Ripolinage

Elisabeth Borne réhabilite les réformes des retraites et de l'assurance chômage

Au micro de France Info mardi matin, la ministre du Travail a tenté de présenter ces deux réformes très décriées à gauche comme des avancées sociales.
par Frantz Durupt
publié le 5 janvier 2021 à 15h07

N'allez surtout pas dire que le gouvernement ne fait rien pour les précaires dont les galères se sont aggravées depuis le début de la crise sanitaire et économique. C'est même tout le contraire si l'on en croit la ministre du Travail, Elisabeth Borne, qui s'est appliquée ce mardi matin sur France Info à ripoliner deux des réformes les plus contestées du gouvernement afin de les faire apparaître comme des avancées sociales.

La réforme des retraites, plongée dans un coma profond depuis le mois de mars ? «On en a besoin pour avoir un système plus lisible, plus juste», a défendu Elisabeth Borne, évoquant les «travailleurs de la deuxième ligne», «ceux qui ont des carrières hachées», qui seraient «les plus pénalisés par le système actuel», et donc les premiers bénéficiaires du nouveau système universel à points. L'argument n'est pas nouveau ; il a d'ailleurs été largement débattu au début de l'année 2020, une grande part de ces travailleurs étant des femmes. Mais le discours de la ministre du Travail tranche avec celui de son comparse chargé de l'Economie, Bruno Le Maire, qui défendait il y a un mois la nécessité d'une réforme non pas pour apporter de la justice sociale, mais pour rééquilibrer les comptes publics. Une position encore critiquée dimanche par le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, qui a averti dans le Journal du dimanche : «Si pour diminuer la pauvreté, redonner du pouvoir d'achat et sauvegarder l'emploi, le gouvernement considère que la seule solution reste de réformer les retraites, il joue avec le feu et fait un pari risqué. Très risqué.»

Une réforme de l’assurance chômage «prioritaire»

La position d'Elisabeth Borne s'explique sans doute, en partie du moins, par le fait que c'est elle, et pas Bruno Le Maire, qui doit rouvrir et mener les futures discussions avec Philippe Martinez et ses homologues sur le sujet. Mais en attendant que cette réforme au destin plus qu'incertain leur apporte des bénéfices tout aussi incertains, les fameux «travailleurs de la deuxième ligne» doivent donc prendre leur mal en patience : sans augmentation significative du smic, salaire qu'ils sont nombreux à percevoir, ils font pour le moment l'objet d'une «mission» qui doit identifier «les métiers et les branches pour lesquels des négociations seront conduites lors de l'année 2021», selon le ministère du Travail.

Plus inattendu : voilà que la réforme de l'assurance chômage bénéficierait elle aussi aux précaires qui morflent depuis le début de la crise, selon Elisabeth Borne. Reporté jusqu'à avril 2021, le texte doit faire l'objet de nouvelles discussions avec les organisations syndicales et patronales dans la deuxième quinzaine du mois de janvier, a annoncé la ministre du Travail, se montrant ouverte à des modifications substantielles. En attendant, «je pense que c'est prioritaire de mener à bien cette réforme», a-t-elle dit, expliquant que son «objectif, c'est de lutter contre la précarité, notamment du fait d'un recours excessif aux contrats courts». Tel est en effet le sens du système de bonus-malus élaboré pour taxer les entreprises abusant des CDD, que le patronat conteste. Mais alors, si cette réforme est si bonne, pourquoi donc a-t-elle été suspendue jusqu'au mois d'avril, et pourquoi donc doit-elle faire l'objet de nouvelles discussions ? Peut-être parce que ce système de bonus-malus, qui pourrait d'ailleurs n'avoir aucun impact sur les comptes des entreprises avant 2023, n'est pas l'aspect le plus central du texte, contrairement a ce qu'a pu laisser entendre la ministre du Travail ce mardi.

«Atteinte au principe d’égalité»

De fait, lors de la présentation de la réforme durant l'été 2019, l'esprit affiché de la réforme était tout autre. S'appuyant sur une conjoncture économique bien différente, la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, expliquait à l'époque que «quand le marché est dynamique, il faut retourner à l'emploi». Elle promouvait alors un nouveau mode de calcul de l'indemnisation qui allait frapper directement au portefeuille les fameux précaires dont le gouvernement prétend aujourd'hui se préoccuper, ceux qui alternent les contrats courts et les périodes d'inactivité. Ce qu'ont toujours dénoncé l'ensemble des syndicats, et que le gouvernement lui-même a semblé admettre en annonçant dès le mois de mars un report de cette mesure, justifié par la nouvelle donne économique.

Pourtant, ce mardi, Elisabeth Borne a expliqué que la réforme vise à établir «plus d'équité, parce qu'aujourd'hui, [selon que] vous êtes un salarié qui travaille un jour sur deux à temps plein, ou [un salarié] qui travaille tous les jours à mi-temps, vous n'avez pas du tout la même allocation chômage». Une analyse que ne partage visiblement pas le Conseil d'Etat : en novembre, il a déclaré illégal le nouveau mode de calcul de l'indemnisation, en estimant justement… qu'il pouvait porter «atteinte au principe d'égalité». Ce qui oblige le gouvernement à retravailler son texte. Malheureusement, ce mardi matin, les auditeurs de France Info n'ont rien su de ce contretemps juridique qui ébrèche la posture sociale affichée par la ministre du Travail.

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