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Eloge de la marche : six écrivains racontent ce qui les fait avancer

Mettre un pied devant l’autre relève du geste quotidien. Mais la marche va bien au-delà du simple exercice physique. De la flânerie à la méditation, de l’épreuve de courage à l’introspection, six écrivains nous racontent le sens de « leur » marche.

Le Monde

Publié le 08 septembre 2017 à 09h54, modifié le 08 septembre 2017 à 09h54

Temps de Lecture 5 min.

Pratique sportive ou spirituelle, touristique ou thérapeutique, la marche retrouve aujourd’hui ses lettres de noblesse. Pourquoi marche-t-on ? Qu’y cherche-t-on ? Echappatoire au monde de la vitesse et à la modernité, la marche pousse aussi bien à se dépasser physiquement qu’à entreprendre un chemin spirituel. « Puissance réorganisatrice » ou façon de « tenir debout », « interstice » de « liberté » dans un monde privé d’imprévu... Six marcheurs nous exposent le sens de « leur » marche. Une rencontre sur le thème « Marche et rêve ! » est organisée samedi 23 septembre dans le cadre du Monde Festival.

  • Sylvain Tesson, écrivain voyageur : « On se glisse dans un interstice et on marche »

« Aujourd’hui, chaque petit geste est régi par la révolution numérique. Pour prendre un train ou aller voir un tableau de Rembrandt, on doit passer par l’ordinateur. Et, à partir du moment où nous confions le moindre détail de notre existence à ce processeur et ce processus, on cimente la possibilité d’un imprévu. […] Or, quand on n’a pas la légitimité d’établir et d’exposer un discours critique sur ce sujet, il y a la marche. Elle offre la possibilité d’échapper au dispositif, comme dit le philosophe Giorgio Agamben. On se glisse dans un interstice et on marche, on revient à cette liberté de détails en prenant la fuite. »

Passionné d’escalade, l’écrivain et alpiniste Sylvain Tesson chute d’un toit en 2014. A sa sortie du coma, il traverse la France à pied pour se réparer. De ce périple, il tire un livre : Sur les chemins noirs (Gallimard, 2016), où il décrit la marche comme une critique en mouvement de la modernité : marcher, c’est fuir le monde numérisé et s’opposer ainsi au règne de la prévisibilité.

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  • Sarah Marquis, aventurière : « En marchant, on se découvre courageux »

« Si mes expéditions n’avaient qu’un but, ce serait celui-ci : montrer que le lien avec la nature est le seul moyen pour l’être humain de sauver sa peau. J’ai passé la moitié de ma vie à traverser les forêts, les déserts, les steppes, et j’ai développé cette capacité à m’y ressourcer, au bout d’une vingtaine de minutes de marche. Après tout, il s’agit simplement de retrouver la condition originelle de l’être humain : mettre un pied devant l’autre, au cœur de l’immensité de la nature. »

Depuis plus de vingt ans Sarah Marquis parcourt le monde à pied, en solitaire. Après une expédition dans la cordillère des Andes en 2006, Sarah Marquis a marché pendant trois ans, de la Sibérie à l’Australie. Des milliers de kilomètres et un livre : Sauvage par nature (Pocket, 2015). Ses longs périples de l’extrême lui valent d’être nommée « aventurière de l’année » par le magazine National Geographic.

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  • Frederic Gros, philosophe : « Marcher, c’est faire preuve de dignité »

« Marcher longuement, lentement, résolument, pendant des jours, des mois, c’est faire preuve d’une forme précise de courage : cette endurance, qui n’est pas de l’ardeur explosive, mais une manière de tenir bon sur la durée. C’est faire preuve aussi de dignité : celui qui marche se tient debout et avance. La marche symbolise une humilité qui n’est jamais humiliante. »

Philosophe et professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, Frédéric Gros élabore une œuvre politique, éthique et esthétique dans le sillage de Michel Foucault. Dans Marcher, une philosophie (Paris, Carnets Nord, 2008, et Flammarion, 2011), le philosophe analyse le sens politique que peut revêtir la marche, individuelle ou collective, mode d’expression populaire par excellence.

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  • Martine Segalen, ethnologue : « Il existe un esprit de la course et un esprit de la marche »

« Si course et marche revendiquent la même origine et la simplicité de leur technique, elles se différencient immédiatement par leur vocabulaire : en course, on fait des foulées ; en marche, des pas. Au-delà de la différence dans la vitesse de l’exercice, qui reste le marqueur premier, et en dépit d’une évidente proximité dans l’usage que l’on fait de son corps, course et marche sont pratiquées par des publics différents ; elles sont porteuses de valeurs différentes, qu’il s’agisse du rapport au temps, à l’espace, à soi-même et aux autres. En ce sens, il semble bien qu’il existe un esprit de la course et un esprit de la marche. »

Martine Segalen, professeure émérite à l’université de Paris-Nanterre, est l’auteure d’un des premiers livres sur la course à pied, Les Enfants d’Achille et de Nike. Eloge de la course à pied ordinaire (Métailié), publié en 1994, qui vient d’être réédité avec une longue préface qui analyse les transformations de la course, depuis celle des Flower Children jusqu’au mouvement contemporain du running.

  • David Le Breton, sociologue : « La marche est souvent guérison »

« La marche est souvent guérison, sa puissance réorganisatrice n’a pas d’âge. Elle procure la distance physique et morale propice au retour sur soi, la disponibilité aux événements, le changement de milieu et d’interlocuteurs, et donc l’éloignement des ­routines personnelles, et elle ouvre à un emploi du temps inédit, à des rencontres, selon la volonté de chance du marcheur… »

Sociologue et anthropologue, David Le Breton est professeur à l’université de Strasbourg. Il est également membre de l’Institut universitaire de France et l’auteur d’Eloge de la marche (Métailié) ; Marcher. Eloge des chemins et de la lenteur (Métailié) et Du silence (Métailié). Dans ses ouvrages, David Le Breton fait l’éloge de la marche et de la lenteur comme moyens de rédemption face aux dépressions ou aux amertumes.

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  • Antoine de Baecque, historien : « Marcher fait penser puis, parfois, écrire »

« La déambulation pédestre implique donc une écriture. On pense en marchant ; marcher fait penser puis, parfois, écrire, notamment sur… la marche. Ce cercle peut donner sa structure, sa forme même à l’écriture, autant que son sujet, lui offrant un tempo, une texture, une direction. La marche n’est pas seulement une incitation au récit, au partage de l’aventure avec l’autre, mais elle peut être comprise, par certains auteurs, comme une scansion du corps indispensable au rythme de la narration. »

Ce sont les questions que se pose l’historien Antoine de Baecque. Dans Une histoire de la marche (Perrin, 2016), ce spécialiste en histoire culturelle du XVIIIe et professeur d’histoire du cinéma à l’Ecole normale supérieure, pense la marche comme une métaphore de l’écriture.

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Randonnée, trek, balade urbaine ou périple littéraire...« Le Monde » organise dans le cadre du « Monde Festival » une rencontre sur la marche, le samedi 23 septembre à l’Opéra Bastille. Réservez vos places en ligne sur le site du Monde Festival

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