Pouvez-vous nous rappeler en quoi consiste la responsabilité pénale prévue dans la loi du 10 juillet 2000 dite « Fauchon » ?

 

Depuis la loi Fauchon du 10 juillet 2000 qui porte le nom du sénateur qui l’a proposée, l’article 121-3 du code pénal qui définit les délits non intentionnels distingue deux situations en matière d’infraction commise par négligence ou par imprudence.

Première situation : le comportement du prévenu a causé directement le dommage. Et alors la simple imprudence, négligence, maladresse suffit à constituer le délit. 

Seconde situation : la personne poursuivie n’a que créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou n’a pas pris les mesures permettant de l’éviter.

Dans cette situation elle pourra être poursuivie et condamnée :

  1. soit si elle a violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ;
  2. soit si elle a commis une faute caractérisée qui a exposé autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elle ne pouvait ignorer.

Il convient de souligner que cette loi du 10 juillet 2000 est intervenue à la suite des démarches de l’Association des maires de France auprès du gouvernement Jospin en indiquant qu’elle ne comprenait pas que les maires soient poursuivis devant les tribunaux correctionnels pour, par exemple, « un poteau de football qui dans sa chute avait blessé un supporter ».

C’est également le cas des fonctionnaires de l’Éducation nationale lorsqu’une accompagnatrice de classe de neige dans les Pyrénées orientales sera condamnée en 1996 pour avoir commis, selon la cour d’appel de Pau, une faute caractérisée en omettant de s’assurer auprès de la Météorologie nationale des conditions climatiques permettant de prendre la route au petit matin en haute montagne et alors qu’un accident grave adviendra au car transportant des élèves du lycée français de Madrid.

Avec la loi Fauchon du 10 juillet 2000, les fonctionnaires seront mieux protégés ; c’est ainsi qu’à la suite de cette loi les enseignants qui avaient été impliqués dans le drame du barrage du Drac en 1995, qui a provoqué des morts et des blessés, ont été rétroactivement relaxés des poursuites qui avaient été engagées contre eux.

Les maires en bénéficieront également puisqu’en 15 ans, seules une cinquantaine de condamnations interviendront en ce qui les concerne.

Cependant ultérieurement la jurisprudence interprétera la notion de faute caractérisée d’une manière plus rigoureuse. C’est ainsi que la cour d’appel de Paris retiendra à l’encontre d’un enseignant une « faute caractérisée » au motif qu’il n’avait pas fermé une fenêtre de sa classe située au 2e étage alors qu’un élève avait chuté en s’y adossant.

 

À l’occasion de la crise sanitaire, des parlementaires ont souhaité la modifier, pourquoi ?

 

C’est cette interprétation plus restrictive de la faute caractérisée de la loi Fauchon qui inquiétera à nouveau les maires qui estimeront qu’ils seraient facilement poursuivis pénalement en raison des décisions qu’ils seraient amenés à prendre dans le cadre de la crise sanitaire.

Ils rappelaient que cette notion de faute caractérisée avait été retenue notamment contre le maire de l’île d’Ouessant, condamné en première instance pour ne pas avoir interdit ou déconseillé la pratique du vélo sur les chemins en hauteur des falaises.

En conséquence les maires interviendront auprès des sénateurs pour qu’un amendement à la loi Fauchon soit déposé lors des discussions de la loi relative aux dispositions intervenant durant l’état de crise sanitaire, qui sera promulguée le 11 mai 2020.

Les parlementaires souhaitaient que l’appréciation de l’éventuelle faute de l’élu ou d’un responsable public ou privé soit effectuée par les juges in concreto en prenant en considération les circonstances particulières de l’état d’urgence sanitaire, et notamment de l’état des connaissances scientifiques sur la catastrophe sanitaire au moment des faits.

 

En définitive, quelle modification est intervenue avec la loi Fauchon amendée du 9 mai 2020 par les parlementaires ?

 

Une comparaison visuelle des deux textes de la loi Fauchon sera significative.

