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Sexe et contrat de lecture, la chronique du médiateur du « Monde »

La chronique du médiateur. Outrés, choqués, furieux, vous avez été plusieurs dizaines à nous écrire, allant jusqu’à menacer de vous désabonner dans l’heure après la couverture de « M » sur Rocco Siffredi.

Publié le 23 juin 2016 à 10h43, modifié le 29 juin 2016 à 13h40 Temps de Lecture 5 min.

Marie-Pierre Lannelongue : « Pour les images, nous avions demandé au photographe Matteo Montanari de montrer tout Rocco. Tout ? Oui tout. Etant entendu que M. Siffredi se prévaut d’un “outil de travail” de dimension titanesque et qu’il en a fait un objet, presque un personnage. Il fallait voir ça ! »

Comme on pouvait s’y attendre, le numéro « spécial sexe » de « M, le magazine du Monde », vous a fait réagir. Outrés, choqués, furieux, vous avez été plusieurs dizaines à nous écrire, allant même parfois jusqu’à menacer de vous désabonner dans l’heure.

Rappelons que la couverture de « M » faisait apparaître la « star » du porno Rocco Siffredi, flanquée de ce titre : « Une si longue histoire ». Comme elle le fait chaque semaine dans son billet « Au programme », la rédactrice en chef de « M », Marie-Pierre Lannelongue, expliquait en page 8 comment lui était venue l’idée de ce numéro.

A propos des photos illustrant l’article de notre correspondant à Rome, Philippe Ridet, elle ajoutait ceci : « Pour les images, nous avions demandé au photographe Matteo Montanari de montrer tout Rocco. Tout ? Oui tout. Etant entendu que M. Siffredi se prévaut d’un “outil de travail” de dimension titanesque et qu’il en a fait un objet, presque un personnage. Il fallait voir ça ! »

Pour avoir vu, on a vu. Et cela ne fut pas, on l’a dit, du goût de tous nos lecteurs. De par leur ton extrêmement agressif, nombre de lettres ne valent pas, ici, d’être citées. En revanche, celle d’Andrée Silveira da Cunha (Paris) mérite d’être reproduite dans sa quasi-intégralité : « Lectrice du Monde et abonnée à votre journal depuis longtemps, j’avoue avoir été surprise, pour ne pas dire choquée, par l’importance de l’article consacré à Rocco Siffredi et surtout par les photos illustrant cet article. La photo de couverture est encore “visible” par tout un chacun, mais celles des pages 37 et 38 sont pour le moins choquantes, étant donné que votre hebdomadaire est en principe à lire par toute la famille.

 « Cet exhibitionnisme pose problème »

Je sais bien qu’aujourd’hui le sexe n’a de secret pour personne, que les enfants font très tôt leur éducation sexuelle avec Internet et autres supports, que les tabous et l’hypocrisie n’ont plus lieu d’être. Mais porter intérêt à cet exhibitionnisme pose problème, à mon avis.

Je trouve ces photos violentes, notamment celle de la page 37 : l’acteur, dans cette position quasiment “christique”, est offert au “bourreau de l’amour”, si l’on peut dire ! Et que veut-on montrer là, si ce n’est que son “outil” est vraiment extraordinaire, et donc digne d’intérêt ?

Il est vrai que le corps de la femme est exposé depuis bien longtemps et que l’on peut penser que le féminin et le masculin sont traités à égalité et cela, à juste titre. Mais, à mon sens, Le Monde ne devrait pas céder à ce voyeurisme, qu’il s’agisse de femmes ou d’hommes, d’ailleurs. Et les états d’âme de cet acteur ne sont pas non plus d’un intérêt majeur quant à la pratique de son métier. »

« Voilà ce que je tenais à vous dire », conclut Mme Silveira da Cunha, avant d’ajouter : « Veuillez croire, madame, monsieur, à l’assurance de mon attachement à votre journal. »

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En publiant ce numéro, avons-nous respecté le contrat de lecture qui nous lie à nos lecteurs ? En d’autres termes, de tels articles, de tels titres, de telles photos, qui n’ont évidemment, en soi, rien de répréhensibles, ont-ils leur place dans les colonnes du Monde ?

Affaire de goût

Avant de répondre, j’ai souhaité en parler avec Marie-Pierre Lannelongue. « De la même manière que nous avons déjà fait des numéros spéciaux consacrés aux faits divers, au football, à la gastronomie, au design, nous avons eu envie, dit-elle, de nous confronter à la question du sexe. Comment explorer, comment traiter ce qui est en train de devenir un élément de la culture populaire ? Cela nous intéressait d’y réfléchir. »

Une fois le sommaire décidé, les articles commandés, restait à donner une identité visuelle à ce numéro. Montrer ou ne pas montrer, puisque c’est ce point, pour l’essentiel, qui vous a fait réagir ? Marie-Pierre Lannelongue : « Nous ne voulions en aucun cas choquer pour choquer. Pas davantage faire du buzz pour faire du buzz. En outre, comme l’écrit Stéphanie Chayet dans son article consacré aux séries américaines, nous savions, en choisissant de montrer le phallus de Siffredi, que nous nous attaquions au “dernier tabou”. Il est très rare qu’un journal montre ainsi un homme entièrement nu. »

Mais alors, pourquoi l’avoir fait ? Etait-ce au Monde de lever un tel tabou ? « A partir du moment où nous avions décidé de consacrer un portfolio au travail de la photographe britannique Harley Weir sur le corps féminin, poursuit Marie-Pierre Lannelongue, nous nous sommes dit que, de la même manière, nous pouvions publier des photos d’hommes eux aussi entièrement nus. »

Un partout, balle au centre ? Pas tout à fait, en réalité, tant il me semble que le traitement photographique diffère dans ce numéro selon qu’il s’agit d’un homme ou d’une femme. Frontal pour les uns, sophistiqué pour les autres. Mais, après tout, cela est affaire de goût, et il n’appartient pas au médiateur d’en décider.

Du parti du mouvement

Reste, en revanche, et cela me concerne, la question du contrat de lecture. Vous avez fait le choix de lire Le Monde, et de cela, chers lecteurs, nous vous remercions. Vous auriez pu tout aussi bien lire un autre journal, érotique ou pornographique, pourquoi pas. Mais non, c’est Le Monde que vous avez choisi, pour des raisons bien précises qui, admettons-le, n’ont en général qu’un rapport très lointain avec le sexe. Et du même coup, vous êtes en droit d’attendre, de notre part, des contenus, des traitements journalistiques qui correspondent, plus ou moins, à l’idée que vous vous faites d’un journal comme Le Monde.

La question est d’autant plus complexe que, comme le disait notre fondateur, Hubert Beuve-Méry, Le Monde se doit d’être du parti du mouvement. Etre à l’écoute de ce qui change, de ce qui s’invente. Et à l’évidence, le sexe, dorénavant omniprésent dans nos sociétés, fait partie de ces champs journalistiques qu’il nous faut explorer.

Photographiquement parlant, aurait-il fallu pour autant, paraphrasant Tartuffe, « cacher ce sexe que l’on ne saurait voir » ? Là encore, ce n’est pas à moi d’en décider. Votre médiateur ne saurait être ni un arbitre des élégances ni un père la morale.

En revanche, qu’il me soit permis de noter une légère discordance éditoriale entre la couverture de ce numéro de « M » – drôle, au second degré – et les photos de ce même M. Siffredi que l’on découvre à l’intérieur. Etait-ce indispensable de le montrer, qui plus est deux fois, dans son plus simple appareil ? Je comprends que plusieurs d’entre vous se posent, et nous posent, la question.

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