NKM : "Nous avons à tenir notre rôle de terre d'asile"

La vice-présidente des Républicains veut profiter de la crise actuelle pour réformer en profondeur la politique d'immigration et celle du droit d'asile.

Un entretien avec

Compte tenu de la situation exceptionnelle, il faut privilégier les  demandeurs d’asile au regroupement familial, et même à l'immigration  économique, estime NKM, ici au Kurdistan irakien.
Compte tenu de la situation exceptionnelle, il faut privilégier les demandeurs d’asile au regroupement familial, et même à l'immigration économique, estime NKM, ici au Kurdistan irakien. © DR

Temps de lecture : 10 min

Le Point.fr. Les Français sont hostiles à l'accueil sur notre territoire d'un quota de réfugiés. Et vous ?

La newsletter politique

Tous les jeudis à 7h30

Recevez en avant-première les informations et analyses politiques de la rédaction du Point.

Votre adresse email n'est pas valide

Veuillez renseigner votre adresse email

Merci !
Votre inscription a bien été prise en compte avec l'adresse email :

Pour découvrir toutes nos autres newsletters, rendez-vous ici : MonCompte

En vous inscrivant, vous acceptez les conditions générales d’utilisations et notre politique de confidentialité.

Nathalie Kosciusko-Morizet : Je suis favorable à l'accueil des réfugiés. C'est le devoir de la France, son histoire, et son honneur, que d'être une terre d'asile. Nous avons su gérer des arrivées massives, rappelez-vous les boat people dans les années 79-80 ! La France s'est construite dans des vagues successives d'immigration. Nous sommes tous, d'une manière ou d'une autre, souvent dans notre histoire familiale, redevables de cette culture d'accueil. Ne l'oublions pas.

En revanche, je trouve que le terme de « quota » entretient une confusion problématique entre l'immigration économique traditionnelle et la crise actuelle qui relève largement du droit d'asile. Une confusion qui existe jusque dans les mots puisqu'on utilise souvent indifféremment les termes « migrants » ou « réfugiés ». Cela nuit au droit d'asile. Il faut remettre chaque chose à sa place et faire des choix clairs : l'immigration économique est conditionnelle. On accueille en fonction de nos besoins et de nos capacités d'intégration. À ce titre, elle peut être soumise à des quotas, selon les métiers ou l'origine. Le droit d'asile est inconditionnel. Il relève des principes. On ne demande pas ses papiers à quelqu'un qui se noie, on lui tend la main.
De mon côté, mes choix sont clairs : la France doit accueillir ceux qui fuient la guerre et les persécutions, comme elle l'a toujours fait. Quitte à donner la priorité au droit d'asile sur toute autre voie d'immigration, le temps de cette crise, en restreignant fortement l'immigration économique et le regroupement familial.

Comment et sur quels critères doit-on restaurer le droit d'asile ?

N. K.-M. : Le droit d'asile n'est pas une voie d'immigration ordinaire, parmi d'autres. Il est temps de le rappeler, dans les principes et dans la pratique. Il faut le restaurer dans son essence, pour le sauver, et avec lui sauver ceux qui ont un besoin vital de venir en France, à l'abri des guerres et des persécutions. Cela suppose d'être plus strict avec ceux qui essaient d'utiliser l'asile pour contourner les règles, alors qu'ils n'en relèvent pas.

Je propose de faire de la demande d'asile une demande exclusive de toute autre procédure. Aujourd'hui, la complexité des procédures incite les personnes cherchant à immigrer en France à formuler des demandes successives sur différents fondements : on dépose une demande sur le fondement de l'asile, sur des fondements médicaux ou autre, pour multiplier les chances. Cette stratégie d'épuisement des canaux de demande doit être rendue impossible.

Nous rejetons plus de 80 % des demandes d'asile

Mais cela ne suffira pas à accélérer la procédure de demande d'asile elle-même...

N. K.-M. : C'est vrai. D'où une autre proposition : dans la procédure de demande d'asile, il existe une liste des pays dits « sûrs », c'est-à-dire des pays dont les ressortissants n'ont, en théorie, pas de motif à demander l'asile. Cette liste doit être unique pour toute l'Union européenne. Et être originaire de ces pays doit avoir des conséquences plus systématiques sur le refus des demandes.
La loi sur l'asile que le gouvernement a fait voter a malheureusement l'effet inverse : elle donne de nouveaux moyens aux personnes issues de ces pays, en instaurant des recours et en renvoyant la décision à l'Ofpra, et non plus au préfet. C'est une erreur ! Nous rejetons plus de 80 % des demandes d'asile. Dans le contexte actuel, nous devons être efficaces et accueillir ceux qui en ont indéniablement besoin. A contrario, la procédure mériterait d'être simplifiée pour les personnes issues d'un pays en guerre. Le « cas par cas » pourrait souvent trouver des issues favorables plus rapides.

