Festival de Cannes : comme un air de fin de règne

Festival de Cannes : comme un air de fin de règne
Cannes, c'est fini ? (LAURENT BOUHNIK POUR "L'OBS")

CANNES SOUS LE TAPIS. Chaque jour, le réalisateur Laurent Bouhnik croque le Cannes que vous ne voyez pas. Jour 12.

Par Laurent Bouhnik
· Publié le · Mis à jour le
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Alerte sur le tapis rouge : Laurent Bouhnik est sur la Croisette ! L’empêcheur de pavoiser en rond du cinéma français, l’homme qui a regardé les 190 films du coffret des César et dit tout ce qu’il en pensait, sans filtre ni pincettes, est de retour cette année à Cannes. Là où, en 1996, il présentait son premier long-métrage, "Select Hotel", avec Julie Gayet. Le Festival a changé, lui aussi. Les films, les soirées, les à-côtés : il nous raconte sa quinzaine à lui. Sans filtre ni pincettes.

JOUR 12 :

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Tout le monde remballe à Cannes.

C’était la foire au cinoche.

Beaucoup moins de monde que l’année dernière. Beaucoup moins de business. Il fait beau de nouveau. C’est au moins ça. Je cherche ma chaussette, mes lunettes. Me sors du pajot.

Pour une fois, je ne suis pas en retard.

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Ce soir, ce sera la remise des prix. Mais surtout la projection du film de Terry Gilliam : "The man who killed Don Quixote".

La bisbille entre le cinéaste et le producteur Paulo Branco est significative de l’étrange relation qu’entretiennent les réalisateurs avec certains producteurs. Ceux qui ne voient à travers un film qu’une manière de rentabiliser leur investissement et se remplir les fouilles.

La France est la championne de la subvention.

Combien de producteurs ont développé leur société grâce au travail des scénaristes et des cinéastes ? Payant au lance-pierre les techniciens sur les premiers films qu’ils produisaient. Cela ne les empêchaient pas de rafler les subsides du CNC et de ne pas en redistribuer un centime à tous ceux qui avaient travaillé sur le film.

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Faut les écouter ceux-là ! Ils vous font tout un discours sur les films, l’exception culturelle et leur engagement auprès des réalisateurs. Mais en fin de compte, ce sont eux qui tuent le cinéma, en voulant asservir les cinéastes.

Combien de réalisatrices, de réalisateurs j’ai rencontré à Cannes qui pleuraient de rage de ne jamais voir un centime leur revenir alors que leurs films faisaient de très bons scores au box office, étaient vendus aux télévisions ou bien tournaient dans le monde entier ? De toute façon il est aujourd’hui très compliqué et difficile pour un ayant droit d’avoir accès aux chiffres des RNPP (sommes versées par les exploitants de salles au titre de l’exploitation cinématographique….) tellement les comptabilités des distributeurs et des producteurs sont opaques. Et je ne parle pas obligatoirement des petits distributeurs ou des petits producteurs !

Quand je lis les menaces du fameux Paulo Branco, qui dit succinctement à Terry Gilliam qu’un producteur "est responsable des équipes techniques et de l’aspect artistique du film", je saute en l’air. Un producteur est là pour aider un film à se faire, épauler le réalisateur et lui proposer un cadre de production. Mais il n’a rien à voir avec l’aspect artistique et technique du film. Il peut et doit donner son avis. Soit. Mais de là à remplacer celui qui le réalise ! Je tombe de ma chaise ! Ne serait-ce qu’arriver à le penser montre à quel point les cinéastes sont dévalorisés dans la tête de certains.

Terry Gilliam a fait une crise cardiaque, certainement à cause de la lutte terrible qu’il a du mener contre le producteur. Et Paulo Branco le traite de comédien.

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Voilà où on en est.

"Après moi, le déluge "

Bon, de toute façon, la course-poursuite continuelle derrière les films à voir ici à Cannes s’arrête enfin. Le tapis rouge a servi de promotion publicitaire pour le mascara, les fringues, les peluches Barbie montrant leur cul et leurs nibards, les pingouins trop heureux de passer à la téloche.

Cette édition du festival ne ressemblait à aucune autre. Les Américains étaient absents. On peut pourtant dire que ce sont eux qui vont transformer radicalement le paysage audiovisuel de demain.

Le cinéma tel qu’on le connaît vit ses derniers instants. Et je ne suis pas le seul à le penser ! Mais ça ne semble pas en perturber beaucoup ici. Car, pour ainsi dire, tout le monde vit sur ses acquis et c’est un peu : "après moi, le déluge ".

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Chacun fait ses affaires donc, et tant pis pour l’avenir. Tant pis pour le cinéma ! C’est pourtant le cinéaste qui devrait être au cœur de toutes les attentions. Ce devrait être le cinéaste qu’on devrait entendre, écouter quand on parle de films. Mais non, aujourd’hui, c’est la course à celui qui se fera le plus de fric, le plus de bruit, le plus de pub pour vendre son produit, le film, pour qu’il rapporte le plus de pépète.

Pourtant l’amour du public est intact. Sa curiosité jamais satisfaite. Que ce soit de Toulouse, à Nancy, en passant par Lilles, ils sont venus des quatre coins de France pour profiter du festival et surtout, voir des films, encore des films et toujours des films !

Comment se fait-il que ces spectateurs disparaissent quand on quitte le festival de Cannes ?

Les producteurs que j’ai rencontrés, les exploitants, les distributeurs, les réalisateurs sont tous d’accord pour dire qu’il y avait une étrange atmosphère cette année. Une atmosphère de fin de règne. Il y avait beaucoup moins d’images sur le festival dans les JT. À croire que la France s’intéresse moins à l’Art qu’elle a vu naître en son sein.

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Ce soir, nous allons connaître les heureux élus qui vont se goinfrer les palmes.

Hier soir, il y avait la remise de la Queer Palm qui est revenue au film "Girl" de Lukas Dhont !

La seconde bonne information de la soirée était la présence de Frédérique Bredin à la Queer Palm, la présidente du CNC qui va, l’année prochaine, ouvrir ses portes à l’événement Queer de l’année.

Ce n’était pas trop tôt. En attendant que l’officielle officialise enfin la présence de la manifestation !

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Dans tout ce brouhaha cannois, cette agitation autour des films, il en reste quoi ? Pour moi, beaucoup plus d’interrogations que je n’en avais en arrivant ici.

Marrant mais mes petits billets sur les films que j’ai vu sont pratiquement tous à l’opposé de ce qui s’écrit dans les autres médias. Je ne dis pas qu’ils ont tort. Je ne dis pas que j’ai raison.

Un film est une affaire intime entre soi et l’histoire qui se raconte sur le grand écran.

Nous, cinéastes, avons de moins en moins de liberté pour offrir au public de quoi réaliser nos films. Nous pouvons nous opposer, nous pouvons ne pas être d’accord, mais nous avons l’obligation de faire face ensemble au nouveau défi qui nous attend : le renouveau du cinéma de demain ! Sinon nous pouvons déjà penser à nous recycler !

ENJOY !

Laurent Bouhnik

Laurent Bouhnik
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