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Préhistoire : était-ce l’enfer ou le paradis ?

préhistoire
La découverte de peintures dans la grotte de Lascaux laisse à penser que l’homme préhistorique était capable de consacrer du temps à des «loisirs». © Arterra/UIG via Getty Images

La faim, le froid, les prédateurs… On a longtemps cru l’homme préhistorique plongé dans les affres de la survie. Une image, depuis, remise en cause. Gros plan sur la préhistoire.

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Qu’ils soient grecs, sumériens ou amazoniens, les mythes les plus anciens évoquent tous un âge d’or de l’humanité précédant sa « chute ». Ces récits fondateurs gardent-ils le souvenir d’une période bénie où l’homme trouvait sans efforts, dans une nature profuse, de quoi satisfaire tous ses besoins ? Les préhistoriens du XIXe siècle, darwiniens et positivistes, ont représenté a contrario l’évolution de notre espèce comme le progrès lent mais linéaire de l’état sauvage à la « civilisation ». Ils nous ont légué un sombre tableau de nos lointains ancêtres, dépeints en pauvres hères tenaillés par la faim et traqués par les fauves. Mais, plus récemment, l’étude des dernières populations de chasseurs-cueilleurs nomades de la planète (des groupes d’Aborigènes d’Australie, d’Inuits du Groenland, de Sans du Kalahari…) a conduit les chercheurs à reconsidérer les conditions d’existence des hommes du Paléolithique.

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Première étape en 1974, avec la publication d’Age de pierre, âge d’abondance, de Marshall Sahlins (réédité cette année aux éditions Folio), livre retentissant qui insistait sur la performance économique des sociétés dites « primitives ». Les chasseurs-cueilleurs, expliquait l’anthropologue américain, ne sont en rien des victimes du dénuement, incessamment à la limite de la survie. Ne produisant et ne consommant pas plus que nécessaire, ces experts de la gestion douce du milieu consacrent en réalité bien moins de temps que l’homme contemporain au travail, et jouissent donc de bien plus de « loisirs », autre mesure de la prospérité. Cette vision quelque peu idyllique a depuis été critiquée. Pourtant, dans son best-seller de 2015, Sapiens – Une brève histoire de l’humanité (éd. Albin Michel), l’historien Yuval Noah Harari s’appuie encore sur le livre fondateur de Sahlins pour expliquer que notre espèce a payé d’un prix très lourd la « révolution » néolithique (9 000 ans avant J.-C.). Agriculture, domestication des animaux, propriété privée, etc., auraient selon lui signé l’arrêt de mort de la « société d’abondance » et du « carpe diem » des origines…

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Le succès de la chasse repose sur la collaboration

Alors, Sapiens vivait-il dans l’abondance et l’insouciance ou dans l’angoisse et la misère ? La réalité est sans doute entre les deux, car les conditions de vie ont grandement varié durant le seul Paléolithique supérieur (35 000 à 10 000 ans avant notre ère). Dans son Introduction à la préhistoire (sous-titre : A la recherche du paradis perdu, 1982, éd. Seuil), le chercheur français Gabriel Camps mettait ainsi en garde :

« L’homme préhistorique est un concept aussi faux que celui du Français moyen. »

Le climat changea par exemple fréquemment, alternant périodes de réchauffement et de glaciation. La végétation se transformait en conséquence, et avec elle les ressources disponibles et les modes de vie. Tout le génie de Cro-Magnon fut d’être capable de s’adapter.

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C’est déjà en profitant d’une amélioration du climat qu’Homo sapiens, à la recherche de meilleurs territoires de chasse, s’installa en Europe entre 42 000 et 37 000 ans avant notre ère. Le migrant apportait avec lui ses us et techniques, notamment une industrie de la pierre élaborée lui permettant de disposer d’un outillage diversifié (lames, grattoirs, burins, pointes) et parfaitement adapté à ses besoins. Son ancêtre Homo erectus s’était nourri des restes laissés par les prédateurs. Sapiens est lui un chasseur émérite. Les rennes sont les cibles favorites de ses sagaies. Cet animal est « à la fois le garde-manger, la boîte à outils et la boîte à bijoux », résume le préhistorien Gilles Delluc. Trop lourdes pour être transportées entières, les proies sont dépecées sur place. Les morceaux les plus riches en viande, rapportés au camp, nourriront le groupe pendant quelques jours. Mais avant d’abandonner la carcasse, on y a prélevé tout ce qui pourra servir : la peau pour construire les huttes, fabriquer les vêtements et les litières, les tendons pour lier et coudre, les os et les bois pour confectionner armes et outils… et même les dents, recyclées en colliers, comme le racontent Brigitte et Gilles Delluc dans La Vie des hommes à la préhistoire (éd. Ouest-France, 2016).

