‘Google Glass’ : chronologie d’un échec

Technologie : Google a décidé de mettre entre parenthèses son projet de lunettes connectées. Il faut dire que le produit, digne des romans de science-fiction, s'est heurté à un certain nombre de réalités économiques, techniques et juridiques.

Par La rédaction de ZDNet.fr

  • 8 min

‘Google Glass’ : chronologie d’un échec

On s’y attendait un peu mais c’est officiel : Google met un terme au programme Google Glass, en tout cas dans sa forme actuelle. Dans un billet diffusé via Google+, le géant américain annonce la fin du programme Explorateurs qui permettait aux personnes intéressées d’acquérir une version de développement des lunettes connectés pour 1 500 dollars. Les ventes cesseront à compter du 19 janvier.

Pour autant, cela ne signe pas la fin définitive du projet dont le développement va être retiré des laboratoires Google X pour être confié à Tony Fadell, l’un des ingénieurs qui a conçu l’iPod et cofondé Nest, racheté par Google pour 3,2 milliards de dollars. Un nouveau modèle de Glass devrait sortir dans le courant de l’année. « Vous commencerez à voir de nouvelles versions de Glass quand elles seront prêtes (« pour l’instant, interdiction de regarder »)”, peut-on lire sur Google+.

Il faut dire que les lunettes connectées de Google se sont vite heurtées à un certain nombre de réalités économiques, juridiques et sociétales qui ont certainement pesé dans la décision du géant américain.

Petite chronologie :

Janvier 2012 : Google fait rêver la planète
Google dévoile son nouveau projet de lunettes à réalité augmentée. Loin encore d’un prototype opérationnel, Google souhaite uniquement lancer une discussion avec les internautes sur l’utilité d’une telle technologie. De la science –fiction à la réalité, Google fait saliver les technophiles de la planète. Quelques mois plus tard, lors de la conférence Google I/O, Sergei Brin présente les fameuses lunettes à réalité augmentée baptisée Project Glass. Moyennant 1 500 dollars, les développeurs présents pouvaient s’inscrire au programme pour recevoir un prototype livrable en 2013.

Mars 2013 : premiers doutes
La possibilité d’enregistrer des vidéos et du son grâce à des lunettes, et ce de manière simple, voire automatique : la perspective inquiète un sénateur australien, Cory Bernardi, qui voit dans les Google Glass la fin de la vie privée.

De son côté, un député républicain de Virginie-Occidentale Gary G. Howell dépose une proposition de loi visant à interdire de les porter en conduisant une automobile. Le raisonnement du parlementaire est simple : comme un téléphone mobile, ces lunettes connectées pourraient réduire la concentration du conducteur et donc être un générateur d’accidents de la route. D’autant plus si le dispositif occulte une partie de la vision du conducteur (à travers l’affichage d’informations).

Avril 2013 : premiers retards
Alors que les premiers testeurs reçoivent actuellement le nouvel appareil, le moteur précise un peu le calendrier de lancement de l’objet. Le géant évoquait une commercialisation en 2013, Eric Schmidt, patron du moteur, met les points sur les i en soulignant que les Google Glasses ne seraient pas lancées avant 2014. Sans plus de précision. « Vous devez partir du principe que ça va nous prendre quelque temps », a déclaré le directeur exécutif lors d’une conférence sur internet et la liberté d’expression à Washington. Et de poursuivre : « Il est encore extrêmement tôt. Prenez cela comme une version bêta et Google fait de nombreux tests sur les versions bêta jusqu’à ce que nous soyons bons ».

Quant aux réserves et aux critiques de certains (sécurité, confidentialité…), Eric Schmidt promet de rester à l’écoute mais dans une certaine mesure : « Notre objectif est d’apporter un monde meilleur. Nous allons écouter les critiques, mais elles sont inévitablement l’oeuvre de personnes qui ont peur du changement »

Mai 2013 : les analystes sceptiques
Malgré le battage médiatique autour de LA grande nouveauté Google à venir, il semblerait que le public soit encore sceptique. Dans une étude réalisée par BiTE interactive aux USA, on apprend que chez les propriétaires de smartphones « seulement » 10% sont partants pour porter ce gadget de demain. Selon des prévisions d’adoption plus poussées, 38% des personnes interrogées ne souhaitent pas avoir de Google Glass même si le prix est abordable. 45% des sondés craignent que ce nouvel appareil soit contraignant à porter et socialement inadapté. Enfin, 44% ne trouvent pas le produit attrayant. Tout simplement.

