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EnquêteCarte des luttes

La carte des luttes contre les grands projets inutiles

Aéroports, fermes-usines, barrages, entrepôts, centres commerciaux… Les grands projets inutiles et dévastateurs prolifèrent en France. Face à eux, des collectifs citoyens se mobilisent pour défendre leur environnement. Reporterre publie une carte de toutes ces luttes locales. Elle servira d’outil pour celles et ceux qui veulent empêcher la destruction du monde.

Reporterre actualise régulièrement la carte des luttes et a publié plusieurs articles sur ce thème :

  • « La carte des luttes contre les grands projets inutiles », à lire ici
  • « La carte des luttes, révélateur des contestations locales », à lire ici
  • « Tutos, aide juridique... SuperLocal veut soutenir 200 collectifs en lutte », à lire ici
  • À la radio avec « La Terre au carré », sur France Inter
  • « Les luttes contre les projets inutiles s’invitent dans les municipales », à lire ici
  • Enfin, retrouvez la seconde saison 2021 de notre carte des luttes par là.

LA CARTE DES LUTTES

La carte en plein écran est DISPONIBLE ICI

• Pour proposer l’inscription d’une lutte sur la carte, remplissez ce formulaire.


LES LUTTES CONTRE LES PROJETS INUTILES S’INVITENT DANS LES MUNICIPALES

À Lille, l’association Parc tente de préserver les 25 hectares de la friche de Saint-Sauveur.

Pour les collectifs en lutte contre les grands projets inutiles et imposés, les élections municipales sont l’occasion de faire pression sur les candidats et d’obtenir des engagements. Certains lancent des listes citoyennes, avec en ligne de mire l’annulation du projet contesté.

  • Article publié le 6 mars 2020

La période électorale, c’est le moment — où jamais — d’obtenir l’oreille attentive des édiles. De leur soumettre des doléances, de faire pression pour les convaincre de soutenir une idée, voire de faire annuler un projet inutile et imposé. Beaucoup de collectifs recensés dans notre carte des luttes savent l’importance de cette échéance et multiplient les tracts, les réunions publiques et les interpellations.

À Lille, l’association Parc tente de préserver les 25 hectares de la friche de Saint-Sauveur. Elle a publié un manifeste et invité les candidats à se positionner sur la question. Tous se sont prononcés contre la piscine olympique mais beaucoup restent vagues quant au bétonnage de la zone. « Ce dossier s’est vraiment invité dans la campagne électorale. Mais les municipales ne sont qu’un moment institutionnel et pas une fin en soi. Nous voulons apporter une réflexion plus globale sur le devenir du site avec une nouvelle vision de la ville, plus résiliente », explique Franck Henry, membre de Parc. Le collectif n’appellera pas à soutenir un candidat particulier, histoire d’éviter se fâcher avec le ou la futur(e) maire.

« Les collectifs découvrent les dispositifs participatifs et ont envie de proposer une offre politique différente »

Ce travail de lobbying citoyen porte parfois ses fruits. Dans la vallée de la Tarentaise, le collectif Pact alerte sur le développement inconsidéré d’infrastructures touristiques dans les Alpes. Une lettre d’informations a été envoyée aux élus locaux et quatre candidats ont pris position. Un chiffre qui déçoit Fred Sansoz, membre du collectif : « On n’a pas eu suffisamment de candidats qui ont répondu. Mais le travail de fond a été fait. » La preuve à Bourg-Saint-Maurice, où la liste BAM2020 propose dans son programme un moratoire sur les projets touristiques et s’engage à respecter les objectifs de l’accord de Paris, si elle est élue. À La Clusaz, la liste l’ADN La Clusaz n’hésite plus à évoquer les conséquences du réchauffement climatique pour l’avenir des stations de ski. « Il ne s’agit plus seulement de quelques clampins écolos qui se mobilisent mais de deux générations qui s’affrontent. Les idées du XXe siècle contre celles du XXIe siècle », dit Fred Sansoz.

