Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

Les étudiants refusent de « baisser les bras » après les attentats

Sur tous les campus, les attentats du 13 novembre ont ébranlé les cœurs et les esprits, générant des flots de réactions et de réflexions.

Par 

Publié le 17 novembre 2015 à 19h41, modifié le 19 novembre 2015 à 10h30

Temps de Lecture 11 min.

UNIS pour l'avenir

Posté par Fédération UCP sur lundi 16 novembre 2015

Plus d’une vingtaine d’étudiants et d’enseignants des universités ont été tués dans les attentats de vendredi 13 novembre, à Paris. Nous avons demandé à des étudiants d’horizons variés, parisiens ou non, comment ils et elles ont vécu cette longue nuit, le week-end qui a suivi et la reprise des cours.

« C’est la joie de vivre, la jeunesse qui [ont] été visés »

Gabriel de Berranger, en 2e année de licence d’histoire, élu associatif à l’Université de Cergy-Pontoise

« Je l’ai appris par les réseaux sociaux, vers 22h30 vendredi, et je n’ai plus lâché les sites d’infos. J’ai eu très peur pour certains amis, qui auraient pu se trouver sur place. Je les ai appelés. Le safety check de Facebook, qui permettait de signaler qu’on était en sécurité, m’a semblé utile. Le lendemain, j’avais du mal à travailler. Je suis sorti dans la rue, j’ai voulu continuer à vivre, les rares cafés et magasins ouverts à Cercy étaient bondés, les rues vides, hormis les forces de sécurité.

Le président d’un des bureaux des étudiants a alors lancé l’idée de monter quelque chose en hommage aux victimes. Nous voulions former un mot symbole avec des bougies. On a pensé à “Résister”, puis à “Unis” : cela parle à chacun, d’où qu’il vienne, qu’il ait été frappé de près ou de loin par ces attentats. Et c’est un message d’espoir.

Il n’y avait pas eu de telle mobilisation dans ma fac après les attentats de janvier. Nous avions alors été touchés dans nos valeurs, de liberté et de tolérance. Cette fois, c’est la joie de vivre, la jeunesse, et tout un chacun qui a été visé. Ils ont voulu nous terroriser. Sur Facebook, j’ai lu beaucoup de messages, de poèmes, vu des vidéos fortes, de Villepin, Mélenchon, de l’ancien juge antiterroriste Trévidic.

J’ai vu aussi beaucoup d’initiatives. J’ai préféré rester en retrait, ne pas réagir à chaud, même si je comprends tout à fait. Il m’arrive de pleurer, d’avoir peur et de la peine. J’essaie de réfléchir aux solutions. Nous, les jeunes, avons été visés, mais ne devons pas nous laisser abattre.

Lundi, j’ai été impressionné par la forte participation à la minute de silence. Il faut dire que l’université de Cergy n’a pas été épargnée : deux blessés, le mari d’une enseignante tué. Nous n’avons diffusé l’appel aux étudiants pour le rassemblement que quelques heures à l’avance, pour des raisons de sécurité, et seulement dans des groupes privés sur Facebook, des SMS, des messages sur les tableaux des amphis. A 17 heures, 500 étudiants sont venus. Nous n’en espérions pas tant. Cette photo montre que nous ne formons qu’un seul bloc, avec nos petites lumières pour éclairer l’avenir. »

« Les jeunes se sentent encore plus français »

Jérémy Piguet, en 2e année à l’Essca, école de commerce à Boulogne-Billancourt

Le Monde
Offre spéciale étudiants et enseignants
Accédez à tous nos contenus en illimité à partir de 9,99 €/mois au lieu de 11,99 €.
S’abonner

« Ce soir-là, je regardais le match à la télé, j’ai entendu ce qui semblait être des pétards. C’est sur Twitter que j’ai compris ce qui se passait. Le quartier de la fusillade, j’y ai travaillé cet été et j’y sors souvent. Un ami m’a appelé, inquiet pour sa copine qui s’y trouvait. Je lui ai conseillé de lui trouver un immeuble pour se réfugier, signalé par le hashtag #PorteOuverte sur Twitter.

Cela faisait partie des bonnes initiatives nées sur les réseaux sociaux, même s’ils ont aussi été le lieu de partages de rumeurs et de fausses infos. Il y a aussi eu le safety check de Facebook, utilisé par 260 de mes contacts, et #RechercheParis, ces disparus pour lesquels le réseau s’est mobilisé, et l’appel aux dons de sang.

Surtout, j’ai vu énormément de gens passer leur photo de profil Facebook en bleu, blanc, rouge. Alors qu’après les attaques de janvier, le message s’axait autour de « Je suis Charlie » et de la liberté de la presse, cette fois, je dirais que les jeunes se sentent « encore plus français », vraiment fiers de Paris et de leur pays.

Lundi, pour la minute de silence à l’Essca, nous étions beaucoup plus nombreux qu’à celle organisée après les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher. Les étudiants se sont sentis d’autant plus concernés que la direction de l’école avait envoyé la veille un mail d’hommage à Lola Salines, diplômée de la promo 2009. Elle fait partie des victimes de la tuerie au Bataclan. »

« Il faut que la ville vive, qu’elle soit bruyante »

Une étudiante de l’école d’ingénieurs Telecom Sud Paris, qui préfère rester anonyme

« J’ai appris la nouvelle sur le campus de l’Ecole normale supérieure à Cachan, lors d’une soirée d’accueil, la veille d’un tournoi sportif. C’était surréaliste : les cars venus de toute la France déversaient des étudiants joyeux, et puis, dès l’annonce, les visages se fermaient. Ma mère m’a appelée pour que je rentre à la maison.

