Le fondateur de Meetic a assuré au Parisien qu'Emmanuel Macron est celui qui "connaît le mieux l'économie française".

On naît entrepreneur, affirme Marc Simoncini, fondateur et ancien patron de Meetic.

AFP/ERIC PIERMONT

Il arrive, le pas pressé, casque de moto à la main, salue rapidement et s'installe tout aussi vite dans son grand bureau clair. Pas question de perdre du temps, la journée est minutée. Marc Simoncini est un homme direct, en interview comme en affaires. Champion des mariages et des naissances, il a affolé les coeurs et les compteurs avec la success-story Meetic. Fortune faite après avoir cédé le contrôle de l'entreprise, il a lancé un fonds d'investissement, pour financer, avec son argent, des entreprises innovantes. Après les agences matrimoniales, il a fait trembler les opticiens avec Sensee. En pointe pour libéraliser le permis de conduire, avec la start-up Ornikar qu'il soutient, Marc Simoncini n'a pas froid aux yeux. Il s'est même lancé sur le marché des dameuses! Il s'était confié à l'Express-l'Entreprise pour le hors-série "Les clefs pour devenir entrepreneur".

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Etes-vous né entrepreneur ou l'êtes-vous devenu?

On naît entrepreneur ! Evidemment, si on ne passe pas à l'acte, on ne saura jamais qu'on pouvait l'être... Il faut des qualités particulières pour être entrepreneur, comme la capacité de résilience -- le métier est dur, les échecs fréquents, la solitude douloureuse -- ou encore un enthousiasme qui ne doit pas s'éteindre parce que sans l'énergie du créateur, l'entreprise meurt. Cela dit, un entrepreneur n'est pas forcément un grand patron.

A quoi ressemble la vraie vie d'un entrepreneur?

A rien que l'on puisse imaginer. Mon parcours a été très difficile : j'ai vécu quatorze années de galère pendant lesquelles mes entreprises ne marchaient pas. Pour payer les salaires, j'ai dû vendre ma voiture trois ou quatre fois, moi-même, je ne gagnais pas bien ma vie. Je ne pouvais même pas me payer un logement. A l'issue de ces quatorze années, je me suis retrouvé avec 330000 francs (50000 euros) sur le compte de la société... J'avais démarré avec 20 000 francs prêtés par mon père. C'est cela la vraie vie.

Quelles leçons avez-vous tirées de ces années?

Cette période a été superformatrice : j'ai appris que l'erreur était inhérente à notre métier. Et qu'elle n'est pas si grave : chaque erreur est une opportunité d'apprendre. L'essentiel, c'est de ne pas faire deux fois la même... Dans le monde de l'Internet, on s'est tous beaucoup trompé et on a tous réussi beaucoup de choses ! J'ai compris aussi que je ne serai jamais un manager, que je ne saurai jamais rien organiser et que mon entreprise ne pouvait être qu'une start-up. Si j'avais poursuivi mon activité d'origine ­ une SSII ­ je serais allé dans le mur. Et quand Meetic a commencé à grandir, j'ai embauché des managers. Un entrepreneur est d'abord là pour avoir plein d'idées, trop d'idées, donner plein d'énergie, trop d'énergie. Les process, c'est une autre histoire. Il faut avoir la sagesse d'accepter d'être entouré de gens meilleurs que soi. Ce n'est pas toujours facile quand on est le chef... Ce n'est pas non plus évident de convaincre des gens meilleurs que vous de travailler pour vous. Mais c'est le secret absolu de la réussite.

A vous entendre, être entrepreneur c'est être capable de ravaler son ego...

L'une des caractéristiques de l'entrepreneur, c'est de posséder un très gros ego. Même si on l'entame, il en reste toujours un peu !

Quel rôle les réseaux ont-ils joué dans votre carrière?

Certains entrepreneurs ont des réseaux, comme les anciens d'une même école... Ce n'est pas mon cas, je n'ai pas fait d'études, je n'ai pas créé mes premières entreprises à Paris. En revanche, j'ai eu des mentors. Comme Edmond Chaboche : il avait créé une des premières start-up au monde, en 1984, qui développait des applications pour le Minitel. Il a été mon premier et seul patron et il m'a donné envie de créer. D'autres aussi m'ont aidé, comme cet entrepreneur du BTP qui m'a prêté un local au début, puis un ancien prof de maths reconverti en homme d'affaires devenu mon client. Depuis, bien sûr, je me suis constitué un réseau, mais pour être franc, cela ne me sert pas à grandchose pour développer mon business. Cependant, je conseille aux jeunes qui se lancent de cultiver un réseau. Cela leur fera gagner du temps !