Inspirer les programmes est un premier pas qui reste insuffisant pour certains. Dans les Alpes-de-Haute-Provence, le collectif Singularité Forcalquier se bat contre l’agrandissement d’un Intermarché. Pétition, interpellations : la mairie, naguère dirigée par Christophe Castaner, qui est toujours conseiller municipal, est restée sourde à leurs revendications. « En septembre 2018, il nous a paru évident qu’il fallait se lancer dans les élections, la seule voie possible pour contrer ce modèle », explique Vincent Baggioni, membre du collectif et présent sur la liste. Grâce à son travail de sociologue, il était familier des questions de citoyenneté et de démocratie participative mais n’avait jamais fait de politique au sens classique. Il s’avoue étonné par l’engouement qu’a suscité son initiative : « Notre première réunion, il y a une dizaine de mois, a rassemblé une quarantaine de personnes. Et la dernière fois, nous étions plus d’une centaine [1]. Ce qui prouve la curiosité envers notre démarche. » Un intérêt qui ne se transforme pas automatiquement en actes : « Beaucoup nous disent que c’est une super initiative mais qu’ils n’ont pas le temps de s’engager. D’autres assurent qu’ils ont repris leur carte d’électeur car nous proposons quelque chose de nouveau. »

Forcalquier est loin d’être un cas isolé. En Provence comme ailleurs, les listes citoyennes issues des luttes se multiplient. Difficile toutefois d’estimer précisément cette tendance. « Il faudrait un travail d’analyse sur l’ensemble du territoire, ce qui n’a pas encore été fait », explique Léa Sébastien, maîtresse de conférences en géographie à l’université Toulouse 2 et coautrice du livre Résister aux grands projets inutiles et imposés (éditions Textuel, 2018). De façon empirique, elle constate que le phénomène prend de l’ampleur : « L’opposition amène la proposition. Les collectifs découvrent les dispositifs participatifs et ont envie de proposer une offre politique différente. » D’autant que les luttes locales sont d’excellentes écoles d’apprentissage de la vie démocratique. Les militants deviennent au fil des ans des experts de leurs sujets et veulent aller plus loin que la simple — et parfois vaine — interpellation des candidats.

Saillans et Murviel-lès-Montpellier, des villages sources d’inspiration

Ce mouvement a été initié dès 2014, avec la célèbre expérience de Saillans, où une liste citoyenne s’est lancée après s’être opposée à la construction d’un supermarché Casino. Ce bourg de la Drôme est devenu un modèle, mais d’autres cas moins connus ont vécu des expériences similaires, comme à Murviel-lès-Montpellier (Hérault). En 2013, Murviel a été secouée par un projet de construction de logements sur 25 hectares de terres agricoles. « On s’est opposés pour différentes raisons. La consommation de terres agricoles d’abord, mais surtout cette opération allait doubler la population du village et nous avions peur de ne pas réussir à bien intégrer les nouveaux arrivants », explique Isabelle Touzard, militante contre le projet de l’époque et maire actuelle.

Murviel a alors refusé de devenir un village-dortoir de la banlieue de Montpellier avec les nuisances attenantes, notamment les embouteillages. Les habitants ont créé une association et multiplié les recours, sans succès. Ils se sont alors lancés dans la bataille municipale de 2014. « On avait un projet de territoire participatif pour faire revivre l’agriculture locale, des évènements. Bref, remettre de la vie dans le village. On a fait des dizaines de tractages, quantité de réunions publiques participatives, des apéros dans les quartiers. On s’est démenés et on a été élus dès le premier tour face à quatre autres listes », se rappelle Isabelle Touzard. Une fois à la mairie, l’équipe n’a pas chômé : nouveau comité des fêtes, actions culturelles, territoire zéro phyto, aide à l’installation de jeunes agriculteurs, projet de tiers-lieu. « Sans flagornerie, je pense qu’on peut dire qu’il n’y a plus d’opposition dans le village. Nous travaillons de façon sereine, dans le respect mutuel et le travail ensemble. » Pour les prochaines élections, Isabelle Touzard se représente sans adversaire, le seul adjoint qui souhaitait l’affronter n’ayant trouvé aucun soutien. Elle se réjouit également du nombre des listes citoyennes candidates dans les villages alentour.