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La chasse est pratiquée en petits groupes. Son succès repose sur la collaboration. Les vivres, obtenus ensemble, sont équitablement partagés. Le temps est à une forme de collectivisme généralisé : « Les hommes n’auraient pu s’épanouir d’aussi remarquable manière si, au départ, nos ancêtres n’avaient vécu en étroite coopération. La clé de la transformation d’une créature sociale semblable au singe en animal cultivé vivant au sein d’une société hautement structurée et organisée est le partage : partage du travail et de la nourriture », écrivait ainsi le paléoanthropologue kenyan Richard E. Leakey dans Les Origines de l’homme (éd. Flammarion, 1979).

La viande constitue la base de l’alimentation. En périodes froides, sa consommation augmente et celle des végétaux diminue. La cueillette complète le régime carné. Sapiens est omnivore et la nature offre un choix de menus qui s’élargira avec le réchauffement climatique : graminées (millet ou sorgho, peut-être parfois bouillies), légumineuses, tubercules, racines, fleurs, asperges sauvages, champignons, escargots, baies et fruits, miel… Peut-être aussi des oiseaux et leurs œufs, voire des insectes. Prélève-t-il le lait des femelles abattues comme le font les Inuits aujourd’hui ?

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Cro-Magnon anticipe la disette

Cro-Magnon mange aussi de plus en plus de poissons. Il a d’abord dû les attraper à la main dans les rivières, puis il a mis au point le harpon. En somme, il se nourrit de mieux en mieux. Sa ration énergétique, autour de 3 000 calories quotidiennes, couvre ses besoins en protides, glucides, lipides, sels minéraux et vitamines. Son alimentation, plus variée que celle de Neandertal, augmente sa résistance. Et garantit sa bonne santé. La vie est très courte, certes. Un humain sur dix seulement atteint les 40 ans. Mais on ne trouve pas sur les squelettes de traces de cancers ou d’affections liées à une quelconque carence nutritionnelle.

L’approvisionnement n’étant pas constant, Cro-Magnon sait être prévoyant. Il anticipe la disette avec de petites réserves de viande et de poissons séchés ou fumés, ou creuse des fosses alimentaires dans le sol (attestées dans de nombreux sites d’Europe centrale). Il stocke aussi un peu de matières premières : nucléus, bois, os, peaux… Mais jamais en grande quantité, car il se déplace souvent. Nomade, il choisit soigneusement la localisation de ses habitats, en fonction de la proximité de points d’eau, de végétaux, de bois de chauffe, de pierres à tailler, et de gibier bien sûr. Abri naturel, entrée de grotte ou pied de falaise avec un surplomb protègent du froid et des prédateurs à la mauvaise saison. Et au printemps, le groupe se met en marche pour suivre les troupeaux qui migrent, emportant le peu de matériel accumulé (outils, armes, huttes). Ni gâchis ni surexploitation. Les territoires de chasse sont ponctuellement abandonnés et réinvestis, en fonction de leur épuisement naturel. Le site mis au jour à Pincevent (Seine-et-Marne) est exemplaire. On y trouve ainsi un camp d’hiver installé sur les hauteurs et un autre au bord d’une rivière traversée, à l’époque, par les rennes et remontée par les saumons.

