Pour Nexem, l’objectif était d’affirmer, comme l’a souligné en introduction de la journée Guy Hagège, président de la toute nouvelle organisation professionnelle, « une conviction profonde de devoir être employeurs différemment parce que vigilants aux mutations du monde et acteurs du changement. » En élargissant le prisme de la réflexion sur la fonction employeur aux grandes évolutions économiques, sociales et politiques à 10 ans, « nous nous mettons en capacité de penser demain en termes stratégiques et non incantatoires » a confirmé Stéphane Racz, directeur général de Nexem.

Un écosystème en mutation

Invité en ouverture de la journée à dresser le tableau d’un monde qui change, Jacques Attali a décrit ce que sont, à ses yeux, les tendances « certaines » pour la décennie à venir. La première est celle d’une explosion démographique mondiale caractérisée par l’émergence de l’Afrique, l’amplification des mouvements migratoires, une urbanisation toujours plus marquée et l’augmentation globale de l’espérance de vie en bonne santé. Les dix prochaines années verront aussi l’émergence de classes moyennes dans des pays notamment comme la Chine ou l’Inde. Par ailleurs, le développement du numérique, des bio et nanotechnologies, de l’intelligence artificielle et des neurosciences va impacter tous les métiers, y compris ceux des « relations humaines et exigeant de l’empathie » : la moitié des métiers actuels va disparaître et 50 % des métiers de demain sont encore inconnus. « Nous sommes aujourd’hui sur une ligne de crête où le pire comme le meilleur sont possibles » a noté Jacques Attali.

Les bouleversements démographiques et économiques vont avoir une incidence directe sur nos modèles sociaux. En France sommes-nous prêts aux changements ? Elie Cohen, économiste et Nicolas Bouzou, essayiste, ont ensuite donné leur point de vue sur ce que pourrait être l’évolution de notre système de protection sociale. Il ne s’agit pas de remettre en cause l’État providence mais d’accepter que tous les risques ne puissent être pris en charge par la solidarité « Il faudra arbitrer, prévient Elie Cohen, et trouver de nouvelles articulations avec le système assuranciel tout en allant aussi vers des prélèvements universels en s’appuyant davantage sur l’impôt ».

Le dernier focus de la matinée était consacré aux nouvelles formes d’organisation que connaît déjà en partie le marché du travail avec la montée en puissance des travailleurs indépendants issus de ce que l’on appelle aujourd’hui l’économie collaborative. Allons-nous vers une ubérisation de l’économie ? Est-ce la fin, au moins partielle, du salariat ? se sont interrogés Philippe Askenazy, économiste et Diana Filippova, entrepreneure. Certes, le travail collaboratif permet une plus grande capacité d’autogestion pour les personnels mais avec un risque de paupérisation réel qui doit conduire à s’interroger sur la pertinence du modèle et aux garde-fous à mettre en œuvre.

Innover, oui, mais comment ?

Ces bouleversements annoncés, ou déjà à l’œuvre, sont autant de défis que doivent relever les employeurs du secteur, a résumé Stéphane Racz en introduction aux débats de la seconde partie de la journée. Comment aujourd’hui repenser un cadre conventionnel qui va devoir intégrer tant de nouveaux métiers ? Faut-il faire évoluer dans notre secteur les salariés vers d’autres statuts ? Comment appréhender la concurrence du secteur lucratif et la raréfaction des financements publics ? Quel est l’avenir de notre modèle associatif ?