Certaines listes ne restent pas seules dans leur coin. En Bretagne, dans le Pays d’Auray, Claire Masson, élue Europe Écologie-Les Verts, essaie de les fédérer autour d’une plateforme qui pourrait peser au sein de la communauté de communes — là où les décisions majeures se prennent désormais. Une douzaine de liste sont de la partie, dont celle de Pluvigner (Morbihan), menée par Jean-Michel Le Cam. L’homme est membre de l’association Paré, qui lutte contre une zone d’aménagement commercial sur dix hectares de terres agricoles. Il n’est pas un novice et avait déjà tenté l’expérience en 2014, sans succès. « Il y a cinq ans, on ne parlait pas de liste citoyenne. Les gens de mon association n’ont pas voulu se lancer. Ils disaient que ce n’était pas à nous d’y aller, mais aux hommes politiques de proposer. » Depuis, l’idée a fait son chemin et surtout, les militants se sont formés et débordent d’idées. Claire Masson constate une réelle différence avec les équipes plus classiques : « Dans celles-là, les gens se bougent moins. Ils ne sont pas force de proposition. On dirait qu’ils passent la réunion à attendre le pot final. Tandis que les membres des listes citoyennes apportent des projets neufs. On a un vrai plaisir à se retrouver et à construire ensemble. Intellectuellement, c’est vraiment enrichissant. »

Faute de recensement officiel, impossible de connaître le nombre exact de listes citoyennes qui se présentent à ces élections. Certains parlent de 200 à 250. Un chiffre qui peut sembler dérisoire au regard des 35.000 communes du territoire, mais qui illustre une tendance : celle d’une repolitisation des électeurs qui veulent prendre en main leur territoire, participer pleinement au jeu démocratique local et ne plus se laisser berner par des candidats qui ne tiendront pas leurs promesses.


LA CARTE DES LUTTES, RÉVÉLATEUR DES CONTESTATIONS LOCALES

Le chantier de la ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux en novembre 2013.

Comment naît une lutte locale ? Comment devient-on militant contre une décharge, un centre commercial, un mine ou une nouvelle autoroute ? Quels processus d’apprentissages et politisations entrent en jeu ? À l’occasion d’une mise à jour de la carte des luttes, avec 200 projets recensés, Reporterre s’intéresse aux ressorts profonds de l’engagement au service de la transition écologique.

  • Article publié le 7 janvier 2020

« Vous n’arriverez jamais au bout. » Julien Milanesi, maître de conférence en sciences économiques à l’université Toulouse 3 ne cherche pas à nous décourager mais à dresser un constat. Recenser toutes les luttes contre les projets inutiles en France est une gageure. La preuve en un chiffre : depuis le début du projet, on nous a signalé 444 projets inutiles et imposés via ce formulaire. Malgré quelques doublons et erreurs, cela laisse imaginer l’ampleur de la contestation sur tout le territoire.

Dans cette nouvelle version de la carte des luttes, réalisée avec l’ONG de mobilisation citoyenne Le Mouvement et l’équipe de vidéastes de Partager c’est sympa, vous trouverez 200 projets sélectionnés en fonction des critères détaillés dans notre premier article.

Un travail de tri et de vérification qui n’a pas empêché certains mécontentements. Exemple avec la rénovation urbaine d’un quartier de Vénissieux, dans la banlieue de Lyon. L’un des élus nous a écrit pour signifier son étonnement de voir sa commune sur la carte. Il estime que les adversaires du projet ne sont que « quelques opposants politiques pas du tout représentatifs de la population ». Le collectif local n’est bien évidemment pas de cet avis. « Mercredi 6 novembre, nous avons réussi à mobiliser près de 200 personnes, sans compter les enfants, pour l’assemblée générale du conseil de quartier. Ce qui n’est absolument jamais arrivé ici. Un article comme celui sur la carte des luttes est un réconfort pour les habitants. »

« Aujourd’hui, les promoteurs ne peuvent plus bétonner en paix »

