Repenser le travail pour redynamiser notre société

Tribune d'Antoine Houlou, économiste

 

Aujourd’hui, pour 63 % des étudiants, avoir un travail n’est qu’un « moyen de gagner sa vie » ; moins de 25 % d’entre eux considèrent le travail comme une « source d’épanouissement »[1].

 

Il faut remotiver une jeunesse qui est trop systématiquement découragée par les stages à répétition et les CDD sans avenir ; il faut redonner du sens au travail qui est trop souvent perçu comme un moment de pénibilité physique et morale (où la seule bulle d’oxygène réside dans les relations amicales que l’on peut nouer avec ses collègues) ; il faut donner un rythme enthousiasmant aux semaines dont on attend le week-end dès le lundi matin, dont on attend les prochaines vacances dès que l’on revient au travail.

 

Cet objectif social et sociétal, c’est à nous, partisans du progrès, qu’il revient d’en tracer les contours. Cette envie, c’est à nous, capteurs et acteurs de la société, de la remettre au cœur de chaque salarié, de chaque travailleur, mais aussi de chaque chômeur. Cet avenir, c’est à nous, force de proposition, de le bâtir faute de quoi l’électorat continuera de se tourner vers l’extrémisme comme il l’a fait dernièrement.

 

Ne partons pas d’idéologies a priori, réservons pour demain des réflexions sociologiques plus approfondies, mais pour l’heure partons simplement de constats.

 

Premier constat : travailler cinq jours sur sept à faire la même chose, ce n’est ni pertinent individuellement ni collectivement. Pour nombre de personnes qui ont un emploi (en particulier pour les 25 millions de salariés), la lassitude et la stagnation sont des facteurs de découragement qui empêchent la progression et l’épanouissement. Pour notre compétitivité, c’est un facteur de ralentissement des mutations économiques, et donc facteur de ralentissement de notre retour sur le premier plan européen et mondial car cela freine l’innovation. En effet, l’innovation a besoin de mouvement, de décloisonnement, de passerelles entre différents domaines.

 

Première réponse : développer des alternances de travail pour ceux qui le souhaitent, des bi-jobs pour employer un terme peu francophone, qui seraient des travails (et non travaux) à mi-temps. Un salarié pourrait ainsi opérer du lundi au mercredi dans un environnement professionnel, et dans un autre le jeudi et le vendredi. Cela pourrait aussi s’organiser, si nécessaire, en alternant une semaine sur deux. Ce système ne crée aucun coût pour les employeurs. Bien au contraire, les salariés, bénéficiant ainsi d’une ouverture intellectuelle, professionnelle, organisationnelle et méthodologique, seraient le relai optimal pour dynamiser l’un et l’autre environnement de travail dans lesquels ils œuvrent.

 

Deuxième constat : les univers professionnels sont trop cloisonnés. Il existe une tension sociale palpable entre les milieux de la fonction publique et les milieux du privé. Or nous savons pertinemment que les partenariats publics-privés sont source de projets innovants extrêmement puissants dans tous les domaines, celui de l’innovation en particulier. Au-delà du clivage public-privé, les cloisons sont également trop étanches entre les secteurs, ce qui sclérose notre économie.

 

Deuxième réponse : inciter les salariés, dans le cadre des bi-jobs, à avoir un pied dans chaque. Pour ceux qui n’y croiraient pourtant pas, faut-il rappeler que c’est ce qui fait la force de l’Allemagne ? En effet, quand on regarde l’emploi secteur par secteur, on constate qu’entre 1995 et 2008, pas moins de 3,3 millions d’emplois ont disparu outre-Rhin pour se recréer dans des secteurs différents. C’est ce qui a permis le renforcement des services aux entreprises, de l’informatique, de l’automobile, de la restauration, mais aussi de l’éducation, des activités culturelles etc. Ces transferts d’emploi entre secteurs permettent à l’Allemagne de dynamiser son économie. Pendant la même période, nous n’avons transféré que 800 000 emplois[2].

 

Ces deux premières réponses permettent de commencer à repenser le travail quotidien, mais aussi au long de la semaine en sorte de dépasser le débat malsain sur les 35 heures, et enfin de redessiner des contours du travail tout au long de la vie pertinents économiquement et socialement. Ce ne sont que des pistes, mais des pistes à suivre si l’on veut que notre société reconquière enthousiasme et compétitivité à la fois.

 

Prenons la bonne direction pour l’avenir social et économique de la France ! Ces premières pistes mèneront à d’autres idées de rénovation.

 

 

L'auteur

Antoine Houlou est économiste. A paraître : Le monde est-il mathématique ?, chez Honoré Champion.

 

 

Notes

[1] D’après une étude récente du cabinet Deloitte.

[2] Tous ces chiffres ont été calculés par mes soins à partir de données Eurostat sur l’emploi. Je tiens mes tableaux Excel à disposition si nécessaire.

 

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