J’ai reçu de nombreux messages : des gens qui se trouvaient très loin de Paris réalisaient mieux que moi ce qui se passait. Le RER ayant été coupé, nous avons passé la nuit sur place. Souvent, le portable vibrait, je donnais de mes nouvelles, je regardais les sites d’infos. Mais je n’ai réalisé que le lendemain la boucherie que cela a été.

Samedi, je suis allée voir le tag « Fluctuat nec nergitur », place de la République, à Paris. J’ai trouvé cela beau, et j’étais fière. Il n’y avait pas tant de monde. Les autorités déconseillaient de se réunir, et je le comprenais. Mais j’ai l’impression que cette fois, tout le monde se sent concerné, sauf peut-être des gens du FN qui préfèrent dénoncer l’immigration. Alors qu’après les attentats de janvier, les gens s’interrogeaient sur le fait d’« être Charlie » ou pas.

J’ai essayé de ne pas m’attarder sur les réseaux sociaux. Pour ne pas finir submergée d’infos et enfermée dans l’angoisse. J’ai quand même regardé la chronique de Sofia Aram, qui m’a beaucoup émue. Mais j’étais excédée par la volubilité des gens : ceux qui critiquaient l’appel à s’habiller en noir, disant que c’était la couleur des terroristes. Voir passer des photos de profils au filtre bleu, blanc, rouge m’a touchée quand il s’agissait de contacts qui ne sont pas français. Mais moi, qui suis parisienne, je n’ai pas besoin d’afficher que je suis en deuil.

En revanche, les appels à mettre une bougie, les gens qui postaient des photos pour dire “Je suis en terrasse”, l’idée d’ouvrir ses fenêtres et de mettre de la musique fort, ou “Tous au bistrot”, cela m’a vraiment touchée. J’ai pensé un temps à m’éloigner d’ici, mais c’est exactement ce que voulaient les terroristes. C’est le moment où il ne faut pas abandonner Paris. Il faut que la ville vive, qu’elle soit bruyante. »

« Je ne connaissais par les paroles de la Marseillaise, je les ai apprises »

Aymen Noulbet, étudiant algérien en première année de médecine, à Lille

« J’ai eu connaissance des événements par la télévision, en rentrant de la bibliothèque universitaire, vers 23 heures vendredi. J’ai été terriblement triste : ces attentats ont visé la joie de vivre, et n’importe lequel d’entre nous aurait pu être touché. Cela m’a rappelé ce que ma famille a vécu en Algérie dans les années 1990, quand les extrémistes faisaient régner la terreur.

Et en tant que musulman, je pense que cela m’a attristé particulièrement : ces actes ont été revendiqués par un Etat pseudo-islamique, et il faudra aussi gérer l’amalgame qui sera fait avec ma religion. J’ai immédiatement posté un statut sur Facebook, contre les barbares qui ont fait ça, et pour prier tous ces morts. L’islam est une religion de paix, qui n’accorde à personne le droit d’ôter une vie humaine.

Les jeunes m’ont semblé très touchés, et mobilisés. Après les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, je m’étais rendu au rassemblement de la place de la République, à Lille, à titre personnel. Mais cette fois, j’ai vu tourner énormément de messages, de poèmes, sur le groupe Facebook des étudiants lillois. Sur celui des étudiants en première année de médecine de Lille 2, un appel a été lancé pour que l’on chante tous ensemble La Marseillaise, lundi matin. Il y a eu un élan énorme. Etant algérien, je ne connaissais pas les paroles, alors je les ai apprises.

Lundi, en arrivant à la fac, j’ai été heureux de ne pas sentir de regards lourds peser sur moi. Nous nous sommes tous levés à la fin d’un cours, pour chanter, à voix haute et vive. C’était très émouvant. J’avais la voix qui se coupait, les jambes qui tremblaient. C’était une façon de rendre hommage aux victimes, de graver ce moment, et de refuser de baisser les bras. Un combat contre la peur, et pour la mémoire. »

« Loin de Paris, on se sent protégé »

Ruben Izraelewicz, en 2e année à Sciences-Po Aix-en-Provence

« Je fais mes études à Aix-en-Provence, mais ce week-end, je rentrais à Paris, et j’habite à 200 mètres du Bataclan. Quand cela s’est passé, j’étais dans le métro, il y a rapidement eu des annonces de stations fermées. C’était perturbant. J’ai envoyé des SMS et des messages à mes contacts, utilisé le safety check de Facebook. Une amie a perdu un de ses amis.

C’est assez différent des attaques de janvier, dont les cibles étaient des journalistes, des policiers et la communauté juive. Cette fois, les jeunes se sont sentis visés, et la tristesse me semble plus largement partagée qu’en début d’année.

Mais la distance joue aussi : à Aix, où je suis rentré lundi matin, on se sent protégé, comme dans un cocon, d’autant que c’est une plus petite ville. Je n’y sens pas la tension qu’il y avait à Paris ce week-end, et les amis que j’y ai sont peut-être moins choqués.

Sur Facebook, beaucoup d’étudiants ont mis le filtre tricolore sur leur photo de profil. Pour ma part, faire passer ma compassion par les réseaux sociaux me gêne un peu. Et il ne faudrait pas que cela soit un geste de facilité, qui épargne du reste. C’est virtuel. Il est important de se parler, et de réfléchir à l’après-attentats. »

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Voir les contributions

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.