Pédagogie inversée, disparition des notes, outils multimédias, relaxation... Une trentaine d'enseignants ont répondu à l'appel à témoignages publié le 9 septembre par LeMonde.fr. sur leurs méthodes pour « changer l'école au quotidien ». Nous en publions ici une sélection.
- « J'ai commencé à apporter ma guitare en classe », par Mike, professeur d'anglais d'origine anglo-saxonne à Vallabrix (Gard).
« Au collège, je me suis très vite rendu compte que les méthodes proposées par les grands éditeurs ne sont ni très efficaces ni très appréciées par les élèves. Il est par ailleurs impossible de faire parler chaque élève dans les cinquante minutes qui me restent après avoir fait l'appel et mis les enfants au travail. Dans une classe de 30 élèves, il y a moins de deux minutes par élève ! J'ai commencé à apporter ma guitare en classe. Comme ça tous les élèves parlaient (ou plutôt chantaient) pendant une grande partie du cours. Les chansons connues servent plutôt à embrouiller les choses – trop de points de grammaire différents dans une seule chanson. Donc j'ai composé des chansons de rock, reggae et funk qui traitaient chacune un point de grammaire différent. Les parents m'ont fait des remarques positives : « Mon enfant chante en anglais dans la salle de bain » ou « quand on voyage on prend le CD avec nous et toute la famille chante dans la voiture ». Maintenant on peut trouver cette méthode en ligne. »
- « Les élèves s'enregistrent sur des lecteurs MP3 », par Emilie, 30 ans, professeur d'anglais dans l'Essonne.
« Ces trois dernières années, dans ma zone de remplacement en Essonne, on est passé à l'heure du numérique. Les élèves s'enregistrent sur des lecteurs MP3, se filment à la maison pour un casting d'une télé-réalité, ou corrigent ensemble les notes de cours prises sur notre blog pédagogique. Il s'agit de confier à la classe la clé d'un apprentissage où l'union fait la force, pour éviter la situation bien connue du prof qui « corrige » et des élèves qui se « trompent ».
Par ailleurs, la réalisation de cartes de jeu et Trivial Pursuit édition spécial bac connaissent chaque année un franc succès. Les collègues sont sollicités pour alimenter les cartes et c'est l'occasion de jouer avec les élèves pendant la semaine de révision pour bien les préparer, sans stresser ! Ces activités demandent un petit brin de folie qu'on ne croise pas souvent en salle des profs, que les conditions de travail accablent. Certes il faut s'investir, adapter les contenus, apporter son matériel et quand on est TZR [titulaire en zone de remplacement], on a bien mal aux pieds. Mais une classe de lycéens du 91 qui« ne fout pas le dawa » et se laisse prendre au jeu, ça n'a pas de prix ! »
- « Nos classes de 6e ne sont plus évaluées par notes chiffrées », par Christophe, 56 ans, professeur de français à Dieppe.
« Nos quatre classes de 6e ne sont plus évaluées par notes chiffrées mais par compétences. Ayant débuté en cette année 2014, il est trop tôt pour les estimer mais j'ai déjà pu constater chez certains élèves un soulagement et une libération psychologique. Les seules difficultés rencontrées viennent des parents, habitués aux notes chiffrées. Formatés pendant leur scolarité, ils craignent de ne plus pouvoir suivre les progrès de leurs enfants. Ces craintes sont rapidement balayées après une réunion au collège. A titre personnel, il est également parfois difficile de s'empêcher d'établir une correspondance entre une appréciation sur une copie et une note chiffrée. D'ailleurs les élèves au début demandent : « Ça ferait combien en chiffres m'sieur? », ce à quoi il ne faut surtout pas répondre ! »
- « Les élèves travaillent les notions du programme en amont du cours », par Nicolas et Christophe, 29 ans, enseignants en sciences économiques et sociales à Paris.
« Depuis un an, nous menons dans chacun de nos établissements un projet de pédagogie inversée en classes de première ES et de terminale ES. Ce projet est basé sur l'utilisation de courtes vidéos, mises en ligne sur Internet et visionnées par les élèves avant le début de chaque séquence. Ils travaillent les notions du programme à leur rythme en amont du cours, en remplissant un questionnaire à partir de leur visionnage. En classe, l'enseignant corrige le questionnaire, répond aux questions des élèves puis les met en activité (par îlots de quatre élèves) autour d'exercices problématisés leur permettant de réinvestir les notions contenues dans la vidéo, pour qu'ils se les approprient.
Les élèves élaborent ainsi leur trace écrite dans une relative autonomie, tout en étant accompagnés par l'enseignant qui circule entre les différents îlots d'élèves et vérifie qu'ils progressent dans leurs apprentissages. Le travail de groupe est encouragé, tout en étant encadré, notamment en ce qui concerne la durée des activités. A l'issue des activités, une synthèse est réalisée par chaque groupe et permet de répondre à la problématique posée en début de cours. »
- « Le temps libéré en classe permet d'organiser des activités, des projets et des échanges », par Olivier, 47 ans, professeur certifié d'histoire-géographie à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques).
