Quand les réseaux sociaux empêchent la rupture amoureuse

Par Amandine Grosse
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Difficile d'oublier l'autre quand Facebook ou Instagram nous renvoient sans cesse son image. De l'incapacité à déconnecter à la tentation d'espionner, comment surmonter ces nouveaux bouleversements amoureux que tissent les réseaux sociaux ?

Les réseaux sociaux peuvent avoir du très bon (partager des photos de vacances, prendre des nouvelles des amis qui habitent loin, regarder des vidéos amusantes...), mais ils ont aussi du très mauvais. Notamment lors d'une séparation amoureuse. 

"Avant, on avait une ligne fixe et une adresse postale. On se quittait, on prenait nos cliques et nos claques. Aujourd'hui, on checke Facebook, Twitter et Instagram. On regarde les like, les comments, les tags. Où êtes-vous ? Que faites-vous ? Mais avec qui surtout. » Pauline, 27 ans, a listé, le temps d'un billet sur son blog1, les travers de nos existences connectées lorsqu'il s'agit de se séparer. Si autrefois, il suffisait de snober sa boîte à lettres et de débrancher son répondeur ; aujourd'hui, la rupture est double : à l'épreuve réelle viennent se greffer les codes du virtuel. Voir sa vie à deux figée dans l'historique de sa vitrine 2.0, se confronter à la vie de l'autre à travers son quotidien "instagrammé", épier son "ex" sur Facebook... et le supprimer de ses contacts pour entamer un deuil amoureux que la Toile nous empêche d'accomplir sereinement. Telles sont les nouvelles problématiques auxquelles l'homo numericus est désormais confronté.

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Peut-on rompre à l'ère des réseaux sociaux ? Quels impacts ont les liens du Web au moment où on doit oublier l'autre ? Comment balayer le passé quand notre réseau intime, hanté par notre ex-moitié, s'est tissé depuis des années sur la Toile ? A "La difficulté à "e-couper" les ponts avec l'autre se pose systématiquement lorsque mes patients connectés évoquent l'épreuve de la séparation", note la psychologue Lisa Letessier2. Et c'est d'autant plus compliqué à vivre pour la personne quittée." Or, "plus nous sommes liés à une personne, plus elle est investie dans nos vies 2.0 », souligne son confrère Yann Leroux (3). Et si la séparation reste un moment intime, l'annonce de la rupture s'affiche aux yeux de tous sur nos réseaux sociaux et engendre automatiquement des commentaires.

Couper vite les liens virtuels 

Selon une étude réalisée par Lab42 en 2012, 52 % des personnes interrogées ont mis à jour leur statut relationnel immédiatement après leur rupture. Un chiffre significatif lorsqu'on sait que seuls 19 % d'entre elles ont attendu d'en parler à leurs amis, et que 9 % ont veillé à ce que leur ex change le sien avant de modifier le leur. Et quand vient le moment de supprimer de notre compte Facebook celui ou celle qui, naguère, occupait 70 % de nos images taguées, nombreux sont ceux qui se braquent à l'idée de déconnecter. "Une rupture c'est comme une petite mort. Cela renvoie à des angoisses archaïques. Lorsqu'on supprime l'autre de Facebook, on annule son existence. On lui adresse le message suivant : "Pour moi, tu es mort virtuellement." Cela peut être vécu violemment", constate Lisa Letessier.

Charlotte, 35 ans, séparée de son compagnon après sept ans de relation, évoque cet instant clé : "Quand j'ai supprimé mon ex de mes amis sur Facebook, il m'a aussitôt appelée en pleurant. Pour lui, c'était pire que tout" Une réaction excessive qui peut prêter à sourire mais qui souligne la nécessité à apprivoiser, via la Toile, de nouveaux codes post-rupture.

Si, à l'image de la vie réelle, il faut faire le ménage dans son existence virtuelle (retirer ses photos de couple, supprimer son ex-compagnon de ses contacts, etc.), le protocole a son importance : "Il est préférable que la personne quittée supprime tout avant l'autre, conseille Lisa Letessier. Car, dans la situation inverse, cela peut être humiliant ou dévalorisant. Elle peut se sentir dépossédée de son rituel de deuil." Sans compter que, sur les réseaux sociaux, "la mise en scène de notre vie sociale et amoureuse laisse des traces publiques de notre couple fraîchement séparé", observe le psychanalyste Michael Stora4.

