Bien dormir, ce luxe qui creuse les inégalités dès l'enfance

Bien dormir, ce luxe qui creuse les inégalités dès l'enfance
La chambre à part, un petit luxe non négligeable. (LEEMAGE)

Le manque de sommeil participe à la reproduction des inégalités sociales car il influe sur la réussite scolaire, explique à "L'Obs" Joëlle Adrien, directrice de l'Inserm.

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A l'occasion de la 18e journée nationale du sommeil ce vendredi, nous vous proposons de redécouvrir cet article, publié la première fois le 27 janvier 2018.

 

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L'idée est plaisante. Abandonnés à nous-mêmes, plongés dans notre sommeil, nous pourrions au moins être égaux entre le crépuscule et l'aurore. Mais ce leurre supporte mal les bruits d'escaliers, la promiscuité, la précarité ou le stress... Nos nuits sont de fâcheuses vitrines de nos sociétés. Elles reflètent ses inégalités sociales, contribuent parfois à les dupliquer. Et ce, dès l'âge le plus tendre décrypte auprès de "l'Obs" la neurobiologiste Joëlle Adrien, directrice de recherches à l'Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (Inserm) à Paris : 

"Un enfant qui ne dort pas assez est difficile à réveiller le matin, fatigué, somnolent et irritable. Il fait des fautes inhabituelles à l'école et n'est pas attentif". 

En France, le temps moyen de repos nocturne des enfants de cadres en grande section de maternelle est déjà supérieur de dix minutes à celui des enfants d'ouvriers. Plus tard, lorsque ces élèves deviennent adolescents, le manque de sommeil altère leur cerveau indique l'Inserm. Contractée précocement, cette dette de sommeil est susceptible d'endommager leur avenir. 

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La chambre à part, ce luxe

Peut-on vraiment lier précarité et qualité du sommeil ?Le sommeil se trouve-t-il au cœur des mécanismes de construction des inégalités ? Oui, à en croire la neurobiologiste Joëlle Adrien qui énumère plusieurs facteurs physiques, culturels et sociaux conditionnant un bon repos : l'environnement dans lequel l'enfant dort est l'un des plus importants.

"La problématique de la chambre individuelle est cruciale", admet-elle.

"C'est compliqué pour un enfant de bien dormir s'il se trouve par exemple dans la même pièce que des frères et sœurs d’age différents qui n’ont donc pas tous le même rythme ni les mêmes besoins...", poursuit-elle. En 2010, une étude de l'INPES (préfacée par Jean-Michel Blanquerqui est depuis devenu ministre de l'Education) montrait déjà clairement que l’insomnie chronique chez les enfants était associée de manière significative à des situations de précarité financière et à certains événements ou cadres de vie compliqués. Les effets du manque de sommeil sont connus... Ça peut sembler assez évident, mais très concrètement, explique Joëlle Adrien, "le sommeil est d’abord indispensable pour la conservation d’énergie, la récupération neuronale et la plasticité cérébrale." 

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L'absence de concentration en est aussi un symptôme : l'INPES met par exemple en évidence que "les élèves de collège qui lisent déclarent un temps de sommeil plus long que les autres (8h52 vs 8h28)". 

Mais alors que les études sur le sujet se multiplient, se désole la neurobiologiste, "nos préconisations de professionnels du sommeil n'ont toujours pas été entendues". A l'automne elle a donc, avec trois confrères, publié une tribune dans "le Monde" pour alerter sur les dangers liés au manque de sommeil. Ensemble, ils préconisent notamment la mise en place d'une éducation au sommeil dès la maternelle, puis tout au long de la scolarité, en travaillant avec le ministère de l’éducation nationale. L'idée étant d'enseigner aux enfants le rôle du sommeil avec des notions d’hygiène du sommeil, incluant en particulier l’influence bénéfique de l’activité physique le jour et celle, néfaste, des écrans utilisés le soir ou la nuit.  

Le sommeil, une préoccupation de "privilégié" ?

Alors, pourquoi la cause du sommeil infantile peine-t-elle encore a être prise au sérieux ? S'agirait-il surtout d'une préoccupation des catégories aisées ? Oui, nous confirme Joëlle Adrien qui souligne que "si les privilégiés s'intéressent au sommeil, c'est dans une perspective de performance, de gestion de leur capital santé et énergie".

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"Les personnes qui viennent consulter, sont des personnes assez sensibles aux discours sur l’hygiène du sommeil. Ils pensent qu’on a le pouvoir de les soigner de façon un peu magique. Ils ont du mal à accepter qu’on remette en cause leur manière de vivre".

Le magazine '"Usbek et Rica" abordait justement cette préoccupation qui irrigue les classes aisées et mettait en évidence combien le sommeil est un enjeu de société discriminant, partout dans le monde :

"Aux Etats-Unis, les citoyens blancs dorment pas loin de sept heures par nuit quand les Afro-Américains restent au lit à peine plus de six heures". 

La Fondation américaine Nationale du Sommeil a calculé le temps de sommeil idéal auquel devrait avoir le droit chaque enfant. Dans ses recommandations, elle préconise :

  • De 3 et 5 ans, entre 10 et 13 heures de sommeil par nuit
  • De 6 à 13 ans, entre 9 et 11 heures de sommeil
  • De 14 à 17 ans, entre 8 et 10 heures de sommeil

Pour les adultes, elle conseille entre 7 à 9 heures de sommeil par nuit. Et pour tous, d'autres facteurs entrent en compte : l'exposition aux écrans par exemple, le surmenage... Joëlle Adrien dispense donc ces consignes toutes simples et faciles à appliquer : "Tout comme pour l’alimentation, il faut respecter une hygiène du sommeil. Ça commence par les horaires du coucher. L’enfant a beaucoup plus besoin de dormir qu’un adulte. Mais il doit surtout aller se coucher à horaires réguliers". Elle conseille aussi de ne pas trop se décaler en week-end ou en vacances : 

"Les parents qui se disent 'oh il n’y a pas cours demain, on peut le laisser aller se coucher plus tard' font une erreur."

Pour ce qui concerne les paramètres plus aléatoires, il faut voir au cas par cas. Si l'un des parents travaille en horaires décalés par exemple, il faut qu'il veille au maximum à ne pas perturber le cycle de sommeil de son enfant. 

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"Les parents ont une valeur d'exemple pour l'enfant. Si l'enfant voit son parent se lever ou se coucher à pas d'heure, ça peut influencer son sommeil également", approuve Joëlle Adrien, qui renvoie malicieusement aux travaux primés cette année par le Nobel de Médecine : l’envie de dormir est contrôlée par l’horloge biologique, on ne peut pas dormir sur commande.

C.C. 

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