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Enquête

Smartphones : la révolution low cost venue de Chine

Par Yann Rousseau, Gabriel Grésillon

Publié le 13 mars 2014 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

Elles s'appellent Xiaomi, Coolpad et, en Asie, elles concurrencent déjà les géants Apple et Samsung... Ces start-up au style nouveau proposent des appareils attractifs à prix réduit. Et poussent toute l'industrie à se reconfigurer, à commencer par les fournisseurs japonais.

Li Yi a des étoiles dans les yeux. Quand il sort son smartphone de sa poche, il ne s'en cache pas : il se sent « presque en fusion » avec l'appareil. Dans ce café de Pékin, il manipule l'objet, le retourne pour en exhiber avec enthousiasme la batterie orange dont il a librement choisi le coloris, la coque d'un bleu métallisé résolument moderne. De toute évidence, son téléphone est pour lui beaucoup plus qu'un assemblage de composants électroniques. C'est un élément d'identité. Mais ce n'est ni un Apple ni un Samsung. Sur le marché très lucratif de la téléphonie mobile, le combat qui a focalisé l'attention du monde entier s'est résumé, jusqu'à très récemment, à celui qui oppose les deux mastodontes du secteur. A grands coups de lancements de nouveaux produits, la guerre médiatique fait rage entre l'américain et le sud-coréen. Pourtant, chaque trimestre qui passe le confirme : pour le producteur de l'iPhone comme celui de la série Galaxy, la vraie menace est peut-être en train de venir d'ailleurs. Sur le marché chinois, en pleine effervescence, l'un comme l'autre font face à des concurrents d'un genre nouveau. Chinois, ces challengers ont opté pour un positionnement radicalement différent. A la distinction sociale associée à des téléphones très chers, ils opposent une conception plus démocratique du smartphone, avec des modèles oscillant entre 100 et 300 dollars, mais proposant malgré tout des prestations très correctes et un design quasi irréprochable. Les plus connus s'appellent Xiaomi et Coolpad. Ils ne cessent de gagner des parts de marché dans leur pays. Coolpad est désormais troisième au classement, avec 11 % du volume de ventes, derrière Samsung et Lenovo. Tandis que Xiaomi est sixième, au coude-à-coude avec Apple, avec de 6 % à 7 % des ventes.

Avec son statut de petit nouveau et son marketing très inventif dans le paysage chinois, c'est Xiaomi qui attire le plus l'attention des analystes et des médias. Cette société a réalisé le tour de force de faire partie du club mondial très restreint des 37 start-up recensées par le « Wall Street Journal » ayant une valorisation supérieure à 1 milliard de dollars. Dans ce classement, Xiaomi était tout simplement classé... deuxième au monde, juste derrière l'américain Dropbox. De fait, son dernier tour de table l'a valorisé à 10 milliards de dollars. Pour une société fondée en 2010, la performance est époustouflante. Elle en dit long sur le sens des affaires du tandem qui la dirige, formé dans la Silicon Valley. Et particulièrement de Lei Jun, son PDG âgé de quarante-cinq ans, passé auparavant par l'industrie du jeu vidéo.

Lei Jun, le Steve Jobs chinois

Alors qu'il sort de son sac un deuxième appareil Xiaomi, Li Yi lâche cet aveu : « Lei Jun est le Chinois que j'admire le plus. » Question de style. Régulièrement comparé à Steve Jobs, l'intéressé ne renie pas cette affiliation. Plagiant l'ancien patron d'Apple, il lance ses produits dans des shows dont il est le grand prêtre, souvent vêtu d'un jean, d'un pull noir et d'une paire de Converse. Il plaisante, fait monter l'ambiance dans la salle, peuplée de jeunes fans enthousiastes. « Avant Lei Jun, il n'y avait en Chine que des patrons au style traditionnel, qui décident tandis que les autres exécutent. Mais lui nous donne le sentiment que, pour la première fois, ce sont les consommateurs qui ont le pouvoir. » La jeunesse chinoise en rêvait, Lei Jun l'a fait : le patron cool et décontracté. Un patron qui a été reçu, au milieu d'autres noms de la high-tech locale, par le président chinois Xi Jinping lui-même,