Notre but n’est pas d’apporter du réconfort aux gens, mais de décrire une réalité. Celle d’une France où des centaines de collectifs se mobilisent contre des projets nocifs pour le climat et la justice sociale. Celle d’une société qui remet en cause le paradigme de la croissance héritée des Trente Glorieuses. Le mythe du progrès ne fait plus recette, surtout dans ces territoires délaissés par les politiques publiques et par la start-up nation qui envahit les hypercentres urbains. « Les gens ne se font plus berner sur les conséquences de la mondialisation et de la compétitivité. Ils attendent aujourd’hui des relocalisations, des infrastructures de proximité et un développement endogène du territoire », explique Léa Sébastien maîtresse de conférences en géographie à l’université Toulouse 2 et coautrice avec Julien Milanesi du livre Résister aux grands projets inutiles et imposés (éditions Textuel).

Cette vivacité des combats met en lumière une écologie populaire, ancrée dans un territoire. « Un véritable mouvement social décentralisé encore inconscient de lui-même et qui mériterait d’avoir un réseau sur lequel s’appuyer », estime Julien Milanesi.

En France, l’histoire des luttes a commencé dans les années 1970 avec de vastes projets d’aménagement du territoire — comme dans le Larzac — ou énergétique — comme la centrale de Plogoff, en Bretagne. Plus récemment, on pense bien sûr à Notre-Dame-des-Landes. Mais, depuis une dizaine d’années, on assiste à une réelle montée en puissance des contestations à plus petite échelle. Quelques hectares de forêt menacés suffisent parfois à enflammer les esprits. « Il y a quelque chose de nouveau, clairement. Aujourd’hui, les promoteurs ne peuvent plus bétonner en paix. Ce n’était pas le cas il y a vingt ans », estime Julien Milanesi.

Internet a également changé la donne, tout le monde pouvant facilement se mettre en réseau et accéder à la connaissance. Un phénomène qui n’est pas étranger à la méfiance quasi systématique envers tous les porteurs de projets, qu’ils soient privés ou institutionnels. « Les élus sentent bien qu’il ne peuvent plus faire passer ce qu’ils veulent comme avant. Ils organisent alors des procédures de démocratie participative sans jamais interroger le bien-fondé du projet ou sa viabilité », continue le chercheur. Les associations jouent le jeu quelque temps, avant de se lasser et d’entrer pleinement dans la bataille. Parfois, ce n’est pas l’infrastructure elle-même qui est mise en cause, plutôt la façon dont elle est imposée par un acteur extérieur. C’est par exemple le cas avec les éoliennes, combattues farouchement lorsqu’elles sont construites sans concertation locale par un industriel, mais bien acceptées quand elles sont imaginées par des coopératives citoyennes.

Le choc émotionnel face à une appropriation soudaine du territoire

Pour Julien Milanesi, il s’agit aussi de remettre en question l’imaginaire de la vitesse, de la mobilité, de la performance technique comme le prouvent ces luttes contre les extensions d’aéroports ou la construction de lignes à grande vitesse : « Se déplacer de plus en plus vite est une donnée perçue comme naturelle. Alors que c’est un imaginaire social récent. Nos ancêtres vivaient dans un espace de 30 kilomètres autour de leur lieu de naissance. » Cette exigence de vitesse se double d’une fracture sociale car ceux qui profitent du TGV sont surtout les populations urbaines, cadres CSP+. Or, ces lignes à grande vitesse sont particulièrement coûteuses : 25 millions d’euros du kilomètre. « C’est de l’argent public cannibalisé qui n’ira pas vers les infrastructures du quotidien. Tous ces financements sont mis au service des urbains pressés et pas des navettes locales pour les moins fortunés », observe Julien Milanesi.