Juin 2013 : les autorités s’en mêlent
Les directeurs de six autorités de protection des données personnelles ont contacté Google et demandé, dans une lettre, de plus amples détails sur les Google Glass. Il s’agit des agences de protection des données du Canada, d’Australie, de Nouvelle-Zélande, du Mexique, de Suisse et d’Israël. Les commissaires souhaitent savoir notamment comment Google entend collecter des données via ses lunettes connectées et le lien entre cette collecte et la nouvelle – et très décriée – politique de confidentialité du géant.

« Nous serions très intéressés d’être informés des implications en termes de confidentialité de ce nouveau produit et des démarches que vous entreprenez, au fur et à mesure de son développement, pour assurer que les droits individuels en ce qui concerne la vie privée sont respectés dans le monde » écrivent les commissaires, ajoutant qu’ils apprécieraient une démonstration et une opportunité de tester les Google Glass par eux-mêmes.

Juillet 2013 : Google tente de rassurer
Face à ces inquiétudes, Google se veut rassurant, vantant notamment son attachement à la protection de la sécurité et de la confidentialité de ses utilisateurs. Fort heureusement, Google avance d’autres arguments que cette laudative déclaration – régulièrement battue en brèche.

A la crainte exprimée de voir les non-utilisateurs être exposés à la collecte d’images les concernant, Google répond en rappelant que les Google Glass fonctionnent par le biais de commandes vocales. Par ces signaux, les utilisateurs font ainsi connaître leurs actions.

Quant à la reconnaissance faciale, Google rappelle qu’une telle fonction n’est pas d’actualité. Et elle ne le sera pas tant que des protections appropriées en matière de vie privée n’auront pas été mises en place, promet la firme.

Dans sa lettre, Google précise enfin que l’utilisation des Google Glass sera soumise aux mêmes règles de confidentialité que ses autres services. Or, en Europe, cette politique est justement attaquée par l’Article 29 qui la juge contraire à la législation européenne car permettant notamment des croisements massifs de données. Difficile dès lors d’y voir une garantie pour la confidentialité des données.

Janvier 2014 : premiers tests, premières déceptions
Les Google Glass en tant que telles représentent-elles une machine à cash pour le géant de la recherche ? Les avis divergent mais pour Robert Scoble, célèbre blogueur-expert de la planète IT, la réponse est clairement « non, en l’état ».

Dans un billet sur Google+, le spécialiste qui teste les Google Glass liste les facteurs qui selon lui plomberont la vie commerciale de cet objet. En tête de liste, vient évidemment le prix. Pour le moment proposé aux testeurs à 1500 dollars, les Google Glass devront évidemment être proposées à un prix jugé acceptable. Mais quel est ce niveau ? « En 2014, il semble que Google ne pourra pas proposer les Google Glass à moins de 500 dollars. On peut donc parier sur un flop. Il faut que le prix soit inférieur à 300 dollars pour que le marché réagisse mais selon moi il faudra attendre 2016 », prévient-il.

D’ailleurs, la complexité de l’objet et notamment sa prise en main exigeront un conseil personnalisé en magasin, conseil qui pèsera mécaniquement sur le prix de l’objet. Ce service « maintiendra le prix élevé et fera qu’il ne se vendra pas bien cette année. » Un risque néanmoins à relativiser tant les lunettes connectées intéresseront dans un premier temps les technophiles et les geeks.