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Mais le véritable génie de Xiaomi est d'être parvenu, pour l'instant, à concilier l'inconciliable : être rare sans être cher. Malgré un positionnement d'entrée de gamme et un nom humble (« xiaomi » signifie petit grain de riz), Xiaomi sait se faire désirer. Et cela grâce à des ventes au compte-gouttes, effectuées uniquement sur Internet. Li Yi en sait quelque chose. Lui qui a déjà acheté au total 31 téléphones de sa marque fétiche, souvent pour le compte de ses amis, se connecte systématiquement une demi-heure avant le début de la vente flash, puis « clique comme un fou » à l'heure dite, pour décrocher un des smartphones mis en vente à ce moment précis. Parfois, grâce à sa fréquentation assidue des forums et à sa participation à la communauté virtuelle des fans, il obtient un « code F » (F pour « friend »), qui lui garantit, à titre exceptionnel, d'être assuré de pouvoir acheter un téléphone. Au final, cette frénésie fait des milliers de frustrés, mais alimente la machine à rêve... et à buzz. Comme des records d'athlétisme, on répète la dernière performance de Xiaomi : 100.000 téléphones écoulés en 1 minute et 29 secondes ! Cette stratégie de la rareté est activement alimentée par les fondateurs de Xiaomi. Après avoir écoulé 7,2 millions d'appareils en 2012 et 18,7 millions en 2013, ils tablent sur 40 millions cette année. Mais Lei Jun fait mine de s'inquiéter : la capacité de production suivra-t-elle ? Avec ses 8 millions de « followers » sur Weibo, le « Twitter chinois », ses propos ont une résonance démesurée.

Reste à savoir si cet incontestable succès de marketing se convertit en profits. Sur ce plan, Xiaomi ne dit pas un mot. Mais les analystes savent que, avec des prix aussi serrés, les marges sont nécessairement faibles. D'autant que les problèmes de qualité apparaissent : il faut bien créer un réseau d'après-vente pour y faire face. Xiaomi doit donc se rattraper sur les volumes, mais aussi sur les à-côtés, les gadgets qui permettent de personnaliser son téléphone. Il lui faut aussi se diversifier. Il a investi 20 millions de dollars dans Westhouse, un éditeur de jeux, afin d'enrichir son catalogue en la matière, et vient de signer un partenariat avec Bank of Beijing pour se positionner sur le marché en plein boom de la finance sur Internet. Autre axe de croissance : le développement international. Déjà bien implanté à Taiwan, le groupe vise l'Asie du Sud-Est en premier plan, tout en prenant pied en Inde. Il diffuse gratuitement, y compris en anglais, son interface dans le monde entier. Le but étant de créer un peu partout des communautés de fans, pour préparer le terrain à son arrivée.

Même si leur rentabilité ne semble pas encore assurée, l'émergence de ces nouvelles marques a déjà bouleversé l'équilibre industriel du secteur et interpelle les grands groupes d'électronique asiatiques et américains, jusqu'ici habitués à ne travailler qu'avec une poignée de multinationales. « Il y a deux ans, les fabricants japonais ont été très surpris de découvrir leurs composants à l'intérieur de ces smartphones chinois de nouvelle génération avec lesquels ils n'avaient jamais traité directement », explique Minatake Kashio, le directeur du cabinet d'études Fomalhaut Techno Solutions, à Tokyo. « Leurs distributeurs chinois avaient d'eux-mêmes poussé certains éléments de qualité », explique l'expert. Ses équipes, qui viennent de procéder au démontage complet du dernier Mi3 de Xiaomi, proposé à seulement 1.999 yuans (237 euros), ont découvert des équipements déjà utilisés par de prestigieux concurrents, notamment Apple et Samsung. L'appareil est ainsi équipé d'un écran LCD produit par le japonais Sharp et de connecteurs fabriqués par le nippon Hirose. Plusieurs puces proviennent de Murata et de JAE (Japan Aviation Electronics Industry). Le capteur de l'appareil photo est fourni par Sony, le leader mondial du secteur, quand d'autres éléments clefs de l'écran ont été commandés à Kyocera.

