3e scène, l’autre théâtre (virtuel) de l’Opéra de Paris

- Publié le 18 avril 2017 à 17:19
La "3e scène" de l'Opéra de Paris, riche de petits films accessibles gratuitement en ligne, entend compléter la programmation de Bastille et Garnier. Dans quel objectif, et avec quels résultats ?

Son nom est gravé sous le logo de la maison en lettres de même taille que celles indiquant ses piliers : ses deux théâtres. C’est dire l’ambition de la démarche, consacrée par le « manifeste » de ce nouveau terrain de jeu entièrement numérique : « Après le Palais Garnier en 1875 et l’Opéra Bastille en 1989, c’est sur ces terres-là, celles du digital, que l’Opéra national de Paris a décidé de bâtir sa 3e scène ». Lancée le 15 septembre 2015, c’est-à-dire au seuil du mandat de Stéphane Lissner, cette « plateforme digitale de création » (dont les fruits sont à goûter ici, mais aussi sur YouTube, Google Play, dans l’Apple Store…) permet un accès libre et gratuit à « des oeuvres originales proposant un regard inédit sur l’univers de l’opéra, de la musique, de la danse, sur notre patrimoine, sur l’architecture de nos deux théâtres et sur les métiers » de la maison, a précisé son directeur, soucieux de ne pas rater le « virage numérique ». Et de toucher de « nouvelles générations » et de « nouveaux spectateurs, en France et à l’étranger, via « une expérience artistique différente ». Et inédite, assurent ses concepteurs.

Depuis, l’équipe qui avait porté le projet à ses débuts a été renouvelée : le météorique directeur de la danse Benjamin Millepied a filé, le dramaturge Christian Longchamp aussi. Mais l’aventure s’en est relevée, et est revenue en deuxième saison… Confiée pendant un an au danseur et chorégraphe Dimitri Chamblas, la direction artistique est assumée depuis septembre dernier par Philippe Martin, le producteur des Films Pelléas (les objets visuels non identifiés de Philippe Béziat Pelléas, le chant des aveugles d’après Olivier Py, ou encore Traviata et nous avec Natalie Dessay, c’était lui). En tout, une bonne trentaine de films, sans compter la série de dix-sept « portraits d’étoile » laissée par Millepied en cadeau d’adieu, ont été développés et mis en ligne, germés dans l’esprit de plasticiens, cinéastes, acteurs, écrivains, etc., et servis par de grands noms extérieurs ou pas au monde de l’opéra.

L’offre, assez chic dans l’ensemble et parfois un peu toc, plus ou moins expérimentale, est forcément inégale dans sa capacité à décaler le regard du lyricomane ou à aimanter celui du néophyte. Selon sa sensibilité et son humeur, on pourra entrer dans la Médée de Mikael Buch, qui commence sur un affrontement mère-fils (Nathalie Baye et Vincent Dedienne) clichetonnant sous les ors de Garnier et finit sur l’émerveillement des deux devant la magie de l’art lyrique. Ou essayer un Othello dialogué à la façon du cinéma muet par le slammeur Abd Al Malik ; suivre Jonas Kaufmann entre rue, loge et scène à Bastille, filmé de manière étrangement saccadée par Valérie Donzelli ; accompagner le Figaro de Bret Easton Ellis retrouvant sa voix dans une nuit de débauche ; vibrer avec les exercices vocaux et le Youkali de Barbara Hannigan sous l’oeil de Mathieu Amalric

Des courts métrages allant de deux à une vingtaine de minutes, qui ont cumulé près de de 1,7 million de vues, dont les deux tiers la première année — l’effet nouveauté, sans doute —, un grand nombre de connexions ayant été enregistrées en France bien sûr (44%), mais aussi aux Etats-Unis (12%), au Brésil (5,8%)… Le plus beau succès de fréquentation ? Avec quelque six cent quarante mille vues, Nephtali de l’illustrateur et réalisateur américain Glen Keane, dont le crayon épouse les mouvements gracieux de Marion Barbeau, sujet du corps de ballet. Ces vidéos ont aussi essaimé dans des expositions, de Bâle à Landerneau en passant par le Palais de Tokyo. Le budget du dispositif s’est élevé à huit cent quarante cinq mille euros en 2015 et 2016, entièrement financé par du mécénat (les « amis » de l’Arop, la Fondation pour le rayonnement de l’Opéra et un grand joaillier), souligne la maison dans son rapport annuel. Comme pour démentir que l’enveloppe de production de spectacles à Garnier et Bastille, déjà contrainte, ait pu être rognée par cette élégante et habile opération de relations publiques.

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