L’élément déclencheur de l’engagement reste le choc émotionnel face à une appropriation soudaine du territoire. Après analyse de la situation, les concernés mettent en commun leurs inquiétudes. Ce sont souvent des néophytes, qui n’y connaissent pas grand-chose et passent leurs soirées à potasser des documents administratifs rébarbatifs. « Je me rappelle d’un projet de décharge dans la Beauce où les gens se rendaient à des conférences et étaient devenus des experts en déchets », raconte Léa Sébastien. Ils développent ainsi des compétences techniques, juridiques, et administratives. « Souvent, ils sont choqués par ce qu’ils découvrent et par la façon arbitraire dont les décisions sont prises », poursuit Léa Sébastien. Avec le temps et la montée en expertise, les militants se politisent et inventent des propositions crédibles. Une véritable résistance éclairée. L’un des exemples les plus connus est le projet Carma, alternative au projet (abandonné en partie) d’EuropaCity.

« Nous avons plein de collectifs opposés aux centres commerciaux qui nous contactent pour nous demander de venir faire Carma chez eux, s’exclame Alice Le Roy, membre du collectif Non à EuropaCity. Beaucoup se posent les mêmes questions que nous : comment protéger les terres agricoles, conserver la souveraineté alimentaire, empêcher la perte de la biodiversité, créer des emplois pour demain… » Carma a revitalisé la lutte en séduisant des urbanistes, des architectes et des jeunes vivant à Gonesse, qui peuvent se projeter dans un autre avenir que celui vendu par les promoteurs immobiliers. Un nouvel imaginaire de la résilience, de la sobriété, de la décroissance que tous ces collectifs sont en train d’élaborer.


TUTOS, AIDE JURIDIQUE... SUPERLOCAL VEUT SOUTENIR 200 COLLECTIFS EN LUTTE

L’actuel incinérateur d’Ivry. Plutôt que sa reconstruction, un plan alternatif de tri des déchets et de recyclage est proposé.

La campagne SuperLocal souhaite aider les collectifs luttant contre les projets climaticides et injustes. Mais aussi inciter les citoyens à s’opposer aux sites polluants. La carte publiée par Reporterre compte maintenant plus de deux cents combats.

  • Article publié le 27 novembre 2019

Lutter contre les sites et projets polluants ou injustes. Ancrer la mobilisation pour le climat et la justice sociale dans les territoires. Accompagner les collectifs locaux en lutte partout en France. Voici les ambitieux objectifs de la campagne SuperLocal lancée mardi 26 novembre par la chaîne vidéo Partager c’est sympa, par l’association Le Mouvement et par l’association Notre affaire à tous.

« C’est l’aboutissement de toute une séquence de mobilisation qui a commencé avec les marches climat, puis s’est poursuivie avec l’Affaire du siècle. Mais face à un horizon national bloqué qui génère un sentiment d’impuissance, une nouvelle séquence va s’ouvrir au niveau local avec les municipales », explique Vincent Verzat de Partager c’est sympa, dans une vidéo. « Les élections sont en effet un excellent moment pour faire pression sur les maires et les candidats à l’écoute de leurs électeurs », explique Elliot Lepers, de l’ONG Le Mouvement. Mais SuperLocal n’est pas destiné à soutenir un quelconque parti ou à lancer des listes. Le projet a tout d’abord été pensé comme un outil d’information, grâce à une carte qui recense maintenant près de 200 collectifs en lutte contre les grands projets inutiles, réalisée en partenariat avec Reporterre.

C’est aussi une école du militantisme avec de nombreuses formations et tutoriels disponibles en ligne pour aider les citoyens à se former à la communication, à la levée de fonds, à l’organisation de réunions, à l’accueil de nouveaux bénévoles, à la désobéissance civile. SuperLocal apportera également un soutien juridique en partenariat avec Notre affaire à tous, l’une des ONG qui a porté la pétition de l’Affaire du Siècle. « A l’époque, on s’attaquait à l’inaction du gouvernement. Aujourd’hui, nous attaquons les manifestations de cette politique dans les territoires », explique Chloé Gerbier, juriste au sein de l’association. Cette fois, pas de plaidoyer mais des recours juridiques plus techniques qui font appel au droit de l’environnement ou de l’urbanisme. Des combats d’autant plus difficiles que le gouvernement change les règles du jeu très régulièrement…