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Le nomadisme permet la circulation d’objets et de matières premières dès la Préhistoire

Il n’y a bien sûr pas de commerce au Paléolithique. Pas de surproduction, pas de monnaie. En revanche, il existe certainement un système d’échanges, une forme de troc. L’importance du don dans les sociétés traditionnelles a été soulignée depuis les travaux du « père de l’anthropologie », Marcel Mauss (1872-1950). Rappelons que ce don n’est pas toujours gratuit. Selon les cas, il peut impliquer une contrepartie précise et obligatoire. Le nomadisme encourage également le partage des expériences et des techniques entre différents groupes. Ces échanges se développant, les clans, qui comptent probablement de 20 à 30 membres – s’il y en avait eu moins, il n’y aurait pas assez de chasseurs pour assurer la subsistance ; et s’ils avaient été plus nombreux, les conflits auraient risqué de se multiplier –, se fédèrent peu à peu en larges communautés.

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Ces « tribus » de plusieurs centaines de personnes prospèrent, n’exploitant toujours qu’une partie de la biomasse, inférieure à celle qu’elles auraient pu prélever sans dommage pour le renouvellement des espèces. La très faible démographie (peut-être 30 000 Homo sapiens sur le continent il y a 30 000 ans) empêche globalement la pénurie de gibier. « En cas d’abondance exceptionnelle, mais aussi en temps de pénurie, le mécanisme régulateur unique était la simple scission sans que celle-ci conduise à la dispersion individuelle à laquelle l’homme, être social, ne peut se résoudre », selon Gabriel Camps. Quant à son homologue américain, Marshall Sahlins, il soutient la thèse iconoclaste et inspirée du marxisme que les chasseurs-cueilleurs pratiquaient volontairement une économie de sous-production. Ils pouvaient produire plus mais s’y refusaient car un surcroît de production aurait menacé la stabilité des structures sociales. Il s’agissait donc d’un choix « politique », ayant pour corollaire le rejet de l’agriculture et de la sédentarisation. Mais qu’en est-il vraiment ? La seule certitude que l’on puisse avoir, c’est que l’homme du Paléolithique se contentait d’une « économie de ponction », prélevant son besoin immédiat, sans chercher à augmenter le rendement. Dans cette économie de subsistance, il n’intervenait pas sur la nature pour produire quelque nourriture que ce soit, ne faisant qu’y prélever des ressources non modifiées.

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Homo sapiens était-il pour autant rétif au changement ?

Sans doute pas. Le Solutréen (-20 000 à -17 000 ans) apporta en effet deux innovations majeures : le propulseur pour lancer les sagaies plus loin et plus fort (jusqu’à 70 mètres de distance) et l’aiguille à chas, pour coudre hermétiquement les peaux et ainsi réaliser des tentes, des vêtements ou des outres en cuir, récipients à multi-usages. Les conditions de vie s’améliorèrent. Dans le sud de la France, au climat plus hospitalier, l’essor démographique débuta. Certains campements hébergeaient des centaines d’individus.

L’accueillante vallée de la Vézère devint un lieu de vie privilégié. Trouver à s’alimenter n’était plus un problème fondamental de survie. L’homme put développer de plus en plus des activités non productives, l’art pariétal notamment. A l’origine, les sociétés paléolithiques ne connaissaient pas la division du travail, hormis sans doute un partage des tâches entre hommes et femmes. Mais à la fin de cette période, on trouve souvent sur les sites des habitats des couches de pierres, sortes de bancs de travail, entourées de matières premières et de déchets de taille. Dans ces ateliers, où certains outils furent produits en série, officiaient certainement des spécialistes, nourris par le reste de la tribu en échange de leur savoir-faire. Peut-être les prémices d’une différenciation, l’apparition de premières stratifications sociales.

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Dans Avant l’Histoire – L’évolution des sociétés, de Lascaux à Carnac (éd. Gallimard, 2012), l’anthropologue français Alain Testart soutient que l’apparition d’un équipement de chasse individuel (arc et flèches) à l’extrême fin du Paléolithique marqua la première étape essentielle vers la fin des communautés de coopération et de partage. A la même période, on constate l’apparition du stockage sur une large échelle, symptôme d’un début de thésaurisation lié à l’abandon des grandes chasses collectives. Le grand bouleversement néolithique était en marche. Homo sapiens s’apprêtait à quitter son « jardin d’Eden ».

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