« Mes élèves reçoivent toutes les ressources sur mon site spécialement conçu pour mon enseignement depuis 2008 : les cours, des fiches repères, des documents audiovisuels, des cours enregistrés en MP3 pour les élèves dyslexiques par exemple, des QCM et des quizz en ligne pour s'auto-évaluer, des liens... Les cours ne sont plus copiés en classe mais tous les savoirs et savoir-faire de l'enseignant sont consultables au domicile. J'ignorais que mon « innovation » portait le nom de « classe inversée », expérimentée notamment au Canada. Le temps libéré en classe permet d'organiser des activités, des projets et des échanges qui donnent un sens à l'enseignement et aux rapports enseignant-enseignés.
Beaucoup de possibilités sont offertes, ajustables en fonction des niveaux, des intérêts et même du temps scolaire : travaux dirigés, étude de cas, recherche, exposé, croquis, carte mentale, tâche complexe… La finalité est de passer d'un modèle vertical centré sur le professeur à un modèle horizontal centré sur les élèves et leur professeur (classe modulée en îlots) afin de répondre aux besoins individuels tout permettant de travailler avec un groupe. »
- « Trois à quatre minutes de relaxation en début de classe », par Laurent, enseignant à Saint-Dizier (Haute-Marne).
« Je suis enseignant en collège Eclair [le dispositif d'éducation prioritaire]. Les élèves rentrent souvent agités en classe. J'ai choisi de les accueillir par trois à quatre minutes de relaxation. Celle-ci est basée sur les apprentissages car elle permet aussi de faire visualiser une œuvre d'art. Concrètement, les élèves ferment les yeux, écoutent de la musique classique puis imaginent une œuvre que je leur décris. Beaucoup d'enseignants attendent plusieurs minutes le calme avant de commencer le cours ; au contraire de certains, je commence tout de suite par cette micro-séance apaisante. Les élèves sont ensuite plus calmes et démarrent plus vite les apprentissages. Ce sont souvent eux, dès le couloir, qui me réclament de la relaxation. »
- « Un questionnaire à remplir à la fin du trimestre », par Alain.
« Dans mes classes de collège ou de lycée, j'ai souvent proposé aux élèves, à la fin du trimestre, un questionnaire dans lequel je leur demandais de donner leur ressenti de l'attitude du professeur et de son enseignement à travers une série d'items comme : « Je pense que le professeur parle vite », « je pense que le professeur fait travailler », « je pense que le professeur est sévère », « je pense que le professeur est juste ». Pour chaque item, les élèves étaient invités à choisir entre « trop », « convenablement » et « pas assez ». A quelques rares exceptions près, les élèves jouent le jeu avec sérieux et pertinence. Les réponses permettent d'avoir une vue à la fois synthétique et analytique de la perception par les élèves de l'enseignement qu'ils reçoivent, notamment de repérer incompréhensions et sentiments d'injustice, et d'apporter les améliorations nécessaires. Enfin, le climat collectif de la classe se trouve souvent modifié de façon positive. Une relation de confiance avec le professeur s'instaure à travers cette co-évaluation. Au vu de ces évolutions favorables, élèves et parents, d'abord surpris, ont vite accepté. L'administration, elle, a laissé faire, liberté pédagogique oblige. Seuls quelques collègues y ont vu un quasi sacrilège… »
- « Mettre en scène des extraits de L'Odyssée d'Homère », par Sarah.
« Enseignante depuis seulement quelques années, j'ai tenté de sortir un peu des sentiers (re)battus avec des 6e. Il s'agissait de mettre en scène des extraits de L'Odyssée d'Homère. Objectif ambitieux et classe difficile : les deux semblaient inconciliables ! Et pourtant... Malgré bien des complications (les élèves s'insultaient parfois sur scène, ne comprenaient pas les textes, se moquaient les uns des autres), le résultat fut magique. Pour y arriver, il a fallu énormément de patience, la collaboration de plusieurs collègues pour créer du lien entre nos disciplines afin de donner du sens au projet, l'intervention d'une professionnelle de la mise en scène, deux beaux spectacles montés par des professionnels pour un jeune public (un de danse, un de théâtre). C'était du travail, mais le jeu en valait la chandelle. Les élèves y ont gagné en confiance en eux (tous ont joué un petit rôle, même les timides, même les « pas scolaires »), en cohésion de groupe, et ont réellement découvert le théâtre. Les héros antiques leurs sont devenus familiers. Les parents d'élèves se sont montrés très fiers de leurs enfants. Et l'expérience fut tellement enrichissante que je la réitère cette année autour de la littérature africaine. »
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