Monaco, aux faux airs de petit Manhattan méditerranéen, a entrepris depuis fin août de gagner 60 000 m2 de plus sur la mer, un chantier à deux milliards d'euros. Des espèces marines seront mises à l'abri à partir de mercredi, mais la destruction des petits fonds côtiers où elles s'épanouissent s'annonce irréversible.

Confiés au groupe Bouygues, ces nouveaux travaux d'urbanisation en mer doivent aboutir d'ici 2025 à la construction de logements et commerces, et surtout, au doublement de l'espace du Forum Grimaldi, où Monaco accueille ses congressistes, activité économique clé de la principauté.

Après la crise de 2008, le projet initial plus ambitieux de 17 hectares a été divisé par trois, avec le souci également de minimiser les atteintes à l'environnement, affirme le gouvernement de Monaco.

Pour la première fois, des plaques de «posidonie», un herbier marin fragile, seront transplantées pour voir si elles parviennent à se régénérer plus loin. De gros rochers colonisés par une algue à la robe grisâtre, le «lithophyllum byssoide», seront déménagés par barges tandis que des plongeurs spécialisés doivent commencer à récupérer mercredi les grandes nacres repérées sur le site du chantier.

«On les déplace de quelques centaines de mètres, pour les mettre dans la réserve du Larvotto où il y en a déjà beaucoup», explique à l'AFP Jean-Luc Nguyen, directeur de la mission d'urbanisation en mer.

«C'est une opération un peu ridicule», rétorque Alexandre Meinesz, professeur émérite à l'université de Sophia Antipolis, «car c'est une espèce protégée par la loi, mais qui n'est plus tellement en danger. Dans la réserve du Larvotto à côté il y en a plus de 600, répertoriées et comptées. Donc, ce n'est pas ça qui va les sauver!» «Une rigolade», ajoute Denis Ody, responsable Océan et Côte à l'organisation de protection de la nature WWF.

«Oasis de vie»

«Pour la posidonie, c'est tout à fait hypothétique, c'est une opération également un peu médiatique pour montrer qu'on veut faire quelque chose. Le gros problème que l'on cache c'est la destruction irréversible des petits fonds marins recouverts (par l'ouvrage): six hectares marins, un biotope où les espèces vivent et qui devient du béton et des immeubles», reprend M. Meinesz: «Le Prince Albert II se démène énormément pour un tas d'animaux et de bonnes causes, mais devant son propre paillasson, comme son père, il détruit tout!»

C'est dans les petits fonds marins, compris entre zéro et 10 à 20 mètres de profondeur, que la lumière pénètre. «C'est une oasis de vie collée au littoral», explique-t-il. «Ce sont les plus riches, une pouponnière où les bébés de toutes les espèces s'abritent dans les algues.»

Or, ils sont très exigus à Monaco et déjà détruits à 88 % entre zéro et 10 mètres de profondeur, et à 60 % jusqu'à 20 mètres, selon le Medam, inventaire officiel de l'impact des aménagements gagnés sur le domaine marin en Méditerranée. En comparaison, la destruction côté français se limite respectivement à 5 % et 1 %.

«Je ne mets pas en doute la sincérité de l'engagement environnemental du Prince Albert II, mais il ne faut pas nous raconter des trucs. On va prendre 6 hectares de petits fonds côtiers qui sont perdus pour toujours. Ce sera contigu à la réserve du Larvotto», commente M. Ody.

«J'espère que les travaux seront faits dans les règles de l'art, mais on va couler 26 blocs de béton (pour protéger le sol artificiel de la houle et des séismes, NDLR). Ensuite on va remblayer avec du sable qui vient de Sicile. Je veux bien qu'on dise que cela va se faire sans déranger le voisinage, mais ils ne vont pas faire ça à la petite cuillère, grain par grain», dit-il.

Micro-Etat de 200 hectares, dont 34 gagnés sur la mer, Monaco offre déjà un paysage saturé de tours. La côte est artificialisée à près de 90 %. Les grues n'entreront en action sur le chantier du nouveau quartier qu'en 2020, après le passage des navires de dragage pour aspirer le fond de la mer et enlever les vases à partir de 2017.

«Je veux bien que Monaco ait besoin de se développer, c'est Dubaï, mais où ça va s'arrêter?», interroge M. Ody.