 

A l'aube de leurs 30 ans, Louis décide de quitter Marion, après quatre ans de vie commune. Un choc brutal pour la jeune femme. "En colère, je l'ai aussitôt supprimé de mes réseaux sociaux. J'imposais mon choix et je montrais que je n'avais plus besoin de lui. J'ai néanmoins demandé à deux de mes amies de ne pas l'occulter de leurs sphères virtuelles. J'avais recruté mes espionnes , et je pouvais ainsi grappiller quelques bribes de sa vie." Internet serait-il devenu le 007 de notre vie intime ? Selon une étude réalisée en 2012 par Veronika Lukacs5, 90 % des utilisateurs de Facebook se servent du réseau social afin de garder un oeil sur leur ex.

Aujourd'hui, nul besoin de jouer les détectives tous terrains, il suffit de regarder par les fenêtres du Web pour deviner son quotidien et spéculer sur ses états d'âme. "Nous succombons à la tentation de fouiller dans la vie de l'autre car nous n'avons plus de contrôle sur lui", analyse Yann Leroux. Et quand bien même nous tenterions d'effacer sa présence de nos écrans, l'effet "Toile" viendrait entraver nos stratégies d'évitement. Car si nous supprimons nos liens directs avec notre ex-conjoint, nos amis et les amis de nos amis peuvent poster des photos, liens, commentaires qui font écho à notre couple passé. "Il est plus difficile de faire le deuil de la relation que de faire le deuil de l'autre", précise Michael Stora.

Tout ce qui nous rappelle sa figure (photo, objet, odeur...) empêche de cicatriser. "Durant la première phase de séparation, on lutte contre soi-même, et les souvenirs idéalisés nous tyrannisent. Or tout le travail psychique du deuil consiste à accepter que l'autre disparaisse", poursuit le psychanalyste. Gare, alors, aux effets pervers de la vie rêvée postée sur Facebook.

Son profil comme une drogue

Durant les premières semaines suivant leur séparation, Mitia, 37 ans, n'a pas réussi à supprimer son ex-mari de ses réseaux sociaux : "J'y voyais des photos de lui à l'apéro, avec mes ex-amis, en vacances en Sicile, en week-end à Deauville... toujours avec le sourire et souvent bien accompagné." Face à cette existence fabuleuse que lui infligeait l'homme qui a partagé sa vie, Mitia renchérissait : "Je me surprenais à mettre en scène ma vie pour qu'il voie à quel point, moi aussi, j'allais bien. Même si, en réalité, il m'arrivait de pleurer, roulée en boule sur mon canapé. C'était une sorte de compétition malsaine alimentée par des photos et des statuts volontairement positifs." 

Quelques mois plus tard, elle tombe sur un cliché sans équivoque, sobrement titré : "Love, love, love à Barcelone". "Cela m'a fichu une claque, mais au moins Facebook avait été, pour une fois, utile en me connectant à cette réalité. " Alors pourquoi tardons-nous à déconnecter ?

Certains de mes patients vont jusqu'à consulter le profil Facebook de leur ex vingt fois par jour. Cela peut devenir obsessionnel 

Doit-on rester amie avec son ex sur Facebook ? Une question sur laquelle la psychologue Tara Marshall et son équipe de chercheurs de la Brunel University, à Londres, se sont penchées : après avoir mis en relation les comportements virtuels de 464 utilisateurs de Facebook avec leur vie émotionnelle, l'étude confirme que maintenir un contact via les réseaux sociaux complique le processus de guérison. "Certains de mes patients vont jusqu'à consulter le profil Facebook de leur ex vingt fois par jour. Cela peut devenir obsessionnel, observe Lisa Letessier. L'illusion de contrôler la situation en restant connecté à l'existence virtuelle de son ex est très toxique. Cela revient à subir sans cesse une piqûre de rappel de sa vie passée. On peut comparer cela à de la toxicomanie." 

Une détox digitale serait-elle le remède à nos maux post-séparation ? Car, outre ces liens pervers qui ne nous aident pas à tourner la page, "les réseaux sociaux s'imposent comme le théâtre de notre descente émotionnelle", précise Michael Stora. Au terme de son billet, Pauline l'affirme : elle s'en sortira. Et sourira même en repensant à tout cela. Mais avant de tourner la page, elle avoue qu'une question la taraude : que vont bien pouvoir encore inventer les nouvelles technologies pour nous "enfermer dans cette bulle où il est terriblement dur de vous zapper" ?

1. « Fernande & René », www.fere.fr/la-rupture. 2. « La rupture amoureuse », éd. Odile Jacob. 3. Psychologue, spécialiste d'Internet et auteur du blog « Psy et geek », www.psyetgeek.com. 4. Membre de l'Observatoire des mondes numériques en sciences humaines, www.omnsh.org. 5. « It's complicated, Romantic breakups and their aftermath on Facebook », University of Western Ontario.s

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