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La discrimination à l’embauche passe aussi par les profils Facebook

Des candidats affichant de manière publique sur leur profil les langues qu’ils parlent et leur ville d’origine peuvent être victimes de discrimination « au profil ».

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Publié le 23 octobre 2014 à 20h32, modifié le 19 août 2019 à 14h31

Temps de Lecture 4 min.

Un employé de Facebook.

Ce n’est plus une surprise : dans sa vie professionnelle, les résultats s’affichant lors d’une recherche Internet sur son nom font partie des éléments à contrôler afin d’éviter des conséquences potentiellement néfastes sur une carrière, ou une recherche d’emploi.

Dans ce contexte, les profils sur les réseaux sociaux, et en premier lieu Facebook, où se connectent chaque mois 28 millions de Français, peuvent avoir un rôle bien précis. C’était en tout cas l’hypothèse des chercheurs Nicolas Soulié, Matthieu Manant et Serge Pajak, de l’université Paris-Sud. Pour la vérifier, ils ont conduit une étude visant à démontrer que les informations visibles sur un compte Facebook pouvaient avoir des effets pendant un processus de recrutement.

La conclusion de leurs travaux (accessibles en ligne) est sans appel. « Le profil Facebook fait désormais partie d’un dossier de candidature. Les gens doivent en être conscients, et l’intégrer lorsqu’ils cherchent un emploi », décrit Nicolas Soulié.

De faux profils (pour la science)

Les chercheurs de Paris-Sud ont mis en place un test grandeur nature, grâce à plusieurs profils Facebook fictifs, dans le cadre d’un projet financé par l’Agence nationale de la recherche.

Pendant un an, ils ont envoyé 837 candidatures au nom de fausses personnes, répondant à des postes de comptables dans la région parisienne référencés dans la base de données de Pôle emploi. De mars 2012 à septembre 2012, la moitié des candidatures ont été envoyées au nom de « Stéphane Marcueil » ou de « Thomas Marvaux ». D’octobre 2012 à mars 2013, elles ont émané de « Julien Bautrant » ou de « Nicolas Bautrant ».

Ces quatre « personnes » ont postulé à ces offres d’une manière rigoureusement identique. Leur curriculum vitæ (CV) et leur lettre de motivation, bien qu’adaptés à l’entreprise concernée, présentaient tous des caractéristiques similaires (bac + 3, trois expériences de stages, permis de conduire, logement dans le 15e arrondissement de Paris).

La seule différence entre ces candidats fictifs ne pouvait être remarquée que dans un cas précis : en tombant sur les faux profils Facebook à leurs noms, conçus par les chercheurs pour apparaître dans les premiers résultats d’une recherche Google. Les pages des candidats affichaient alors, de manière publique, les mêmes photos et la même allure, avec, cependant, une variation en ce qui concerne l’origine et la langue pratiquée. Deux profils affichaient être nés à Marrakech et parler arabe, et deux autres indiquaient être nés à Brive-la-Gaillarde et pratiquer l’italien.

Les deux profils Facebook des candidats fictifs.

La langue et la ville, facteurs de discrimination

« Malheureusement, la littérature [de recherche] a déjà démontré que les personnes d’origine étrangère connaissent, à compétences égales, une discrimination à l’emploi », précise Nicolas Soulié, en se référant à une publication sur le sujet de Nicolas Jacquemet et d’Anthony Edo. « A la base, nous souhaitions effectuer nos travaux avec des profils Facebook qui auraient montré, ou non, des photos problématiques, des goûts musicaux extrêmes ou, pourquoi pas, des preuves d’une consommation de drogue. Mais aucune recherche universitaire n’a encore démontré que ces éléments avaient un impact concret sur une recherche d’emploi. »

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« Nous pouvions nous attendre à un impact négatif sur les chances que les candidats nés à Marrakech soient rappelés par les employeurs », explique également l’étude produite, citant les travaux d’Emmanuel Duguet et de Philip Oreopoulos sur les discriminations professionnelles pour corroborer leurs propos.

La première vague de tests, effectués entre Thomas Marvaux (né à Brive-la-Gaillarde et parlant italien) et Stéphane Marcueil (né à Marrakech et parlant arabe), a confirmé cette attente : de mars à septembre 2012, sur 230 candidatures envoyées, Thomas Marvaux a obtenu 49 réponses positives (c’est-à-dire, une réponse du recruteur dans le but de prolonger le processus d’embauche), soit un taux de 21,3 %. Pour Stéphane Marcueil, ce taux est tombé à 13,4 %, avec 31 réponses positives sur 232 candidatures envoyées.

« D’une manière statistique, si un pourcentage est 1,5 fois supérieur à l’autre, la différence est suffisante pour être significative », détaille Nicolas Soulié. Selon lui, le résultat établit la preuve qu’une « petite information sur Facebook a fait varier les taux d’une manière importante, même si elle n’a rien à voir avec les compétences professionnelles. Et quand on sait que les gens font des blagues sur Facebook – on peut très bien dire être né à Marrakech pour faire rire les copains, cela pose des questions sur le sérieux des informations prises en compte par certains recruteurs ».

Une nouvelle présentation moins gênante ?

Pour la deuxième vague de tests entre Julien Bautrant (né à Brive-la-Gaillarde et parlant italien) et Nicolas Bautrant (né à Marrakech et parlant arabe), les résultats furent plus complexes à établir : la période d’envoi des candidatures a coïncidé avec un changement dans la présentation des profils Facebook.

Avec l'ancienne présentation du profil, la langue pratiquée est visible.
Après le passage au nouveau profil : la langue pratiquée a disparu.

Avant cette évolution, les taux de réponses étaient similaires à ceux constatés au début de l’expérience : Julien Bautrant (né à Brive-la-Gaillarde et parlant italien) avait reçu 16 % de taux de réponse positive aux 81 candidatures envoyées, tandis que Nicolas Bautrant (né à Marrakech et parlant arabe), en avait reçu 7,1 %.

Après déploiement du nouveau profil Facebook, les résultats se sont renversés : le premier a reçu 8,3 % de réponses positives aux 109 candidatures envoyées, contre 13 % sur les 115 candidatures du second.

Un tel renversement s’explique, selon les chercheurs, en raison d’un effet de bord de l’affichage du nouveau profil Facebook : le signal le plus important de cette expérience (la langue parlée par le faux candidat) a été relégué dans une autre section, moins visible au premier coup d’œil.

« La langue parlée est un élément central du processus de discrimination : si vous parlez une langue étrangère, cela veut dire que vous appartenez vraiment à la culture d’un autre pays, et cela peut être considéré comme une information négative », avance Matthieu Manant pour expliquer l’effet d’une nouvelle configuration du profil.

Dans tous les cas, le fait qu’une évolution de la présentation d’un compte Facebook change la manière dont se comportent les recruteurs avec un même candidat est une nouvelle preuve chercheurs. « On peut le regretter, mais un profil Facebook est consulté. Mais ce n’est pas forcément négatif, il suffit d’apprendre à s’en servir : on peut d’abord nettoyer les informations sensibles, ou les rendre inaccessibles au grand public, mais aussi en jouer et afficher des éléments pouvant être considérés positivement par un recruteur », conseille Nicolas Soulié.

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