Le freelance vend-il vraiment son temps ?

« Le temps, c’est de l’argent ». Lorsqu’on est freelance, peut-on ne pas souscrire à ce proverbe ? Le temps est une ressource limitée dont vous devez user de manière productive afin de générer un revenu satisfaisant. Vos gains découlent de vos heures de travail, mais, dans vos rapports avec vos clients, s’agit-il pour autant de vendre votre temps ?

En d’autres termes, le temps, si précieux à vos yeux, est-il la bonne mesure pour établir la valeur de vos prestations ?

La valeur « temps de travail » : une commodité ?

Selon Karl Marx (Le Capital, 1867), la valeur intrinsèque d’un bien ou d’un service est déterminée par le nombre d’heures de travail nécessaire à sa production ou à sa réalisation. Et le philosophe d’ajouter que « La quantité de travail elle-même a pour mesure sa durée dans le temps » exprimée par exemple en heures ou en jours. 

Si l’on ne craint pas de faire un bond conceptuel, on peut avancer que cette théorie semble aujourd’hui trouver écho auprès des freelances. Parmi les indépendants, il est en effet communément admis de monnayer son temps, à l’heure, à la journée ou au forfait. Sur les plateformes de freelancing comme en dehors, le tarif journalier moyen (TJM) fait figure de prix indicatif. Ce taux journalier signale que la valeur de la prestation vendue sera mesurée à l’aune du temps de travail qu’elle requerra. Dans ces circonstances, le freelance vend donc son temps. 

Procéder ainsi semble de prime abord rationnel et commode aussi bien pour le freelance que pour son client. Du point de vue de l’indépendant, la raison voudrait en effet que plus une mission est chronophage, plus elle est rémunérée. Du côté du client, cette méthode pourrait permettre d’appréhender plus facilement le tarif du freelance en le comparant à un référentiel qu’il connaît peut-être mieux et qui correspond lui aussi à la rémunération d’un temps de travail déterminé : le salaire. 

Mais cette analogie avec le salariat est-elle pertinente et ne dessert-elle pas les freelances ? 

Le temps : une source de malentendus

Plusieurs signes laissent penser que vendre son temps n’est sûrement pas la manière de procéder la plus judicieuse lorsqu’on est freelance. 

En premier lieu, il s’avère que, malgré son apparente simplicité, le tarif journalier moyen est souvent mal compris. Par comparaison avec un salaire, il semble bien souvent trop élevé. Or c’est omettre que le salaire d’un employé et le chiffre d’affaires d’un indépendant ne sont absolument pas comparables. Après déduction des « charges » (abonnements, loyers professionnels, assurances, etc.) et imposition, une somme qui paraissait coquette peut s’avérer maigrelette.

Ensuite, la valeur du temps est très variable d’un freelance à un autre, y compris au sein d’une même profession. En tant que freelance, votre taux horaire dépend de nombreux facteurs tels que vos compétences, vos savoirs, votre formation, votre expérience, de vos réalisations antérieures, votre capacité à innover, vos méthodes de travail, votre efficacité, votre rareté, vos recommandations ou encore votre réputation. Vous ne vendez donc pas des heures de travail interchangeables avec celles d’un autre freelance ou d’un salarié.

Il n’est donc pas satisfaisant d’exprimer la valeur de votre prestation en fonction du temps de travail à réaliser, vous devez mettre en exergue la valeur de votre temps. Mais comment le faire de manière convaincante ?

Privilégier la « valeur d’usage »

Les coaches de tout poil ne cessent de le marteler : que l’on soit une startup, une multinationale ou un freelance, pour bien vendre, il faut apporter de la valeur à son client, c’est-à-dire lui être utile. Mesurée en termes de temps de travail, la valeur de vos prestations est dépréciée. Au contraire, jaugés à l’aune de leur utilité, vos services deviennent bien plus attractifs pour vos clients. 

Cette valeur déterminée en fonction de l’utilité est ce que Karl Marx (encore lui !) nomme la « valeur d’usage ». La valeur d’usage renvoie à une appréhension qualitative du bien ou du service vendu (Le Capital, 1867). Or, en tant que freelance, c’est bien la qualité de votre travail que vous souhaitez mettre en avant pour vendre vos prestations. 

Dans le cas qui nous intéresse, revenir à cette valeur d’usage implique de vendre des résultats plutôt que le temps de travail nécessaire pour atteindre ces résultats. Sans surprise, insister sur les bénéfices obtenus (temps, argent, notoriété…etc.) augmente la valeur perçue par votre client et vous permet de facturer vos services au juste prix. 

Voici quelques-uns des critères qui peuvent vous permettre de mesurer l’utilité de votre prestation : 

  • Les résultats obtenus par vos précédents clients. Si vous n’avez pas accès à des statistiques chiffrées ou à des résultats concrets (une première place sur Google par exemple), demandez-leurs des retours aussi précis que possible.
  • La nature du client. En effet, une grande entreprise tirera quantitativement plus de bénéfices de votre prestation qu’une plus petite société. Plus votre client est gros, plus les revenus générés par votre prestation seront importants. 
  • Le degré d’urgence de la demande. Dans ce cas, vous apportez une réponse rapide à un problème pressant, votre utilité perçue est plus grande encore.

Ce sont ces résultats que vous devez vendre à vos clients afin de justifier vos tarifs sans difficulté. L’utilité de votre prestation détermine sa valeur et donc votre tarif. Le temps passé doit être pris en considération, mais il est secondaire.

De la prestation au produit

Expert dans son domaine, le freelance est bien souvent encouragé à vendre ses connaissances afin de se créer une source de revenu complémentaire qui ne soit pas directement corrélée à ses heures de travail. Formation vidéo, audio ou encore ebook : l’idée est ici de transformer son service en produit. L’objectif ? Se constituer un capital qui générera des bénéfices sans exiger d’heures de travail supplémentaires après sa création.

Cette idée a été popularisée par l’entrepreneur américain Timothy Ferriss. Dans son ouvrage La semaine de 4 heures, le gourou du développement personnel invite ses lecteurs à cesser de vendre leur temps afin de se libérer de précieuses heures de vie. Sa solution ? Créer une « muse », c’est-à-dire d’une source de revenu automatisée ne demandant pas de travail (ou presque). Si les recommandations de Tim Ferriss prêtent le flanc à certaines critiques, elelles peuventéanmoins inspirer certains freelances.

Passer du service au produit est une solution radicale pour cesser de vendre votre temps. Attention néanmoins à ne pas sous-estimer les heures nécessaires à la diffusion, aux mises à jour et au « SAV » de vos formations. Les revenus passifs tiennent souvent plus du miroir aux alouettes que de la muse … 

En définitive, un freelance vend son temps puisque son revenu dépend de son taux horaire. Mais il gagne à mettre davantage l’accent sur ce qui détermine ce tarif : l’utilité de son travail. Ainsi, il se présente comme un expert qui vend des résultats et non comme une force de travail flottante au coût un peu opaque. A la marge, une opportunité existe pour ne plus vendre son temps : la vente de produits de formation.

Photo de couverture : RODOLFO BARRETO
Photo #2 : Miguelangel Miquelena

Cet article a été initialement écrit par Flore Campestrini pour le site Amedee.co.

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