La génération des seniors actuels est précieuse, particulièrement dans des entreprises dont la pyramide des âges est déséquilibrée, pour la transmission des savoir-faire, ainsi que le transfert culturel qui fait l'identité de l'entreprise. La génération Y a une relation avec l'entreprise modifiée, une relation avec le hiérarchique révolutionnée. Nous observons des jeunes qui arrivent avec le numérique au bout de leurs doigts. Modèles de hiérarchie, d'organisation que cette génération reconnaît peu. Le DRH est aujourd'hui confronté à un enjeu de mentoring inversé. Le senior est sollicité pour le transfert de compétences, mais le junior arrive avec l'enjeu d'apprendre de l'entreprise, mais aussi de nous apprendre des choses. Un rôle déterminant dans la modernisation du dialogue social : la gestion des relations sociales est un rôle historique du DRH.

La préoccupation du dialogue social, souvent associée au rôle régalien et à la casquette de juriste du DRH, est souvent décrite comme désuète. Il est vrai que le taux de syndicalisation en France aujourd'hui à 11 %, à la traîne de l'Europe, n'est pas un facteur encourageant pour investir pleinement ce rôle. Je demeure pourtant pleinement convaincu du rôle déterminant des relations sociales dans l'entreprise pour améliorer la performance sociale. La condition est de conduire les organisations syndicales, en instaurant un rapport de confiance, à dépasser les jeux de posture. Il est alors possible de professionnaliser les instances représentatives du personnel, comité d'entreprise et CHSCT pour en faire de réels outils d'influence positive sur la conduite des transformations. Il est enfin tout à fait envisageable de conduire des négociations sociales permettant de réelles avancées.

Associer les partenaires sociaux dans l'élaboration de plans d'action QVT, dans les modalités de déploiement du travail à distance ou dans la définition du droit à la déconnexion par exemple me parait de nature à sécuriser le modèle social de l'entreprise, qui en constitue sa colonne vertébrale. Bien sûr, le dialogue social, dans son sens large, ne se résume plus aujourd'hui aux réunions avec les partenaires sociaux. De plus en plus, des groupes de salariés ou des individualités souhaitent interpeller directement la Direction. Le DRH doit encourager ces modes d'expression à mon sens, tout en préservant le rôle des représentants du personnel. Tchats, rencontres informelles, réseau social interne... le numérique facilite les échanges à distance et à chaque instant. L'enjeu reste de les animer, de les faire progresser sur le fond, de les encadrer, sans créer de sentiment de censure... C'est aussi le moyen pour le DRH de mesurer le climat social avec des indicateurs toujours plus nombreux, pour demeurer un partenaire privilégié de la direction générale.

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