Avant sa modification 

L’article 121-3 du code pénal énonce : « Il y a également délit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. »

Après sa modification par l’amendement du 9 mai 2020

L’article 121-3 du code pénal (intégré à l’article L3136-2 du code de la santé publique) énonce : « L’article 121-3 du code pénal est applicable en tenant compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l’auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions notamment en tant qu’autorité locale ou employeur. »

La modification, comme on le voit, est faible et décevra les parlementaires qui souhaitaient qu’il soit tenu compte pour apprécier la responsabilité pénale de l’état des connaissances scientifiques sur la catastrophe sanitaire au moment des faits, ce qui était interprété comme la volonté d’instaurer en faveur des élus une sorte d’impunité pénale.

Cela ne sera pas le cas et certains observateurs avisés estiment que la « montagne a accouché d’une souris ».

Néanmoins, l’intérêt majeur de l’amendement retenu par la commission mixte du Parlement est d’inviter les magistrats saisis à regarder de plus près et à prendre en compte la période de l’état d’urgence sanitaire s’il est reproché à un maire, comme à un chef d’établissement, d’avoir délibérément méconnu la loi et les règlements ou commis une faute caractérisée qui exposait autrui à un danger qu’il ne pouvait ignorer.

 

Cette loi amendée du 11 mai 2020 s’applique-t-elle aussi aux chefs d’établissement scolaire ?

 

Sauf interprétation future des tribunaux, ce texte s’applique à l’ensemble des fonctionnaires de l’Éducation nationale et précise qu’il devra être tenu compte des missions et des fonctions, notamment de ceux qui agissent comme autorité locale ou employeur. Cette fin du nouvel article fait référence aux élus et aux employeurs privés.

Cependant, le « notamment » du texte évoque sans les nommer les autres décideurs dont les chefs d’établissement dans le domaine scolaire.

Pour expliquer la modification de la loi Fauchon, la présidente de la commission mixte du Parlement précisera : « Nous avons souhaité clarifier la responsabilité pénale de ceux qui devront prendre des décisions dans le cadre du déconfinement. » Des centaines de milliers de décisions devront être prises dans les écoles, les entreprises, les transports publics. Les communes comme les départements et les régions.

Nous avons pensé qu’il fallait mieux encadrer ces situations pour que tous ceux qui aient à prendre ces décisions le fassent sous l’égide d’une loi claire en précisant notamment la portée de l’article 121-3 du code pénal.

Ainsi quand on respecte les obligations particulières de prudence prévues par la loi et le règlement et quand on n’a commis aucun acte intentionnel provoquant une contamination, on ne doit pas se voir poursuivi au titre de sa responsabilité pénale.

Comme il fallait s’y attendre, le Conseil constitutionnel sera saisi et rendra la décision suivante le 11 mai 2020 : « Au terme de l’article 6 de la déclaration de 1789, la loi doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. » 

À l’implication de l’article L3136-2 du code de la santé publique, l’article 121-3 du code pénal est applicable « en tenant compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l’auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions, notamment en tant qu’autorité locale ou employeur ».

Les dispositions contestées ne diffèrent donc pas de celles de droit commun et s’appliquent de la même manière à toute personne ayant commis un fait susceptible de constituer une faute pénale non intentionnelle dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire. Dès lors ces dispositions ne méconnaissent pas le principe d’égalité devant la loi pénale.

On observera que le Conseil constitutionnel précise bien que la loi ainsi complétée dans cette période de crise sanitaire s’applique à tous et répond ainsi à l’argument qui lui avait été présenté selon lequel la proposition d’amendement de la loi constituait une sorte de protection voire d’amnistie pénale des élus et des membres du gouvernement.

 

En quoi les directeurs d’école verraient-ils leur responsabilité pénale ou administrative engagée alors que leur statut n’est pas juridiquement reconnu ?