Quel est pour vous le signe de la réussite?

C'est le moment où votre idée commence à être rentable. Le but d'une entreprise, c'est de gagner de l'argent. Atteindre l'équilibre, et le dépasser, représente une étape majeure. Cela signifie que le projet fonctionne: peu importe s'il dégage un peu ou beaucoup d'argent. Démarrer la voiture et entendre le bruit du moteur, c'est un événement. Ce n'est pas si simple : sur les 42 sociétés aujourd'hui présentes dans le portefeuille de Jaïna, seulement cinq ont atteint l'équilibre.

Devient-on entrepreneur pour être riche?

Je ne connais pas beaucoup d'entrepreneurs qui font fortune. Le capital d'un entrepreneur, c'est son entreprise: avant de se payer des dividendes, il faut quinze ans. Avec Meetic, je ne me suis versé qu'une seule fois des dividendes, j'ai toujours tout réinvesti dans la société. J'ai gagné de l'argent le jour où j'ai vendu! Plus que l'argent, ce qui compte, c'est la liberté.

D'entrepreneur, vous êtes devenu investisseur. C'est un prolongement naturel?

On reste toujours entrepreneur : on réinvestit, comme on le ferait dans sa propre entreprise. Dans mon univers (Internet) et dans ma génération, les entrepreneurs n'accrochent pas des tableaux sur leurs murs, ils financent des projets. Nous rêvons tous de gagner plus d'argent, car nous n'en avons jamais assez au regard de nos idées. Pour ma part, je suis seul investisseur chez Jaïna. Cela me permet d'être plus libre dans mes choix : je n'ai de compte à rendre à personne et je prends davantage de risques avec mon argent qu'avec celui des autres. Je ne veux pas laisser d'héritage à mes enfants, ce ne serait pas leur rendre service. Je suis pour une redistribution des cartes à chaque génération avec une taxation maximum de l'héritage, à condition d'être moins taxé pendant qu'on travaille.

Quels sont vos critères pour investir dans une start-up?

Très classiquement, je regarde les dossiers, la qualité des équipes et des projets. Mais j'ai aussi des envies un peu irrationnelles. Par exemple, mon engagement dans Aztec, un fabricant de dameuses. Chez Jaïna, nous aimons bien casser les situations établies. Et j'aime beaucoup la montagne. Voilà un univers dans lequel la France est reconnue mondialement comme une référence, et pourtant il n'existe pas de fabricant tricolore d'engins de piste : un Italien et un Autrichien se partagent le marché. Un jeune entrepreneur français a décidé de créer une machine pour rivaliser avec ces deux géants. Nous avons investi dans son projet et racheté une usine abandonnée pour démarrer la production. L'industrie, c'est très dur, mais passionnant, extraordinaire de complexité et d'emmerdements. Par comparaison, dans le Web, nous avons été des enfants gâtés !

Le candidat à la création doit-il défendre son projet à tout prix?

Normalement, un vrai entrepreneur a tellement travaillé son idée, dans tous les sens, qu'il ne changera pas d'avis et pourtant, s'il est intelligent, il est capable de comprendre que quelqu'un a trouvé une faille dans son projet et de changer de braquet. Cette capacité à pivoter, c'est la marque des bons. A l'instar d'Yseulys Costes, la créatrice de 1000mercis, une agence de publicité et de marketing interactif. Elle a su évoluer par rapport à son projet initial et on voit avec quel succès. Il faut accepter d'être parti sur une mauvaise route. Si l'ego l'emporte, la boîte capote.

Vous avez révolutionné le marché de la rencontre, vous vous attaquez aujourd'hui à l'optique et aux auto-écoles. Pensez-vous qu'il reste encore beaucoup de monopoles à faire tomber?

C'est vrai que notre génération a un côté sale gosse, ou plutôt Robin des Bois. Elle profite du numérique : avec Internet, il est facile de bousculer les métiers traditionnels. Auparavant, il fallait des milliards d'euros. Aujourd'hui, un ordinateur et une ligne ADSL suffisent pour dynamiter des monopoles, c'est comme si vous aviez des armes atomiques entre les mains. Pour les dameuses, c'est plus compliqué: on sort du virtuel !

Que privilégiez-vous dans un dossier : la rupture technologique ou l'innovation marketing?