Tout cela concerne la procédure elle-même. Cela sera-t-il suffisant pour faire face à l'urgence ?

N. K.-M. : Non ! Nous devons aussi nous organiser pour faire face à la crise du nombre. Déjà améliorables en temps ordinaire, nos procédures sont complètement dépassées face à la crise actuelle. Le dispositif issu des accords de Dublin, qui prévoit le traitement de la demande d'asile dans le pays de premier accueil en Europe, n'est plus tenable. Il laisse des pays comme la Grèce et l'Italie en première ligne, débordés, alors même que le problème est européen.

En plus du renforcement du dispositif Frontex, sur lequel il faudrait pouvoir revenir plus longuement, je propose la mise en place de centres d'accueil européens. Ce seraient des lieux de transit obligatoires, sur le modèle d'Ellis Island, qui fut le lieu de passage pour des générations de migrants, d'ailleurs souvent européens, vers les États-Unis. On y trouverait des fonctionnaires européens, chargés de vérifier l'éligibilité au droit d'asile, et les services de police et de renseignements pour éviter l'infiltration.

Moins de 10 % des éloignements sont effectivement réalisés

Que faire des migrants qui ne seront pas considérés comme des demandeurs d'asile ?

N. K.-M. : Garantir rapidement le statut de réfugiés à ceux qui le méritent et reconduire immédiatement ceux qui ne relèvent pas de l'asile, tel serait l'objectif de ces centres. On ne doit pas laisser s'installer une situation dont on sait qu'elle empêchera de reconduire ceux qui ne relèvent pas de l'asile. Aujourd'hui, on nage dans une grande hypocrisie : 80 % des demandeurs sont déboutés, mais moins de 10 % des éloignements sont effectivement réalisés. Il faut assumer l'éloignement des déboutés de la demande d'asile. Faute de quoi, on dénature le droit d'asile pour ceux qui en ont vraiment besoin.

Que doit apporter et proposer la France à ces milliers d'hommes et de femmes qui vont être accueillis chez nous ?

N. K.-M. : J'ai envie d'inverser la question. Nous, nous avons à tenir notre rôle de terre d'asile. Il est constitutif de notre être et de notre histoire. Il n'y a pas à tergiverser, car c'est une question de principe. Mais, par ailleurs, je pense que c'est largement notre intérêt. Ces réfugiés sont une opportunité pour la France. Ils ont eu le courage de traverser l'horreur, chez eux, puis sur les routes de l'Europe. Ils sont pour beaucoup d'entre eux formés, cultivés et se sont battus pour sauver leur avenir et celui de leurs enfants. Ils créeront leur place en France, par le travail.

Dans certains secteurs, ils la trouveront même tout de suite. Des métiers complexes et exigeants sont aujourd'hui en tension chez nous. Selon le Conseil d'orientation pour l'emploi, la France a besoin de talents étrangers pour occuper des fonctions d'ouvriers qualifiés, de professions de santé, ou en informatique. Les offres non pourvues représentent environ chaque année 300 000 emplois en France. Et la vague de départs à la retraite à partir de 2015, concentrés dans certains secteurs (services, informatique, tourisme, transport), va amplifier ce besoin de main-d'œuvre qualifiée.

Accueillir ces migrants est-il suffisant ou doit-on également intervenir en Syrie ou en Libye pour rétablir un ordre et une paix civils ?

N. K.-M. : Cette crise nous met évidemment face au problème d'origine : la situation terrible dans ces pays. Les résultats obtenus par la coalition à ce jour ne sont pas satisfaisants, il faut faire beaucoup plus. On parle d'intervention militaire en Syrie et en Libye. J'y mets deux conditions : une coalition doit d'abord s'appuyer sur les États de la région. Il ne faut pas refaire les erreurs des guerres d'Afghanistan et d'Irak, laquelle a d'ailleurs quelques responsabilités dans la situation actuelle. Une guerre menée seulement ou majoritairement par l'Occident agiterait les spectres du passé et risquerait de renvoyer les populations civiles sunnites vers Daesh. Par ailleurs, il faut tout de suite, sans attendre, parler du point de sortie politique. Là aussi, le passé et notamment la Libye doivent servir d'enseignement. Les frontières des États de la région, largement issues du temps de mandats occidentaux, ne correspondent plus à grand-chose. Elles étaient fragiles, elles sont devenues une fiction. Sommes-nous prêts à en rediscuter, alors que nous avons consacré un ordre international largement fondé sur l'intangibilité des frontières ?