Un sérieux « grain de riz »

Une large partie des puces du Mi3 provient aussi de l'américain Qualcomm, qui cible depuis 2011, en Chine mais aussi en Inde, les producteurs de smartphones de gamme moyenne en leur proposant des « designs de référence ». Des plates-formes complètes où sont déjà intégrés les composants électroniques de plusieurs fabricants mais aussi des logiciels ou des interfaces. En optant pour ces structures modèles, produites en très grandes quantités pour plusieurs sociétés, le chinois Xiaomi ou encore l'indien Micromax peuvent limiter considérablement leurs coûts de recherche et développement et réduire leurs phases de conception. « Avec ces nouveaux designs, il n'y a plus de limites. On peut imaginer des smartphones à 50 dollars ou même 20 dollars », remarque Gerhard Fasol, le président du cabinet d'études Eurotechnology à Tokyo.

Confrontés à cette révolution, les grands fournisseurs japonais ont réorienté leur stratégie et établi des contacts directs avec les patrons de ces entreprises chinoises ou indiennes. Mais ils ont aussi dopé les effectifs de leurs équipes auprès des fournisseurs de plates-formes complètes comme Qualcomm ou le taïwanais MediaTek, qui a conçu les processeurs de certains appareils de Xiaomi, et notamment le Hongmi, son smartphone d'entrée de gamme proposé à 699 yuans (82 euros). « La manière la plus rapide pour nous d'augmenter nos transactions avec les fabricants chinois de smartphones est d'arriver à intégrer nos composants aux listes recommandées par Qualcomm et les autres », confirmait il y a quelques semaines au « Nikkei » Takehiro Kamigama, le PDG de TDK. Ces nouveaux clients permettent aux producteurs japonais de mieux digérer les soubresauts de la demande pour les appareils premium d'Apple et Samsung, dont ils dépendent tant. Les cadres nippons se rappellent avec effroi de ce qu'ils ont baptisé « l'iPhone 5 shock ». Subitement, à la fin 2012, les ventes de l'appareil d'Apple avaient fondu, les consommateurs se précipitant sur le nouveau Galaxy S4 ou attendant l'iPhone 5s.

Mais cette garantie de stabilité sur un marché parfois erratique a aussi son revers. Car les contrats avec les firmes chinoises se font à prix cassé. « Tous les géants nippons du secteur sont confrontés à l'érosion rapide de leur rentabilité et cette nouvelle demande ne va malheureusement pas les aider à enrayer la chute », note Gerhard Fasol. Lee Kun Soo, un analyste d'IHS, remarque que très peu de composants japonais ont été intégrés aux appareils les moins chers en Chine. « On ne les retrouve pas dans le bas de gamme, insiste-t-il. Les producteurs japonais doivent absolument continuer à développer des composants plus performants, plus miniaturisés à forte valeur ajoutée. C'est là que sont les marges futures. » Malgré son nom céréalier, Xiaomi représente plutôt, avec ses homologues, un sérieux grain de sable dans toute une industrie à la mécanique jusqu'alors bien huilée.

Les points à retenir

Les fabricants de smartphones Coolpad et Xiaomi ne cessent de gagner des parts de marché en Chine.

A la distinction sociale associée aux téléphones très chers proposés par Apple ou Samsung, ces challengers opposent une conception plus « démocratique » du smartphone, avec des modèles oscillant entre 100 et 300 dollars.

Confrontés à cette révolution, les grands fournisseurs japonais du secteur ont réorienté leur stratégie et établi des contacts directs avec les patrons de ces nouveaux acteurs.

Correspondant à Pékin Correspondant à Tokyo Gabriel Grésillon Yann Rousseau

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