Accueil»Écritures»LECTURE URBAINE»
Pas folles, les herbes #1 Stockholm

Pas folles, les herbes #1 Stockholm

0
Partages

Dans l’espace fini des villes un inventaire des plantes sauvages est possible. L’idée pour moi a pris forme à Uppsala, Suède, devant la maison où vécut Carl Von Linné, dans le jardin botanique où il a travaillé.


D’un côté un naturaliste du XVIIIème siècle, un homme savant, patient, curieux qui a collecté, collectionné, reproduit des plantes de tous les continents, et imaginé pour elles une classification binominale  toujours pertinente, et de l’autre une préférence personnelle pour les voyages dans les villes.

Et puis le constat suivant: sur l’acte de naissance des villes on lit d’abord un anéantissement de la campagne. Réintroduire la nature entre les bâtiments ne changera pas cette donnée fondamentale. Mais la campagne est pugnace, elle aime à resurgir. Elle renaît dès que l’emprise de la ville se relâche, parfois à quelques mètres de l’hyper centre lourd des quais de marbre et des dalles de béton. Les plantes se glissent entre le trottoir et la rue, au pied des façades, autour des chantiers, dans les espaces négligés, dans les gouttières, sur les failles du crépi à hauteur des yeux ou sous les pas des passants. Leur présence est un indice. Un indice de quoi? Nous verrons cela quelques villes plus loin.

Friches et décombres, Stockholm à la fin du mois d’août

On trouve dans les villes des espaces fleuris, des parterres, des massifs — apprécions la légèreté de ces mots — où les plantes autorisées prospèrent: argent public, efforts de jardiniers, maîtrise du temps de la floraison, maîtrise de l’expansion et du vivre ensemble pour les fleurs décoratives grandies dans la discipline de couveuse des serres municipales avant de paraître un jour devant nos yeux distraits et disparaître aussitôt que fanées.

Allons voir pour une fois les rebelles, les indomptables, les increvables, bref les «mauvaises herbes», celles dont la Flora Helvetica (1616 pages, Éditions Belin 2000, 2 kg de papier produit sans chlore et non polluant), qui ne se limite pas à la Suisse, nous signale qu’elles choisissent les lieux incultes, les buissons, les voies ferrées, les friches et les décombres.

À Stockholm la première rencontre a été Artemisia Vulgaris, l’armoise commune ou vulgaire, comme on l’entendra. Elle est haute et ses tiges sont déjà penchées à cette époque de l’année, ses extrémités sont épanouies en fleurs monochromes grises, ses feuilles froissées entre les mains délivrent une odeur aromatique un peu acide. Bonne à rien dans la cuisine, chassée des jardins depuis longtemps, jadis un peu tisane, elle avait choisi un embarcadère sur l’île de Skeppsholmen.


Agrandir le plan

Elle n’était pas seule: Tussilago Farfara avait étalé ses feuilles vernissées en forme de cœur recouvrant le sol. Pour les curieux qui aiment voir l’envers des feuilles, celui-ci est recouvert d’un fin duvet blanc, puisque ces feuilles sont tomenteuses. On appelle la plante «Pas d’Ane», c’est un compagnon fréquent des randonnées en moyenne montagne du sud-ouest de l’Europe.

Rumex Crispus, ou Rumex Patienta? Les graines en haut des tiges sont devenues couleur de rouille. Les feuilles sont polygonales. D’ailleurs c’est une polygonacée. Dans la famille on trouve l’oseille, mais Flora Helvetica ne conseille pas de mettre sa version sauvage dans la soupe aux herbes.

Cet embarcadère était décidément bien occupé, puisqu’on y rencontrait aussi Taraxacum, le pissenlit dans sa version Aquilonare, nordique, et Epilobia Tetragonum, dont les gousses graineuses avaient déjà éclaté, délivrant une laine fine destinée à s’envoler.

Epilobia Lanceolatum, elle peut-être, était venue s’installer entre les pierres du ballast à Stockholm Central. L’identification précise des plantes ayant ses limites, nous ne sommes pas descendus sur la voie pour en être certains. Elle avait des fleurs très petites, mauve pâle, des feuilles en forme de pointe de lance, elle avait poussé en colonie serrée, et s’avançant dans la gare le train flottait au dessus d’une nuée verte.


Agrandir le plan

Erigéron ou Vergerette? Empereur ou bergère? La tige se dresse, solide, les feuilles sont fines, vert pâle et les fleurs s’égrènent en fin duvet. Dans un jardin elle n’a pas sa place. Ici elle voisinait avec Linaria Vulgaris, une jolie gueule de loup jaune et fleurie. Ceci se passait près du Blasieholmshamn, une promenade au bord de l’eau, au pied d’un piquet de bois.


Agrandir le plan

Et partout, dans les coutures de la ville, entre les pavés, sur les bordures de trottoirs, le long des bâtiments ont trouvé place Plantago Media, le plantain moyen, avec ses feuilles épaisses disposées en rosette, nervurées en long, et Poa Pratensis, le pâturin commun, et la saponaire et le millepertuis, le séneçon et la crépide…

Mais passez votre chemin, visiteur, vous êtes venu ici pour admirer l’Or des Vikings!

Auparavant

Le lendemain de la veille urbaine #4: la maison

Ensuite

Le lendemain de la veille urbaine #5: l'accélération

5 Commentaires

  1. […] This post was Twitted by mosieurj […]

  2. […] Ce billet était mentionné sur Twitter par Môsieur J., URBAIN trop URBAIN. URBAIN trop URBAIN a dit: Botanique urbaine: herboriser les "mauvaises herbes" en ville, au pays de Carl Von Linné http://ow.ly/37iUl <article Urbain, trop urbain […]

  3. jeandler
    à

    Pas folles, les herves
    amies du vent et des oiseaux quand ce n’est pas des hommes

    Entre les pavés
    pousse la vie
    sur les murs sur les toits
    chantent les fleurs sauvages

  4. […] Nous vous invitons à lire le premier épisode de cette botanique urbaine, initiée à Stockholm. // Marie […]

  5. gilda nataf
    à

    ah quel bonheur de pénétrer plus avant dans la Ville, vive urbain trop urbain … urbain ce prénom papal ! Il y eut Urbain II qui prêcha une Croisade … cette grande mondialisation dont on lit depuis quelques années l’envers du miroir.

Commenter cet article

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>