Grâce à tous ces outils, les collectifs vont ainsi pouvoir monter en expertise, mais également mutualiser les bonnes pratiques. Par exemple, ceux qui s’opposent à l’extension de l’aéroport de Caen pourront se rapprocher du collectif Non au Terminal 4 de Roissy, en lutte contre l’extension de l’aéroport parisien. Un projet d’agrandissement pour accueillir 40 millions de passagers supplémentaires par an. « C’est aberrant en terme de santé publique et de réchauffement climatique », explique Audrey, membre du collectif et présente lors de la conférence de présentation de SuperLocal. « Les Franciliens qui vivent sous les couloirs aériens perdent jusqu’à trois ans de vie en bonne santé. Et Roissy produit l’équivalent de 2,6 fois plus de dioxine d’azote que le périphérique parisien ».

Une quinzaine d’ONG ont signé une lettre demandant l’annulation de cet agrandissement au nom de l’urgence climatique. « Nous sommes une centaine de sympathisants déterminés. Des citoyens qui n’ont pas de culture militante et qui ne sont pas formés à l’action de terrain politique et juridique. Nous avons besoin de renforts pour être visible sur le terrain ». Le collectif ne fait pas que s’opposer au nouveau terminal : il promeut les modes de transport alternatifs, comme le recours aux trains de nuit pour les voyages en Europe. « Mais pour cela, il faudrait une volonté gouvernementale pour mettre en œuvre une autre politique des transports ».

Lutter... et proposer les alternatives

Promouvoir des alternatives, c’est également l’objectif de l’association 3R, qui s’oppose à la reconstruction d’une usine d’incinération à Ivry, dans le sud de Paris. Face à ce projet à 2 milliards d’euros qu’ils estiment sur-dimensionné, les militants ont imaginé le plan B’om visant à développer le recyclage et le zéro déchet. Des solutions qui seraient plus efficaces en terme d’emplois. Selon les chiffres de l’Observatoire régional des déchets (Ordif), il faut un emploi pour traiter 10.000 tonnes de déchets dans une décharge, 3 emplois pour la même quantité dans un incinérateur, et 31 emplois pour le tri et le recyclage et des centaines dans le domaine de la réparation et du réemploi. Malgré ces arguments, l’association 3R demeure peu entendue. « On est toujours restés petits. On manque de visibilité alors qu’on devrait pouvoir agir sur une bonne partie de la métropole du Grand Paris. Et puis les jeunes militants sont volatils, ils déménagent souvent. Ils ont de plus en plus de mal à travailler et militer en même temps. On est bien contents que SuperLocal apparaisse et qu’il puisse nous aider », explique Anne, membre du collectif 3R.

Au-delà du soutien envers les luttes existantes et du recrutement de nouveaux bénévoles, SuperLocal compte également inciter les citoyens à lancer des campagnes contre les 4.800 sites polluants identifiés dans plus de 700 villes. Les outils mis à leur disposition sur le site internet et les référents recrutés sur tout le territoire devraient les aider à plonger dans le grand bain. L’équipe espère également des rapprochements entre différents réseaux. « Écolos, Gilets jaunes, syndicalistes, citoyens, nous aimerions que tout le monde travaille ensemble en bonne intelligence collective. Pour se rassembler autour des enjeux que sont l’écologie et la justice sociale », dit Victor Vauquois scénariste de Partager c’est sympa. Des mobilisations communes sont en réflexion autour des aéroports, des fermes usines ou des entrepôts Amazon. Mais tout reste encore à imaginer pour remporter un maximum de ces batailles locales et faire advenir un autre monde, un autre imaginaire, plus résilient.


LA CARTE DES LUTTES CONTRE LES GRANDS PROJETS INUTILES

Aéroports, fermes-usines, barrages, entrepôts, centres commerciaux… Les grands projets inutiles et dévastateurs prolifèrent en France. Face à eux, des collectifs citoyens se mobilisent pour défendre leur environnement. Reporterre publie une carte de toutes ces luttes locales, réalisée avec Le Mouvement et Partager c’est sympa. Elle servira d’outil pour celles et ceux qui veulent empêcher la destruction du monde.

