Accéder au contenu principal
INTOX

Intox : ces images "des Kayapos" détournées depuis des années

Ces images, très souvent accompagnées de légendes hors contexte, sont régulièrement publiées sur les réseaux sociaux.
Ces images, très souvent accompagnées de légendes hors contexte, sont régulièrement publiées sur les réseaux sociaux.
Publicité

Sur les réseaux sociaux, certaines intox sont redondantes. C’est le cas notamment de photos censées illustrer la lutte des Kayapos, un peuple indigène de la région du Mato Grosso au Brésil. Régulièrement partagées par des internautes qui s’étonnent que les grands médias "n’en parlent pas", elles ont en fait été prises il y a une dizaine d’années et sont souvent accompagnées de légendes… qui n’ont rien à voir avec l’évènement auquel elles se rapportent vraiment. 

 

1. Les images hors contexte "des Kayapos expulsés de leurs maisons"

"Pourquoi n’est-ce pas dans les médias traditionnels ?" Le 21 août dernier, un internaute a publié sur Facebook deux photos montrant, selon la légende en français, des Kayapos en train d’être "expulsés de leurs maisons pour la construction du barrage de Belo Monte", lequel va "inonder 400 000 hectares de la forêt amazonienne au Brésil."

Les images sont frappantes : la première montre un homme, qui semble porter une coiffe de plumes sur la tête, saisi à la gorge par un membre des forces de l’ordre et entouré de policiers armés. Sur la deuxième, une femme portant un enfant dans les bras tente de s’échapper alors que derrière elle se trouve plusieurs militaires, boucliers à la main. En un mois, cette publication a été partagée 26 000 fois. Le problème, c’est que ces photos sont anciennes et que la publication mélange plusieurs informations.

Le combat des Kayapos contre le barrage ? Vrai, et il a été médiatisé

Le peuple Kayapo s'est en effet fait connaître internationalement pour son combat contre le barrage de Belo Monte, notamment porté par leur chef Raoni Metuktire, devenu une figure emblématique du combat des Indiens d'Amazonie pour la préservation de leur forêt. Ce gigantesque ouvrage, aujourd'hui considéré comme le troisième plus grand barrage au monde, a été inauguré en 2016 par la présidente de l'époque, Dilma Roussef.

Grâce à leur farouche opposition, les Indiens avaient arraché quelques modifications au projet. Mais en vain : aujourd'hui, autour du barrage, dont les usines hydroélectriques devraient fonctionner à plein d’ici 2020, les populations locales paient bel et bien le bouleversement de leur environnement, comme le rapportait en juin dernier Mediapart. Quant à la lutte, marquée par de nombreuses divisions entre communautés, elle s'est progressivement affaiblie.

En résumé, la construction du barrage et les polémiques l'entourant ont été et sont toujours évoquées dans les grands médias internationaux (voir, en français, ici, ici, ou encore ici), contraitement à ce qu'indique l'internaute.

Des images anciennes... et qui n'ont rien à voir avec le combat contre le barrage

Sa publication comporte un deuxième problème, plus important encore : les images n'ont rien à voir ni avec ce combat des Kayapos contre le barrage de Belo Monte, ni avec une quelconque expulsion récente de communautés indiennes. 

Pour le savoir, notre rédaction a dans un premier temps remarqué qu’un crédit était attribué en fin de légende, "Via : Lidia Sophia". Cela peut être un indice que le message a été copié-collé depuis une autre publication sur les réseaux sociaux.

Faisons le test en tapant "Via : Lidia Sophia" dans la barre de recherche de Facebook. Résultat, dans les publications publiques, on retrouve ces mêmes photos, ainsi que la même légende… en plusieurs langues (voir la capture d’écran ci-dessous, test réalisé avec les paramètres de Facebook en langue anglaise). On remarque également que l’une de ces publications, en anglais, est datée… de septembre 2012.

Mais alors d’où viennent ces photos ? Une recherche en portugais sur Google permet de trouver un article daté de 2016 sur le site brésilien "Boatos" ("rumeurs" en français).

On y apprend notamment que la première photo date de 2008 et a été prise en périphérie de Manaus. Selon la presse brésilienne, plusieurs populations autochtones, de "divers groupes 'ethniques'" et à la recherche de "nouvelles terres", avaient été évacuées d’un "terrain privé" qu’elles occupaient.

En ce qui concerne la deuxième photo, une recherche sur Google images (voir notre guide de vérification) permet d’en trouver l’origine. Le cliché, pris également en 2008 à Manaus par le photographe brésilien Luiz Vasconcelos, a reçu le prix World Press Photo dans la catégorie "informations générale" en 2009. On le retrouve donc, en bien meilleure qualité, sur le site de World Press Photo.

2. Les larmes du chef Raoni ? Un rituel de "lamentations"...

Une autre image des Kayapos est elle aussi régulièrement détournée sur les réseaux sociaux. On y voit Raoni, le chef du peuple Kayapo, visiblement en train de pleurer, la main sur le front. Comme l’a récemment indiqué le site AFP Factuel, cette photo circule depuis plusieurs années sur les réseaux sociaux et ce, souvent, avec une légende totalement fausse.

Car si certains affirment que le chef de la tribu indigène brésilienne est en larmes après avoir appris que Dilma Roussef donnait son accord pour la construction du barrage de Belo Monte, il n'en est rien.

La photo originale a été prise en 2009 par Magna Oliveira da Silva, une professeure d’histoire. En 2012, elle avait d’ailleurs publié sur sa page Facebook l'image, en dénonçant déjà son détournement sur les réseaux sociaux.

"Regardez la véritable version de cette photo que j'ai prise dans le village de Piaraçu en 2009 quand Dilma Roussef n'était pas encore présidente. Le mouvement [de Raoni] est contre le barrage de Belo Monte, mais les larmes de Raoni correspondaient à un rituel avec les membres de sa tribu. Aidez à démentir ce que quelques bloggeurs propagent [...]", indique-t-elle [en substance] dans sa publication.

Contactée par Le Monde en 2013, Magna Oliveira da Silva précisait : “Raoni ne pleure pas en raison du barrage de Belo Monte. Il s’agit d’un rituel de lamentations entre les membres kayapos, qui venaient de tout le pays et ne s’étaient pas vus depuis longtemps. Cela n’a rien à voir avec son combat.”

Cet article a été écrit par Maëva Poulet (@maevaplt).

Partager :
Page non trouvée

Le contenu auquel vous tentez d'accéder n'existe pas ou n'est plus disponible.