Les employeurs invités à témoigner de la façon dont ils s’adaptent, ou souhaiteraient s’adapter à ces questions font tous le même constat : le cadre conventionnel actuel bride leur capacité à innover et l’administration tatillonne et bureaucrate freine les initiatives. « Passer un simple accord sur du télétravail, explique Christophe Itier, président du Mouves est une opération complexe… », lui qui, pour pallier la lourdeur de la planification réglementaire des appels à projets a, par exemple, mis en place son propre incubateur à projets : des salariés expérimentent en interne ce qui deviendra ensuite une activité endogène à l’association. Il faut aussi sans doute plus de souplesse et moins de bureaucratie pour recruter différemment suggère Jean-Louis Sanchez, délégué général de [simple_tooltip content='Observatoire national de l’action sociale']l’ODAS[/simple_tooltip] qui imagine un recrutement davantage basé sur la qualité des personnes et leur empathie. « Dans le domaine des RH, nous pouvons faire confiance à la capacité d’innovation des PME », a pointé Marie-Anne Montchamp, présidente de l’agence Entreprise et Handicap, qui n’imagine pas concevable de renouer avec la croissance sans placer au cœur du processus de production les questions environnementales et sociales. « Pour nous employeurs, cela signifie par exemple ne pas seulement parler de santé au travail mais aussi de bien-être au travail ou encore que nous soyons capables de remettre en cause un système qui disqualifie les salariés les plus âgés ».

Mais pour innover, les employeurs rappellent aussi qu’ils ont besoin de moyens. Or, aujourd’hui, non seulement les pouvoirs publics n’ont pas défini des modalités de financement de l’innovation dans le secteur, mais « les investisseurs privés hésitent à s’engager, compte tenu de la fragilité de notre modèle économique », constate encore Christophe Itier.

Gérer différemment les relations salariales

Le secteur fait face à un changement radical de l’accompagnement des usagers qui remet en cause la façon dont les employeurs gèrent leurs salariés. « Notre cible, c’est la société inclusive » a rappelé Luk Zelderloo, secrétaire général de l’association européenne des prestataires de services pour personne en situation de handicap. Dans une logique de désinstitutionnalisation, de co-construction des parcours et d’inclusion, l’usager attend des réponses à ses besoins qui soient personnalisées et localisées. Les employeurs doivent, de ce fait, coordonner une individualisation des accompagnements et sécuriser de plus en plus de salariés isolés en milieu ordinaire et aux horaires flexibles. Nombre d’employeurs ont déjà mis en place des outils pour accompagner leurs salariés dans ces changements : télétravail, coworking, nouvelles technologies en appui des aides humaines, groupes de parole… La question des formations initiales et continues est cruciale. Elles doivent intégrer une dimension éthique pour savoir être à l’écoute des besoins et dans le respect des droits de la personne accompagnée ; elles peuvent être propres à l’organisation et créées ex-nihilo afin de répondre à un besoin spécifique des salariés. Ainsi en a témoigné Armelle de Guibert, déléguée générale de l’association des Petits Frères des Pauvres dont la problématique essentielle est la gestion des relations salariés/bénévoles. Toutefois, compte tenu du « turn over des personnels lié aux questions de rémunération et d’épuisement », le challenge pour nous employeurs, souligne Catherine Marcadier, directrice générale de France Silver Eco, est aussi celui de l’amélioration de l’attractivité des métiers du secteur…

Éthique et engagement

Aujourd’hui, ce qui est en train de se jouer dans nos sociétés mondialisées où prime le « moi d’abord », où les liens sociaux se délitent, c’est selon Jacques Attali, « notre capacité à repenser le collectif ». Par leur façon d’être employeurs différemment, les professionnels du secteur associatif non lucratif peuvent faire valoir les valeurs éthiques et d’engagement qui sont leur ADN. Sans naïveté puisque ce qui compte a souligné Yannick Blanc, président de l’Agence du service civique et Haut commissaire à l’engagement civique, c’est bien que ce secteur soit aussi producteur de richesses, d’externalités positives, au bénéfice de l’économie globale.

« Avec Nexem, aujourd’hui principal représentant des employeurs associatifs du secteur, nous sommes désormais clairement identifiés, a rappelé Stéphane Racz. « Sûrs de ce que nous sommes, nous avons la capacité d’investir la réflexion publique et de jouer un rôle moteur dans la définition des politiques sociales des années à venir ». Sans jamais oublier, a finalement conclu le président Guy Hagège, qu’« au cœur de la cible, il y a la personne ».

  • Découvrez les photos des deux événements et les discours en cliquant ici.
  • Et pour visionner les vidéos des interventions de la journée du 15 décembre, rendez-vous sur la page YouTube de Nexem.

[1] “Peut-on prévoir l’avenir ? » - Ed. Fayard- 2015