  • Article publié le 16 octobre 2019

Lancer une enquête pour recenser tous les « grands projets inutiles et imposés » (GPII) en France, c’est comme ouvrir un puits sans fond. Au-delà des combats bien médiatisés, comme ceux de Notre-Dame-des-Landes ou d’EuropaCity, une myriade d’associations et de collectifs citoyens se battent contre des fermes-usines emprisonnant des milliers d’animaux, de nouvelles autoroutes balafrant nos paysages, des centres commerciaux bétonnant des terres agricoles ou des incinérateurs polluant l’atmosphère.

Comment avons-nous fait notre choix ? En nous fondant sur la définition des GPII adoptée lors du Forum social mondial de Tunis en 2013. Il est question de projets constituant un « désastre écologique, socio-économique et humain » qui n’intègrent pas « la participation effective de la population à la prise des décisions ». Les gouvernements et les administrations « agissent dans l’opacité », traitant avec mépris les arguments et propositions des citoyens. « On parle de fuite en avant vers le plus grand, plus vite, plus coûteux, plus centralisateur avec des études d’impact souvent fondées sur des hypothèses fausses », détaille la charte.

Une définition assez vaste pour un résultat qui l’est tout autant. Notre carte compte 127 luttes réparties en sept catégories : bétonnage, transport, énergie, industries, agriculture, déchets et commerces. Un décompte loin d’être exhaustif et que nous poursuivrons dans les prochaines semaines. Vous pouvez d’ailleurs nous donner un coup de main en remplissant ce formulaire.

Dans cet archipel des luttes, le profil des résistants dépasse amplement le cercle des convaincus. « Il ne s’agit pas seulement de gens qui contestent un projet parce qu’ils refusent qu’il se fasse à côté de chez eux. Ils dénoncent plus globalement le monde qui va avec », explique Anahita Grisoni, sociologue, urbaniste et coautrice du livre Résister aux grands projets inutiles et imposés (éditions Textuel, 2018). Ingénieurs, retraités, étudiants, femmes au foyer, agriculteurs : nombre de catégories socioprofessionnelles sont représentées, à l’instar de Jean-Claude, un chasseur « pas vraiment écolo », membre d’un collectif de lutte contre un poulailler industriel en Vendée. « Il faut faire bouger les mentalités. Il faut dire stop à la maltraitance animale et à la malbouffe. » Certains n’étaient pas experts en agriculture ou en pollution chimique avant de s’engager. « Je n’ai que le bac, mais j’ai appris sur le tas, pour faire avancer les choses », explique Cathy Soubles, membre de la Sepanso (Société pour l’étude, la protection et l’aménagement de la nature dans le Sud-Ouest), qui alerte sur la pollution des sites Seveso de la vallée de Lacq, dans les Pyrénées-Atlantiques.

« Ce n’est qu’une histoire d’argent, et c’est bien pour cela qu’on a du mal à les arrêter » 

Bien souvent, les collectifs se créent en réaction à un déni de démocratie. « On a pris conscience de ce qui se passait chez nous dix jours avant la fin de la consultation publique », dit Michèle Leray, en lutte contre l’installation d’un entrepôt Amazon à Loroux-Bottereau, à côté de Nantes. « Nous ne sommes pas militants. Bien sûr, on a une fibre écolo car on a conscience que la Terre va mal. Ici, on a connu les alentours avec plein de terres cultivées. » D’autres fois, ce sont des associations de petits commerçants qui se soulèvent contre l’implantation d’un centre commercial, comme à Pézenas, dans l’Hérault. « Ça fait huit ans qu’on se bat. On est allés au tribunal administratif et on a eu gain de cause, mais le maire a continué avec un plan local d’urbanisme plus petit. Ce n’est qu’une histoire d’argent, et c’est bien pour cela qu’on a du mal à les arrêter », dit Georges Lopez, l’un des commerçants de l’association Bien vivre à Pézenas.