Accueillir des dizaines de milliers de migrants n'est-ce pas ouvrir un boulevard au Front national ?

N. K.-M. : Ce qui offre un boulevard au FN, c'est penser comme le FN, parler comme le FN. Gouverner en fonction du Front national, le prendre perpétuellement comme référence de nos débats et de nos choix, c'est lui donner une place centrale dans le jeu politique. Ce serait sa victoire. La lepénisation des débats, après la lepénisation des esprits, et avant quoi ? On ne gagnera pas contre le Front national en anticipant sur ses positions, qui sont d'ailleurs bien misérables sur ces sujets, mais en défendant nos valeurs. Ce sont celles de la France.

De tels événements ne risquent-ils pas de radicaliser l'opinion publique ?

N. K.-M. : Les images des foules de migrants suscitent alternativement peur et compassion. Peur, car la crise n'est pas maîtrisée et laisse poindre des États débordés. Compassion, car nous avons tous une famille et certaines images sont insoutenables. Quand on est ainsi partagé, intimement, au plus profond de soi, on attend de ses dirigeants des décisions. Je pense que les Français craignent l'absence de maîtrise de cette crise migratoire, bien plus que les réfugiés eux-mêmes.

Je propose de restreindre les conditions du regroupement familial

Faut-il redéfinir en profondeur notre politique d'immigration ?

N. K.-M. : Toute crise est une occasion de se réinventer. Et il faut que cette crise soit le levier d'une refondation de notre politique migratoire. Actuellement, c'est l'immigration familiale qui représente la moitié de l'immigration en France chaque année, soit près de 100 000 personnes. C'est une spécificité française qui pèse sur le potentiel d'intégration de ces immigrés, faiblement qualifiés par rapport à nos voisins européens.

Compte tenu de la situation exceptionnelle, il faut privilégier les demandeurs d'asile au regroupement familial, et même à l'immigration économique. Je suis d'ailleurs convaincue que les demandeurs d'asile syriens seront l'immigration économique de demain.

Faisons des choix. Dire que l'asile est une priorité a des conséquences. Je propose de restreindre les conditions du regroupement familial. On peut le faire en conditionnant le regroupement à la situation professionnelle de la personne qui accueille sa famille. Il n'est pas aberrant de demander que la personne soit en situation d'emploi lorsqu'elle formule la demande. Cette réforme doit être engagée rapidement en contrepartie de notre ouverture aux migrants venus de pays en guerre, qui auront à cœur de reconstruire leur vie en France ou en Europe.

Rétif à la politique des quotas, François Hollande a fait volte-face. A-t-il eu raison ? L'a-t-il fait sous la pression des instances européennes ? Sous celle de l'émotion ?

N. K.-M. : François Hollande a manqué de leadership, comme à son habitude. C'est l'Allemagne, aujourd'hui, qui nous montre le chemin. Mais il est préférable que le couple franco-allemand soit aligné, pour cette crise comme pour les sujets importants. En revanche, je déplore que nous ne soyons jamais à l'initiative.

L'Europe a survécu à la crise grecque. Peut-elle se fracasser sur la crise migratoire ?

N. K-M. : Il y a un décalage frappant, choquant, entre la mobilisation générale des institutions et des États européens au moment de la crise grecque, et la tétanie devant la crise des migrants. En juillet, rien n'était plus urgent que les échéances financières de la Grèce. On enchaînait sommet européen sur réunion nocturne, déclaration fracassante sur référendum. Pour les migrants, il a fallu la photo terrible du corps du jeune Aylan Kurdi échoué mort sur la plage pour réveiller l'Europe. C'est la vraie question sur l'âme de l'Europe que nous voulons construire qui est désormais posée.

À ne pas manquer

Ce service est réservé aux abonnés. S’identifier
Vous ne pouvez plus réagir aux articles suite à la soumission de contributions ne répondant pas à la charte de modération du Point.

0 / 2000

Voir les conditions d'utilisation

Commentaires (21)

  • US-D-F

    Cela ferait des ghettos et nous en savons quelque chose !
    Un érreue politique largement prouvé en France.
    L'intégration est se seul moyen viable ; exemple : Allemagne.

  • CRIT

    Pour repérer un politique d'un économique d'un droit commun voir d'un dangereux activiste ? Rappelons nous que le père du pauvre petit garçon n'était pas un demandeur d'asile mais un demandeur de soins médicaux (pour lui)

  • tsump

    Photo en prime elle est pathetique la fan de margaret thatcher porte parole des sarkozy buisson de 2012