Second problème de taille, selon Robert Scoble, le catalogue applicatif. Malgré les déclarations de nombreux géants du Web, le blogueur épingle le manque de stars à ce stade : « Les premiers acheteurs vont se demander : où est Foursquare ? ». On doit craindre l’attentisme des développeurs, « d’autant plus que les Glass n’ont pas d’appstore, ce qui n’est pas très positif ».

Les applis embarquées ne sont pas non plus très efficaces, juge Robert Scoble. « Impossible de transférer et de visualiser directement des photos prises avec les Glass sur mon iPhone, j’ai du me connecter un réseau Wifi et y brancher le gadget. Quant à la commande vocale pour prendre des clichés, elle n’est pas très précise, notamment dans un lieu bruyant, or c’est souvent dans des lieux bruyants comme les concerts que les Google Glass pourraient s’avérer utiles ». Enfin, Robert Scoble épingle la faible autonomie de l’objet et sa propension à surchauffer.

Mai 2014 : dispo pour tous
Jusqu’à présent, Google contrôlait le nombre d’acquéreurs de ses lunettes connectées, les Google Glass, avec une priorité accordée aux développeurs d’applications. L’objectif étant de créer un écosystème autour de cet objet connecté. Désormais l’édition des Glass Explorer des lunettes est disponible pour n’importe quel consommateur prêt à débourser 1500 dollars.

Juillet 2014 : démission de taille
Babak Parviz, un des responsables du projet Google Glass avec Brian Otis, et chef de projet dans le département Recherche & Développement du géant, annonce sa démission. Il avait rejoint Google en 2010, précisément pour travailler sur les lunettes connectées du groupe. Il rejoint Amazon.

Novembre 2014 : les développeurs quittent le navire
Sur les 16 développeurs interrogés par Reuters, neuf d’entre eux ont tout simplement arrêté leurs développements faute de consommateurs ou en raison des limitations des lunettes. Reuters précise en outre que plusieurs salariés clés du projet Google Glass ont quitté la firme de Mountain View ces six derniers mois, dont le développeur principal Babak Parviz, le responsable de l’ingénierie Adrian Wong et le directeur des relations avec les développeurs, Ossama Alami.

Google Ventures avec deux fonds de la Silicon Valley, Kleiner Perkins Caufield & Byers et Andreessen Horowitz, avaient mis en place un consortium pour financer des projets basés sur les Google Glass. Le site de ce consortium a depuis été supprimé.

Juniper Research conforte le rapport de Reuters. Selon le spécialiste, plusieurs obstacles sérieux entravent toujours le chemin des lunettes connectées, parmi lesquels un « time-to-market » beaucoup trop long et pire, le manque de cas d’usage clés pour le consommateur. Mais la liste des doléances ne s’arrête pas là. Pour le cabinet, les inquiétudes des consommateurs et des Etats restent fortes concernant la vie privée et la sécurité.

Pour Juniper Research, ces terminaux connectés ne seront pas acceptés avant que ces préoccupations n’aient été résolues ou apaisées. En conséquence, juge Juniper Research, cet équipement est amené à rester un produit de niche à moyen terme, soit au moins durant les quatre à cinq prochaines années. L’étude estime ainsi que cette lente acceptation ne permettra pas de dépasser le cap des 10 millions d’unités d’ici 2018.

Novembre 2014 : les boutiques ferment
Les « Glass Basecamps », boutiques permettant aux potentiels clients de tester le produit et de l’acheter, vont tout simplement être fermées. « Maintenant que nous constatons que la majorité de nos ventes et demandes de support technique se réalisent en ligne ou au téléphone, nous nous concentrons désormais davantage sur ces moyens », justifie Becca Samson, la community manager de Google Glass.

Une explication un peu capillotractée qui peine à dissimuler un certain malaise autour de cet objet voire d’un marché qui est encore bien trop émergent. Officiellement, Google assure être toujours investi dans ce produit. Et le directeur des opérations, Chris O’Neill, insiste, la firme a la ferme intention de faire un lancement auprès des consommateurs. « Cela prendra du temps et nous ne lancerons pas ce produit tant qu’il ne sera pas absolument prêt » ajoute-t-il. Du temps oui…

/ Powercenter

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