Les deux. Quand on s'attaque à un marché établi, il faut vendre un nouveau produit d'une nouvelle façon. Dès qu'il y a monopole ou duopole, il y a surcoût pour le consommateur, et donc une opportunité pour un entrepreneur innovant. Pour le reste, je me fie à mon instinct : si j'étais consommateur, est-ce que le produit m'intéresserait? Cela n'empêche pas de se tromper. Voilà trois ou quatre ans, on m'a proposé d'investir dans Aldebaran, une société de robotique. Je trouvais cela génial, mais je me suis dit : si je rapporte un robot à ma femme, que va-t-elle en faire ? J'ai renoncé et j'ai eu tort, car la société a été vendue à prix d'or aux Japonais.

Quels conseils donneriez-vous à des jeunes entrepreneurs en quête de financements?

Qui dit start-up dit risque. Ce n'est donc pas la peine d'aller voir du côté des banques : leur métier, c'est de prêter de l'argent à des gens qui n'en ont pas besoin, ce n'est pas de soutenir des entreprises qui ne dégagent pas encore de chiffre d'affaires. Une banque n'est pas là pour financer une société qui possède trois ordinateurs et le skate-board du fondateur ! Il faut donc commencer par le premier cercle : la famille, les amis, le réseau, ce qu'on appelle la love money. Ensuite, il faut se diriger du côté des business angels, puis des fonds. En France, il y avait un gros trou entre la love money et les premiers fonds. C'est ce manque que nous avons voulu combler avec Jaïna. Nous avons investi à ce jour 45 millions d'euros. Il faut avoir une notion de l'argent assez détendue : sur 42 entreprises du portefeuille, une douzaine peut-être survivra. Pour la fabrication des dameuses, j'ai, pour la première fois, besoin des banques. Je fonde beaucoup d'espoir sur la BPI. Je ne peux pas porter un projet industriel tout seul. J'ai moi-même déjà investi 8 millions d'euros et il nous faudrait 10 à 12 millions de plus. Relancer une usine, c'est du lourd !

En octobre 2012, vous disiez que la France est un pays anti-entrepreneurs. Poseriez-vous le même diagnostic aujourd'hui?

Franchement, il y a eu un virage depuis janvier dernier. Le pire moment a été la campagne électorale ­ j'ai été à deux doigts de partir ­ et les deux années qui ont suivi, avec l'épisode des Pigeons. Le Pacte de responsabilité représente un tournant. Le climat a changé, comme si enfin, en France, on comprenait qu'il existe un lien entre l'emploi et les entreprises. Maintenant, il suffirait de trois réformes simples pour que l'économie reparte. D'abord, baisser le taux d'imposition sur les bénéfices non distribués, à 25 % par exemple, ce qui ferait revenir les entreprises. Ensuite, remanier l'ISF, qui a fait fuir des milliers d'entrepreneurs, en incluant dans l'assiette tout ce qu'on veut (tableaux, maisons) sauf les entreprises ; car une entreprise qui vaut dix aujourd'hui peut valoir un demain. Enfin, défiscaliser tout euro investi dans les entreprises jusqu'à ce que cela devienne de l'argent.

L'entrepreneuriat, c'est LE remède au chômage selon vous?

J'ai lancé ma première boîte en 1984 parce que je ne trouvais pas de boulot. Par nécessité. Vous n'êtes pas obligé de construire une multinationale. Créer son job, sur le plan de l'épanouissement personnel, c'est formidable. Nous n'aurons pas le choix. Des entreprises qui vont embaucher 40 000 salariés, on ne va plus en voir émerger beaucoup en France. Nous avons davantage de chance de développer 40 000 sociétés d'une personne ! Grâce au numérique, tout sera réinventé, la notion même d'emploi sera pulvérisée. Pour inventer, il faut être libre et pour être libre, il faut être entrepreneur.

Marc Simoncini en 12 dates

1963 Naissance le 12 mars à Marseille.

1984 Diplômé de l'école d'informatique Supinfo.

1984 Création de sa première entreprise, Communication Télématique Bourgogne.

1989 Création de la SSII Option Innovation.

1998 Lancement du portail iFrance.

Avril 2000 Revente d'iFrance à Vivendi pour 182 millions d'euros.

Novembre 2001 Création de Meetic.

Octobre 2005 Introduction en Bourse de Meetic, valorisé 500 millions d'euros.

Décembre 2009 Lancement du fonds d'investissement Jaïna Capital.

Mars 2011 Rachat de Lentillesmoinscheres. com et lancement de Sensee.

Septembre 2011 Départ de son poste de PDG de Meetic.

Novembre 2013 Cofondateur de l'initiative 101 projets pour soutenir les jeunes entrepreneurs.

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