Un rapa de l'Île de Pâques rejoint les collections

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Cet hiver, un trésor de l'art rapa nui (île de Pâques) a rejoint le parcours Océanie. Une pièce rare nommée rapa, utilisée lors des danses, et dont Nicolas Garnier, responsable de l’unité patrimoniale Océanie au musée, nous livre quelques détails. 

Interview

Pourriez-vous nous décrire cette pièce ?

Cet objet en bois sculpté est un rapa venu de Rapa Nui (le nom donné localement à l’île de Pâques). Si sa forme évoque, dans l’imaginaire occidental, une pagaie, pourtant il n’en est rien. Dans le Pacifique, les pagaies ne possèdent qu’une seule pale ! Il s’agirait en réalité d’un objet lié au pouvoir, vraisemblablement utilisé lors de rituels associés aux chefs, et tenu en main au cours d’une danse. La finesse de la hampe pour certaines d'entre-elles aurait permis de les faire tourner entre les doigts. 

Que sait-on d'elle ?

Les rares informations dont nous disposons sur son usage viennent des témoignages de Julien Viaud – plus connu sous le nom de Pierre Loti – alors jeune marin à bord de La Flore et qui débarque sur l’île de Pâques en 1872. Il y collecte un objet assez similaire mais de plus grande taille, nommé ao, aujourd’hui exposé au Muséum de Toulouse, et en évoque ses différentes utilisations, notamment au cours de danses assises.

Alfred Métraux, qui séjourne sur l’île en 1934-1935, indique par ailleurs que les palettes rapa auraient aussi été utilisées pour des danses guerrières organisées devant l’hariki (le chef). Il rapporte aussi : Jeunes gens et jeunes filles en file indienne, dansaient le long d’un couloir étroit pavé de galets. Les danseurs tenaient en main de petites rames de danse qu’ils faisaient mouvoir en cadence en avançant et en reculant. On nous a assuré qu’en cette occasion de nombreux mariages avaient lieu, car jeunes gens et jeunes filles rivalisaient alors d’élégance. (1941 :144)

Cette pièce – comme l’ensemble des objets d’art traditionnels rapa nui – constitue une relique d’une culture qui, si elle n’a pas disparue, a été considérablement bouleversée suite aux drames qui ont marqué son histoire, en particulier au milieu du 19e siècle.

Connaît-on précisément son parcours ?

Oui, il est bien connue et lié à des personnalités fascinantes. Elle a été achetée par les missionnaires des Sacrés Cœurs de Jésus et Marie lors de leur arrivée sur l’île à la fin des années 1860, puis rapatriée dès 1888 au siège de la congrégation à Paris, rue de Picpus, rejoignant ainsi la collection d’art pascuan chère à l’évêque de Tahiti.

En 1903, les missionnaires quittent la France pour la Belgique – suite à la loi de séparation de l’Église et de l’État, emportant avec eux cette riche collection. Au même moment, le collectionneur Stéphen Chauvet se prend de passion pour la culture de l’île de Pâques et achète, aux alentours de 1930, plusieurs œuvres pascuanes issues de cette collection. Parmi elles, ce rapa, qu'il décrit dans son ouvrage de 1935 intitulé L'Île de Pâques et ses mystères.

L’objet rentre par la suite dans les collections de Charles Ratton, avant que le musée ne décide de l’acquérir.

Pourquoi avoir choisi cette œuvre ?

Les collections du musée relatives à l’île de Pâques sont très riches : elles comptent des pièces relativement anciennes et d’autres très spectaculaires, à l’instar des têtes monumentales Moai (ndlr : le musée en conserve trois dont deux monumentales). Il nous manquait une œuvre remarquable pour son minimalisme, avec un historique qui nous permette d’évoquer l’histoire de l’île. Cette pièce rassemblait ces deux aspects.

en quoi est-elle exceptionnelle ?

C’est un objet exceptionnel pour plusieurs raisons. Sa petite taille (56 cm) d’abord, indiquerait une ancienneté rare – le plus ancien que l’on connaisse mesure 43,5 cm et a été collecté par James Cook en 1774. C’est par ailleurs un objet très minutieux, sculpté dans du bois de Sophora toromiro, un arbre qui possède une fonction sacrée extrêmement importante dans la cosmologie rapa nui.

En outre, et contrairement à de nombreux objets de l’île de Pâques qui ont pu être vernis ou cirés par leurs précédents propriétaires, il est passé entre très peu de mains : il n’a pas ces patines luisantes qui recouvrent de nombreux objets pascuans.

Enfin, il présente un décor sculpté par deux générations différentes d’artistes : l’une ayant sculpté l’objet, vraisemblablement au début du 19e siècle ; une seconde ayant gravé sur la pale principale des motifs rongo-rongo – le système d’écriture de l’île de Pâques. C’est le seul rapa connu à présenter ce type de gravures.

La vitrine en images

© musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Julien Brachhammer