La Liberté

La complexité tue la (vraie) responsabilité

Paul

Publié le 07.07.2017

Temps de lecture estimé : 2 minutes

Les événements tragiques – à l’instar de l’incendie de la tour Grenfell à Londres – sont comme des failles qui ravinent le paysage lors des séismes. Ils déchirent brutalement le quotidien et ouvrent des abîmes de complexité là où prévalait la normalité. Pendant de courts instants se figent alors ces milliers de microconnexions qui, mises bout à bout, forment de complexes réseaux d’interdépendances reliant les causes aux effets. Les enquêteurs disséqueront des années, pièce par pièce, cet écheveau alors que la «normalité» reprendra ses droits.

Le Larousse définit l’accident comme «événement inattendu, non conforme à ce qu’on pouvait raisonnablement prévoir, mais qui ne le modifie pas fondamentalement». Il est pour ainsi dire normal que le monde ne s’arrête pas de tourner après un simple accident. Mais comment sait-on de suite qu’il s’agit d’un accident et non d’un symptôme d’un problème plus profond «qu’on pouvait raisonnablement prévoir»? L’histoire récente est pleine de ces prétendus accidents, dont il ressort, après analyse, que l’événement était conforme à ce qu’on aurait pu ou dû «prévoir raisonnablement», mais simplement on avait omis ou choisi de ne pas le faire. Cela est vrai de la crise financière de 2007, de l’effondrement de la plateforme du golfe du Mexique ou du Rana Plaza au Bangladesh, plus récemment de l’incendie de Londres.

Dans un contexte de complexité, la séquence cause-effet n’est pas linéaire comme dans un monde mécanique, mais ramifiée à l’infini et multiple. Il s’ensuit que le monde actuel bâti sur la complexité se trouve dans une situation paradoxale: si les causes de tout événement sont traçables après coup, à l’inverse les conséquences des actes qui ont mené à ce même événement n’auraient pas pu être raisonnablement prévues. Il en résulte un glissement général vers le dédommagement et la sanction avec, en parallèle, l’abdication de la prise de responsabilité au nom de la prévention. En effet, cette dernière, exercée au nom de la responsabilité, suppose que le risque soit identifié pour justifier les coûts ou pertes de revenus. Or, il y a des risques qui resteront cachés du fait de la complexité croissante et il y en a d’autres dont la probabilité est très faible. Le décideur «responsable», plutôt que de tirer la prise, va naturellement chercher à se couvrir par un calcul de probabilité et une assurance en responsabilité civile.

Le paradoxe vient du fait que dans un monde où des enchaînements prévalent, aucun acteur n’a une vision consolidée du chemin cause-conséquence, personne donc n’est en position de responsabilité. Les premiers résultats de l’enquête de Londres font état de dizaines d’intervenants, de sous-traitances à la chaîne, avec cession de responsabilités à la clé. Avec pour conséquence non pas de prévenir la tragédie, mais de «dédommager». Ce drame n’est donc pas un accident, mais un signe d’alerte de plus, qui rappelle qu’il y a une limite – humaine – à la complexité, et qu’elle est sur le point d’être franchie. Simplifions, et raccourcissons les chaînes d’interdépendances avant qu’il ne soit trop tard. Une crise systémique guette.

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