Avenue de Wagram, à Paris, la direction de Facebook France a pris une décision radicale. Lassée de voir ses commerciaux filer chez Twitter, elle ordonne désormais à ceux qui la plaquent pour son jeune rival de quitter l’immeuble surle-champ. Même pas question pour eux de repasser par le bureau. «Du coup, ceux qui démissionnent s’organisent pour sauvegarder les données de leur ordinateur avant d’être mis dehors», sourit un interlocuteur régulier des deux sociétés.

Hélas pour Twitter, il ne suffit pas d’aller chiper les cadors de Mark Zuckerberg pour recopier son juteux business model. Alors que Facebook avait dégagé ses premiers profits cinq ans après sa création, Twitter, lancé en 2006 à San Francisco, n’a toujours pas gagné un centime huit ans après. Pire : en 2013, ses pertes ont atteint le chiffre record de 473 millions d’euros. Présentés comme encourageants par la société, les comptes du second trimestre publiés fin juillet ne montrent aucune éclaircie puisque le déficit atteint 110 millions d’euros, trois fois plus qu’un an plus tôt! Pourtant, avec 271 millions d’utilisateurs mensuels – dont 5 millions en France – sa popularité ne cesse de progresser. Pas une émission télé qui ne nous encourage à tweeter. Même le pape François fait cuicui. Oui, mais voilà : les marques rechignent à acheter de l’espace publicitaire sur le réseau. Son chiffre d’affaires (487 millions d’euros) ne suffit donc pas à payer les salaires de ses 3.000 employés, dont 20 en France. Même Biz Stone, cofondateur du site, qu’il a quitté en 2011, a admis en juin que la recette ne fonctionnait pas. Et allumé l’actuel P-DG, Dick Costolo. «Twitter doit changer. Je serais ravi d’en parler avec Dick, s’il veut bien m’écouter.»

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Stone doit enrager de voir son bébé mal grandir. Avec ses acolytes, cet ancien de Google avait imaginé un outil simple grâce auquel tout un chacun peut faire connaître son hu- meur aux autres. Seule restriction : ne pas dépasser 140 signes, une limite héritée du temps où l’on envoyait ses messages par SMS. Après un premier gazouillis en mars 2006, l’oiseau Twitter a très vite pris son envol. Dès 2008, il s’en échangeait 300.000 par jour.

Pour monétiser cette audience, le site s’est mis à vendre de la publicité dès 2010 en permettant aux marques de publier des tweets sponsorisés qui s’imposent dans le fil d’actualité de l’utili- sateur. Ces messages sont facturés de 25 à 80 centimes par «engagement», c’est-à-dire chaque fois que l’abonné clique sur le lien cité dans le tweet, qu’il le partage avec ses amis ou l’ajoute à ses favoris. Les annon- ceurs peuvent aussi payer pour que Twitter suggère à ses usagers de s’abonner à leur compte. Il touche alors 1 euro par follower recruté. Enfin, contre environ 7.000 euros, les marques peuvent apparaître durant une journée dans l’onglet Tendances, qui liste les sujets les plus discutés.

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Séduisante sur le papier, cette offre s’est révélée déce- vante. «Pour 10 euros investis, vous ne récupérez que 8 à 10 euros de retombées commerciales, contre environ 11 sur Facebook», soupire le dirigeant d’une agence de pub. Résultat : même si toutes les grandes marques investis- sent sur le réseau, elles ne lui laissent souvent que des miettes de leur budget publicitaire, de 10.000 à 15.000 euros par campagne.

Le premier problème de Twitter, c’est que l’on peut y faire le buzz sans bourse délier. Prenez Carambar. En mars dernier, 55.000 tweets ont repris la (fausse) rumeur lancée par la marque elle-même, selon laquelle elle supprimait la fameuse blague de son emballage. «On a eu jusqu’à un message toutes les deux secondes et, dans la foulée, tous les journaux télévisés», raconte Magali Mirault, la responsable marketing. Les tweets de stars (voir ci-dessous) échappent aussi à la société. Quand Givenchy, Bouygues Telecom ou Nike paient respectivement Alicia Keys, Christophe Maé ou Zlatan Ibrahimovic pour qu’ils publient un mot sympa sur leur dernier produit, Twitter ne touche rien. A l’inverse des sociétés spécialisées en marketing de célébrités, comme My Love Affair ou Brand and Celebrities en France.

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Twitter souffre d’un second handicap face à Facebook. Il offre beaucoup moins de données privées. Chez son puissant rival, Coca-Cola peut par exemple cibler l’âge, la langue, les goûts, la ville ou la situation conjugale de ses membres, qui sont régulièrement invités à partager ces informations. Sur Twitter, à l’inverse, on ne laisse que son e-mail. La plate-forme a beau analyser les messages de ses utilisateurs pour deviner leurs centres d’intérêt, son outil de ciblage est nettement moins performant.

Mais il y a plus inquiétant encore pour Twitter : si le nombre d’inscrits continue de croître, l’usage réel, lui, stagne. Au premier trimestre 2014, le fil d’actualité ne s’est affiché «que» 173 milliards de fois dans le monde. A peine 15% de plus qu’à l’été 2013, un croissance plutôt molle dans cet univers alors que l’effet Coupe du Monde devait jouer à fond. «Avec ses RT, ses # et ses @, Twitter est trop difficile d’accès pour espérer toucher le très grand public comme Facebook», estime un intermédiaire du secteur. Or, sans hausse du trafic, il ne peut espérer accroître ses recettes.

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Tout n’est évidemment pas cuit pour l’oiseau bleu. En France, un pays clé pour le groupe, le réseau vient de lancer un nouveau format grâce auquel un éditeur de jeu sur iPhone peut par exemple encourager l’installation de son application avec un bouton Télécharger. «J’y crois, car ça marche très fort chez Facebook», explique Pierre-François Chiron, le patron de l’agence MakeMeReach, dont l’outil permet aux annonceurs de mieux gérer leurs campagnes sur les réseaux sociaux. Twitter propose aussi aux chaînes télé d’envoyer à leurs abonnés une vidéo d’émission précédée d’une pub dont les revenus sont partagés. SFR s’est, de son côté, réjoui de l’impact de la campagne originale qu’il a menée pendant les matchs des Bleus avant le Mondial. Les tweets des supporters, où figurait la mention @SFR, étaient reproduits en direct sur les panneaux autour du terrain. Pour Véronique Bergeot, la cofondatrice de l’agence Social Moov, il faut être patient. «Les mêmes doutes existaient au démarrage de Facebook.» Aux Etats-Unis, les actionnaires, eux, sont plus pressés. Ils viennent de débarquer le DG adjoint et d’embaucher un directeur financier venu de Goldman Sachs. Sa mission tient en moins de 140 signes: gagner de l’argent.

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Nouveau : les stars sont payées par les marques

> Christophe Maé : 1.500 euros le tweet* pour Bouygues Telecom

> Zlatan Ibrahimovic : 1.000 euros le tweet* pour Nike

> Jenifer : 3.000 euros le tweet* pour Pampers

* Estimations, basses, de la société spécialisée Brand and Celebrities.

Gilles Tanguy