Avec ses allures de petit mardi soir tranquille, le mois de janvier a le charme de sa discrétion, de ses contrastes tout en chaud-froid, du plaisir de voir les journées commencer à rallonger.

Mais, culturellement parlant, en Amérique du Nord, bien avant les chandelles, les feux de cheminée, les sorties de ski de fond et les repas aussi bien mitonnés que mérités, janvier est d'abord et avant tout un mois de redressement. Un mois d'ordres lancés à soi-même. Le mois des régimes.

«Non, on n'est pas au régime, on arrête seulement de manger des sucreries et des chips», êtes-vous tous en train de me répondre en choeur.

Même chose.

On vient d'entrer dans le mois de la restriction.

Pas de chocolat, pas de vin, pas de poutine...

Depuis la fin des vacances, je vous entends dire ça partout.

Traitez-moi de Cassandre tant que vous voulez, mais j'aime beaucoup ce personnage de la mythologie grecque: ces résolutions ne marchent pas. S'interdire de manger quelque chose qu'on aime ne fait qu'encourager notre affection pour ledit objet de convoitise et la transformer en passion.

Un des bons côtés de ces résolutions, toutefois, c'est qu'elles ont le mérite d'être claires. «Finis les sundaes au caramel, je veux perdre du poids» est une affirmation précise. Il n'y a pas de tentative de dissimuler les objectifs contrairement à l'autre phénomène populaire de janvier, la «détox», où certains tentent de nous convaincre que leur régime au poivre de Cayenne et au citron doit surtout les débarrasser de «toxines». Un peu comme ces gens de plus en plus nombreux qui ont décidé de manger sans gluten alors qu'ils n'ont pas de maladie les empêchant de manger blé, orge et compagnie. Ou ceux qui deviennent végétaliens et végétariens non pas pour des raisons environnementales ou philosophiques, mais parce que c'est devenu une façon socialement acceptable d'encadrer au jour le jour une obsession minceur.

Chasser la calorie n'a en effet jamais connu autant de paravents socialement acceptables, voire à la mode.

«Les régimes végétaliens deviennent plus populaires, plus grand public», titrait hier le service de nouvelles de la grande chaine américaine CBS News, avec long reportage à l'appui sur la croissance du phénomène.

Et si vous avez le temps, entre deux papiers sur les vedettes et leurs régimes «détoxifiants», allez faire un tour à l'épicerie: le sans gluten est rendu partout.

Selon une étude citée par le US News&World Report, entre 15 et 25% des consommateurs américains recherchent les produits sans gluten. Pourtant, dans la vraie vie, moins de 1% de la population souffre de la maladie coeliaque, une intolérance au gluten causant d'importants troubles digestifs. Alors que de vraies personnes sont réellement malades et ont de réels problèmes médicaux, des tonnes d'autres prétendent ne pouvoir supporter le blé et compagnie. Et le tout se dit très bien dans une fête quand on ne veut pas manger de pain, de gâteau, de biscuits... Tout comme se déclarer végétarien permet de se réfugier dans les crudités.

Évidemment, les végétariens ne sont pas tous des gens obsédés par les calories. Il y a des tas de végétariens et végétaliens réellement convaincus de leur approche qui le font d'abord et avant tout pour des raisons écologiques, éthiques, religieuses.

Mais si, dans la vraie vie, environ 1% de la population est végétalienne, cette proportion grimpe lorsqu'on regarde les populations atteintes de troubles du comportement alimentaire. Parlez-en à un spécialiste de ces problèmes et il vous dira que le végétalisme et le végétarisme font partie des signaux d'alarme -parmi plusieurs autres- indiquant qu'une personne puisse être atteinte de boulimie ou d'anorexie. Je répète: cela ne veut pas dire que tous les végétariens et végétaliens ont des troubles de comportements alimentaires. Cela veut dire que ce sont des populations plus susceptibles de compter parmi elles des personnes à l'alimentation détraquée. Donc, si vous avez des soupçons concernant un ou une proche et qu'en plus cette personne se déclare vegan, eh bien! voilà un symptôme à ajouter à la liste.

Et si cette personne se met à chasser en plus le gluten...

Et se lance dans une détox...

On parlera beaucoup de régimes en janvier. Mais on parlera peu des troubles alimentaires qui sont pourtant intimement liés aux régimes et aux restrictions, qui prennent toutes sortes de formes toute l'année, qui bloquent tant de bonheur.

On parlera beaucoup de régime, mais on parlera à peine d'Isabelle Caro, cette femme atteinte d'anorexie qui, en 2007, avait tenté d'alerter la population à ce problème en se laissant photographier, nue, décharnée, par le célèbre photographe italien Oliviero Toscani.

Mme Caro est morte avant Noël.