 

C’est le débat permanent, cependant le code de l’éducation, dans son article L411-1, précise « un directeur veille à la bonne marche de chaque école maternelle ou élémentaire ; il assure la coordination nécessaire entre les maîtres. Il préside le conseil d’école et réunit les représentants de la communauté éducative… »

Enfin, l’article 2 du décret du 24 février 1989 énonce : « Le directeur d’école veille à la bonne marche de l’école et au respect de la réglementation qui lui est applicable… Il représente l’institution auprès de la commune et des autres collectivités territoriales. »

Ce rappel des textes confère au directeur d’école la mission de veiller à l’application dans son établissement de tous les protocoles sanitaires qui lui ont été transmis par l’administration. 

Il convient d’observer que le guide académique pour la réouverture des écoles, collèges et lycées était dès le 10 mai 2020 « à destination des chefs d’établissement et des directeurs d’école ».

Il en résulte que les directeurs d’école semblent à la même enseigne que les chefs d’établissement aux yeux de l’Éducation nationale. Cependant, en cas de leur mise en cause pénale, les magistrats ne manqueront pas de s’intéresser à la situation juridique précise des directeurs d’école et rechercheront en particulier s’ils avaient bien la mission, les moyens et la compétence pour exercer les responsabilités qui leur ont été transférées durant cette période exceptionnelle de crise sanitaire.

 

La responsabilité des enseignants peut-elle être engagée en cas de plainte d’un parent ? Sur quels fondements ? Qu’en est-il de celle des chefs d’établissement, mais aussi des directeurs ?

 

Il n’existe aucune présomption de responsabilité ou de culpabilité à l’égard des fonctionnaires de l’Éducation nationale dans l’exercice de leur fonction.

Pour que leur responsabilité soit engagée il faudrait qu’une faute de service soit démontrée et que cette faute ait un lien direct avec l’état de santé de l’élève.

Cette preuve sera particulièrement difficile à établir devant les juridictions administratives ou pénales, d’autant que les enseignants n’ont pas d’obligation de résultat.

Deux types de procédures peuvent cependant être déclenchés en cas de maladie occasionnée à un élève :

  1. Une procédure mettant en cause la responsabilité civile de l’enseignant sur la base de l’article 1242 du code civil.

Dans ce cas d’atteinte à la santé d’un élève, les familles auront à démontrer que les protocoles de sécurité mis en place dans l’établissement scolaire n’ont pas été respectés et que ce manquement est en relation directe avec la pandémie qui a touché leur enfant.

À relever que depuis la loi du 5 avril 1937, reprise dans l’article L911-4 du code de l’éducation, l’État se substitue dans ce type de procès à la responsabilité de l’enseignant et l’action qui sera engagée par la victime devant la juridiction civile sera en fait dirigée contre l’État, qui devra prendre en charge le montant des dommages et intérêts qui seraient éventuellement accordés à la victime. 

  1. Par ailleurs, une procédure pénale peut aussi être engagée par les familles devant le procureur de la République sur la base du nouvel article 121-3 du code pénal (inséré à l’article L3136-2 du code de la santé publique).

Dans cette hypothèse les plaignants devront encore démontrer que « l’enseignant n’a pas accompli les diligences normales compte tenu le cas échéant de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que des pouvoirs et des moyens dont il disposait ».

Enfin s’il n’est pas l’auteur direct des dommages, ce qui est souvent le cas des chefs d’établissement, les plaignants devront alors établir qu’ils ont violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité. 

C’est ainsi que dans la période de crise sanitaire il faudra démontrer qu’un professeur, qu’un directeur, qu’un principal de collège ou qu’un proviseur ont délibérément violé les textes recommandant les gestes barrières ou d’autres obligations stipulées dans un protocole sanitaire.

Dans cette hypothèse, les juges devront appliquer la loi pénale en prenant en compte, comme le prévoit désormais l’article 1 alinéa 2 de la loi du 11 mai 2020, les compétences, le pouvoir et les moyens dont disposaient les chefs d’établissement et les directeurs dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire. Ils devront également s’interroger durant cette période sur la nature des missions et des fonctions qui leur ont été confiées.