L’un des points communs de tous ces projets : le bétonnage des terres. Un sujet crucial lorsqu’on sait qu’en France, l’équivalent d’un département disparaît sous le béton tous les dix ans. « Pourquoi une telle artificialisation alors qu’ils pourraient très bien s’installer sur des friches industrielles ou densifier les zones commerciales actuelles ? » regrette le collectif Au pré d’chez vous.

Face à cette contestation, l’argument des élus demeure le même : l’emploi. Ils assurent que ces usines, ces entrepôts et ces centres commerciaux vont dynamiser l’économie de régions souvent sinistrées. Pourtant, ces promesses s’avèrent le plus souvent très surestimées, comme le prouve une enquête sur EuropaCity, un projet de complexe de loisirs au nord de Paris. Auchan, son promoteur, assure qu’il va créer 11.800 emplois directs. Une estimation en trompe l’œil.

D’autant que, pour stimuler l’économie dans les territoires, il n’est pas forcément nécessaire de construire des infrastructures polluantes. Selon un rapport publié en 2017 par treize syndicats, associations sociales et environnementales, la transition écologique permettrait de créer un million d’emplois. « Pour éviter une vague de chômeurs écologiques, il faut dès maintenant préparer et organiser les transformations et reconversions qui sont complexes pour éviter des gestions de crises. Un.e salarié.e d’une centrale à charbon qui perd son emploi dans le nord de la France ne pourra pas travailler le lendemain en tant qu’installateur de panneaux photovoltaïques à Marseille », peut-on lire dans cette étude. Des emplois locaux plus qualifiés pourront répondre aux enjeux de la crise climatique et sociale.

« Avec la campagne SuperLocal, on va changer d’interlocuteur, et s’attaquer directement aux rouages du système qui broie l’humain et la nature 

Selon un rapport du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), 50 à 70 % des solutions pour le climat se situent à l’échelle locale. C’est pourquoi cette carte des luttes, réalisée en partenariat avec l’ONG de mobilisation citoyenne Le Mouvement et l’équipe de vidéastes de Partager c’est sympa, va être utile. Elle s’inscrit dans le cadre du projet SuperLocal, dont l’idée est simple : soutenir les luttes locales pour gagner un maximum de batailles contre des projets et sites polluants partout en France. « Après plus d’un an de mobilisation intense pour le climat, on est très nombreux à faire le constat que l’échelon national est bloqué, que Macron nous enfume et continuera de le faire », explique Victor Vauquois, de Partager c’est sympa.

La campagne SuperLocal veut aussi peser sur les municipales de mars 2020 [2]. « Le temps des élections est une occasion unique parce que les maires sortants et les candidats sont obligés d’être à l’écoute de la population. Nous souhaitons les forcer à prendre position sur ces sites polluants », poursuit Elliot Lepers, du Mouvement.

La campagne vise à recruter de nouvelles personnes pour rejoindre voire créer des luttes. Le Mouvement et Partager c’est sympa comptent s’appuyer sur des youtubeurs et influenceurs pour raconter cette effervescence partout sur les territoires. « L’idée est aussi de mobiliser celles et ceux qui ont marché pour le climat ou signé l’Affaire du siècle et veulent désormais aller plus loin en leur proposant une stratégie avec un impact concret et direct chez eux. »

SuperLocal accompagnera ainsi les collectifs locaux grâce à un système d’entraide entre luttes locales mais aussi de soutien et de formation à la mobilisation, la communication, la stratégie, la levée de fonds ou encore les aspects juridiques. Ils vont travailler en partenariat avec Notre affaire à tous, une association utilisant le droit comme levier pour la lutte contre le changement climatique. Elle va publier un guide détaillant les recours possibles contre les GPII et s’assurer du suivi des collectifs qui ont besoin de soutien. Le projet SuperLocal enthousiasme Chloé Gerbier, de Notre affaire à tous : « Avec cette campagne, on va changer d’interlocuteur, et s’attaquer directement aux rouages du système qui broie l’humain et la nature, aux fermes-usines, aux aéroports, aux incinérateurs, aux supermarchés. On n’a pas besoin de ces sites, il est temps de les arrêter, partout. »


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