Interview

«Il faut défendre la pratique du journalisme»

David Cohn a créé le site Spot.Us, où les internautes financent directement les sujets qu’ils veulent lire.
par Laureen Ortiz, LOS ANGELES, de notre correspondante
publié le 30 novembre 2009 à 0h00

David Cohn, 27 ans est un journaliste basé à Oakland, dans la banlieue de San Francisco. Il couvre d’abord les technologies pour le site Wired en tant que pigiste pendant quatre ans, avant d’obtenir un master de journalisme à l’université Columbia de New York. Il a lancé Spot.Us il y a un an pour venir en aide aux journalistes indépendants. Le principe est simple : le pigiste propose, sur Spot.Us (1), un synopsis de l’enquête qu’il veut réaliser, les internautes la financent et l’article est ensuite vendu aux journaux.

Vous incarnez la nouvelle génération de journalistes, quelle est votre expérience ?

J’ai toujours été un journaliste indépendant, et je pense qu’il va y en avoir de plus en plus au vu des aléas financiers des médias et des moyens de visibilité qu’offre le Web. L’idée est donc de trouver un outil qui permette de donner aux journalistes freelance le pouvoir de faire leur métier, et aussi aux médias de se connecter plus facilement avec eux.

Comment avez-vous créé ce site ?

J’ai obtenu une bourse de la Fondation Knight. Basée a Miami, elle tente de trouver un futur au journalisme.

Vous comptez alors sauver la presse, mais comment ?

Il s'agit plus de sauver le journalisme que les journaux. Il y a une citation qui dit : «Le journalisme survivra à la mort de ses institutions.» Les journaux sont importants, mais ce qu'il faut aujourd'hui, c'est défendre la pratique du journalisme, peu importe le support.

Quel genre de journalisme promeut Spot.Us ?

Du journalisme citoyen, des enquêtes sur des sujets locaux. En ce moment, on finance un sujet sur le pont de la baie de San Francisco. On enquête sur l’action, ou l’inaction, des gouvernants, qui doivent rendre des comptes.

Le «journalisme citoyen», c’est donc du journalisme très local…

Oui, on travaille sur San Francisco et Los Angeles pour l’instant, en espérant étendre la zone. Certains critiquent le terme de journalisme citoyen, mais ce n’est pas la question. On ne dit pas que n’importe qui va enquêter sur un sujet ; de fait, ce sont des journalistes… Mais il ne faut pas se contenter des grands médias, qui traitent des sujets dominants, nationaux ou internationaux. Il y a de la place pour tous les niveaux de journalisme, c’est vital pour la société.

Comment choisissez-vous les thèmes ?

Des pigistes nous proposent des synopsis, comme ils le feraient pour n’importe quel média, sauf que dans notre cas il est publié sur le site. Du coup, les citoyens, mais aussi les médias, peuvent choisir de financer une enquête en donnant quelques dollars. Les journalistes, eux, fixent le montant dont ils ont besoin et voient, au bout d’un certain temps, s’ils ont suffisamment récolté. Ils empochent le tout. Spot.Us vit grâce à une option qui permet aux donateurs de verser 10% en plus pour l’organisation. La plupart le font.

C’est assez pour survivre comme modèle ?

Pour l’instant, non, c’est pourquoi on désire s’étendre. La question fondamentale est de savoir si les gens sont prêts à donner pour le journalisme. J’aurais tendance a dire oui, mais pas assez, donc il faut encore travailler…

Combien donnent-ils généralement ?

L'échelle se situe entre 2 et 2 000 dollars [de 1,30 à 1 336 euros]. Le but étant de vendre l'enquête à des journaux, si on y parvient, on rembourse les donateurs.

A quelle hauteur a participé le New York Times, pour l’enquête récemment publiée sur la poubelle géante au milieu du Pacifique, près d’Hawaï ?

Le New York Times a acheté l'article 800 ou 900 dollars [530 ou 600 euros], je ne suis pas certain car c'est la journaliste qui a géré son affaire, et Spot.Us a financé son voyage. Dans ce cas, tout le monde y gagne. La journaliste a pu faire l'article grâce à Spot.Us, sans quoi elle n'avait pas les moyens de se rendre sur place. Les donateurs sont heureux de voir le résultat dans le New York Times. Et celui-ci publie une enquête a moindre frais.

Mais vous financez des enquêtes même si vous n’avez pas encore trouvé preneur ?

Oui. Pour l’instant, nous avons plus de projets que de résultats publiés.

Vous visez surtout la presse écrite. N’est-ce pas difficile de lui vendre des articles en ce moment ?

Le marché est très difficile, partout les journaux coupent dans leur budget et c’est aussi le cas dans les radios et les télés. Les temps sont durs pour les pigistes, car ils sont les premières victimes des coupes budgétaires. Spot.Us cherche a trouver un modèle économique pour eux. On ne cherche pas a changer la face du journalisme : la qualité du contenu tient avant tout au fait d’avoir les moyens de payer les gens qui le font.

(1) http://spot.us

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