Il revient au juge pénal d’apprécier la notion de faute caractérisée au regard de l’état d’urgence sanitaire.

Le risque de mise en cause existe mais il a peu de chance d’aboutir.

 

Quelles mesures de prévention et de précaution sont à prendre face à la menace pénale ?

 

Les maires, les présidents de conseils régionaux et départementaux, comme les chefs d’établissement et les directeurs d’école, devront avoir le souci majeur de constituer des dossiers solides afin de démontrer en cas de besoin qu’ils ont pris les mesures nécessaires afin d’assurer dans leurs locaux la sécurité sanitaire des personnes, agents, élèves, personnels dont ils avaient la responsabilité.

Tout moyen de preuve devra être conservé depuis le mail de réclamation auprès de la hiérarchie en passant par la saisine des instances de délibération comme le CA ou la consultation des comités d’hygiène et de sécurité voire la réalisation de constats d’huissier.

 

Quelle attitude auront les juges vis-à-vis d’une loi qui devrait atténuer la responsabilité pénale des élus et des fonctionnaires ?

 

On assiste à l’explosion des plaintes en matière pénale aussi bien contre les membres du gouvernement que contre ceux qui ont été dans l’obligation de mettre en œuvre les protocoles sanitaires dans les locaux placés sous leur responsabilité.

Les magistrats feront une application de la loi en toute souveraineté, sachant qu’eux-mêmes ont subi les conséquences de la crise sanitaire et qu’ils auront également à leur disposition les avis des sociétés scientifiques ainsi que les rapports sur la mise en œuvre de l’état d’urgence sanitaire diligentés par deux commissions parlementaires.

La pression médiatique ne sera pas négligeable au moment des procès où la place des victimes sera « sacralisée ».

 

Que devient la multiplication des plaintes qui sont déposées durant cette période de crise sanitaire ?

 

Les plaintes déposées actuellement à la suite des infections ou des disparitions survenues en relation avec le Covid-19 conduiront les procureurs de la République à ouvrir des enquêtes préliminaires ; il s’agira en fait d’un premier filtre important pour savoir quelle véritable appréciation sera donnée par les parquets du code pénal intégré dans la loi sur l’état d’urgence sanitaire à l’article L3136-2 au code de santé publique.

De nombreux classements sans suite devraient intervenir mais cela ne signifie pas la fin des inquiétudes pour les personnes mises en cause puisque les victimes pourront encore saisir le doyen des juges d’instruction d’une plainte avec constitution de partie civile provoquant éventuellement l’ouverture d’une information judiciaire durant plusieurs mois voire plusieurs années, comme cela fut le cas dans les procès relatifs au sida.

Il reste à signaler que de multiples plaintes (près d’une centaine) concernent les ministres du gouvernement et relèvent de la procédure spéciale de la Cour de justice de la République. Le président de la République étant couvert par son immunité.

 

Pouvez-vous nous rappeler les autres infractions pénales auxquelles s’exposent également les décideurs publics, les chefs d’établissement et les directeurs d’école en raison de leur fonction ?

 

Notre code pénal ne manque pas de « richesse répressive », c’est ainsi que le délit de non-assistance à personne en danger figure en toute première place des plaintes déposées.

L’article 223-6 du code pénal énonce que quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance qu’il pouvait lui prêter, soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours, encourt une peine de 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.

Tout aussi « choyée » est l’infraction de l’article 223-7 du code pénal qui est actuellement très mis en pratique et qui énonce : « Quiconque s’abstient volontairement de prendre ou de provoquer les mesures permettant, sans risque pour lui ou pour les tiers, de combattre un sinistre de nature à créer un danger pour la sécurité des personnes est puni de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. »

Ces textes ne doivent pas être ignorés mais il faut espérer qu’ils ne concerneront jamais les adhérents, d’autant qu’ils bénéficieront des conseils avisés des autonomes et de leurs avocats-conseil.