Les entreprises de presse et les médias sociaux ont des relations de plus en plus interdépendantes. Ce sujet s’est trouvé au centre d’une conférence délivrée à l’Institut Reuters de l’université d’Oxford, vendredi 21 novembre.
Invitée de cette conférence, Emily Bell, ancienne responsable des éditions numériques du Guardian et directrice du Tow Center, un centre de recherche sur le journalisme en ligne rattaché à l’école de journalisme de Columbia (Etats-Unis), a tenté de résumer les points de friction entre ces deux mondes.
Le constat est simple : les médias sociaux sont utilisés par un nombre toujours plus important de personnes, et de plus en plus pour accéder à l’information. Un sondage du Pew Center estime ainsi que 30 % des Américains utilisent Facebook pour s’informer. « S’il y a une presse libre, a déclaré Mme Bell, les journalistes n’en sont plus responsables. »
Cette dépossession – au bénéfice des ingénieurs qui programment l’affichage des contenus sur les réseaux sociaux – est actuellement largement commentée. Par exemple par Zeynep Tufekci, chercheuse associée au Centre pour l’étude des politiques technologiques de Princeton. Au moment des émeutes à Ferguson, après le meurtre d’un jeune Noir par un policier, cette sociologue s’est étonnée que les informations partagées instantanément sur Twitter n’émergent que le lendemain sur Facebook, en raison des paramètres de son algorithme. L’occasion pour la chercheuse de s’interroger sur la manipulation potentielle et l’absence de transparence quant au fonctionnement de cet algorithme.
« Décision éditoriale »
Appelé EdgeRank, l’algorithme de Facebook se fonde sur près de 100 000 paramètres différents pour déterminer ce qui est montré ou non à ses utilisateurs dans leur fil d’actualité. Ce qui fait dire à Emily Bell que « l’homme de médias le plus puissant en ce moment est Greg Marra, le responsable produit du Newsfeed de Facebook. »
Les critiques envers ce « newsfeed » se sont multipliées ces dernières semaines, par exemple à l’occasion d’une étude réalisée en modifiant les messages montrés à certains utilisateurs pour mesurer l’influence de ces messages sur leur humeur. Ou encore après une autre étude estimant que Facebook pouvait jouer un rôle – marginal – sur l’abstention.
Cet affichage calculé des contenus n’est pas l’apanage de Facebook. Récemment, Twitter a annoncé pouvoir ajouter dans les flux de ses utilisateurs des messages de personnes qu’ils ne suivent pas.
« A chaque fois qu’un algorithme est modifié, une décision éditoriale est prise », juge Mme Bell. Parmi les solutions qu’elle préconise : avoir des journalistes capables de faire de la rétro-ingéniérie sur les algorithmes, de demander plus de transparence à ces entreprises – alors que leurs algorithmes sont parmi les secrets industriels les mieux gardés – et de créer de nouvelles plateformes.
Un point qui laisse Jeff Jarvis, spécialiste américain des médias, dubitatif : « Si on regarde nos performances récentes, je doute que nous [les journalistes] puissions créer notre propre technologie. » Pour lui, si les médias ont contrôlé jusqu’ici l’intégralité de la chaîne de production et de diffusion de l’information, rien n’indique qu’il faille la maintenir ainsi.
En écho, Mathew Ingram, journaliste et fondateur de Gigaom, site dédié aux nouvelles technologies, croit que le journalisme « prendra la forme que les lecteurs de sites d’actualité veulent lui voir prendre ».
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