Google et Facebook veulent-ils tuer les cookies ?

Google et Facebook veulent-ils tuer les cookies ? L'industrie de la publicité en ligne s'inquiète de voir les géants du Web délaisser les cookies pour leur propre solution de tracking. Mais est-ce envisageable ?

Début octobre, alors que les premières rumeurs faisaient état de la volonté de Google de lancer prochainement un identifiant de tracking propriétaire, Business Insider se fendait d'un article au titre volontairement apocalyptique : "Microsoft, Google et Apple veulent tous que le cookie meure". Et l'ensemble des médias et du marché de spéculer sur la disparition prochaine de ces petits fichiers valises qui permettent aux agences, annonceurs et éditeurs de tracker le comportement des internautes sur le Web et de leur adresser des publicités ciblées.

Clé de voûte de l'économie du display, qui pèse près de 30% du marché de la publicité online, l'utilisation des cookies prête plus que jamais le flanc à la critique. Depuis la Cnil, qui vient tout juste de publier un guide des bonnes pratiques, jusqu'aux navigateurs, qui un à un en proscrivent l'usage à des fins publicitaires (Apple bloque les cookies tiers, Firefox s'apprête à le faire et Internet Explorer instaure par défaut le Do not track).

A ces griefs sur le manque de respect à l'égard de la vie privée s'ajoute un basculement des usages depuis le Web fixe vers le mobile, canal sur lequel leur efficacité est relative dans la mesure où ils ne s'appliquent pas au monde applicatif. Autre problème, dans un monde où "cibler le bon utilisateur, au bon moment, sur le bon canal" fait office de profession de foi, les cookies concernent souvent plusieurs personnes qui partagent un même ordinateur. Google, Apple, Facebook et consorts s'affairent donc pour trouver un moyen de tracker le parcours d'un utilisateur unique quel que soit le canal qu'il emprunte pour surfer sur le Web.

Nul doute qu'un tel changement de paradigme aurait des répercussions sur une économie aujourd'hui florissante mais qui reste fragile. Les retargeters tels que Criteo ou Mythings, les spécialistes de la data tels qu'Ezakus ou Nugg.ad,  en bref les acteurs qui ont fait du cookie leur fonds de commerce, pourraient voir leur business model remis en question.

Une fenêtre de migration vers un nouveau système donnerait le temps à chacun de s'adapter

Ces répercussions, justement, quelles seraient-elles ? Elevées mais pas insurmontables, estime Jérôme Stioui qui explique que "le principal aléa concernerait tout l'historique de data collecté jusque-là par les acteurs". A cela s'ajouterait la nécessité de basculer leur data management platform (DMP) vers le nouveau système, dans des délais relativement restreints. "Et encore, tempère Jérôme Stioui, fondateur de l'agence Ad4Screen, les géants accorderaient nécessairement une fenêtre de migration aux acteurs de la data, comme l'a fait Apple lorsqu'il est passé de l'UDID à l'IFA (ndlr, le nouvel identifiant qui lui permet de faire du tracking entre applications) laissant 1 an aux agences et annonceurs pour s'adapter." D'autant que la majorité des acteurs de la data s'est positionnée sur le mobile et travaille déjà à des solutions alternatives, telles que le fingerprinting, par exemple. "Nous avons d'ores et déjà développé une solution permettant de faire la passerelle entre le desktop et le mobile mais nous ne l'utilisons pas car elle ne répond pas encore à nos exigences en matière de respect de la vie privée", abonde Augustin Decré, directeur général France de Nugg.ad.

Mais il existe encore un gouffre entre la fiction et la réalité. Un gouffre que Google ne devrait pas essayer de franchir à en croire Jérôme Stioui, fin connaisseur du monde du tracking. "Google n'a pas besoin de lancer ce fameux identifiant pour faire du cross-canal. Il peut déjà s'appuyer sur les comptes Gmail que chaque utilisateur est obligé de créer lorsqu'il achète un appareil Android", explique-t-il. D'autant que Google prend soin de proposer à tous les utilisateurs de son navigateur, Chrome, de créer ou de se logger avec une adresse Gmail pour retrouver leurs favoris et leurs préférences de navigation. Sous réserve de faciliter leur navigation, il en profite pour réconcilier tracking mobile et Web fixe.  

Google a tout de même beaucoup à perdre 

Qui plus est, les cookies sont aujourd'hui la pierre angulaire du marché de la data, marché sur lequel Google a largement misé, lui qui a dépensé plusieurs milliards de dollars pour acquérir des sociétés telles que Doubleclick, Invite Media et Admeld. "S'il décidait de cloisonner son navigateur, Google se mettrait non seulement tout le marché à dos, mais il se tirerait également une balle dans le pied", explique Jérôme Stioui. Pour cause, Chrome ne pèse que pour 40% de parts de marché des navigateurs. Dans une industrie où le maître mot est l'exhaustivité, c'est bien trop peu. Surtout que comme le souligne Jérôme Stioui "un utilisateur qui a un smartphone Android n'utilisera que ce dernier pour aller sur le Web, sur mobile. Sur le fixe, en revanche, il aura toujours la liberté d'utiliser plusieurs navigateurs".  Autant dire que la prise de risque serait énorme pour Google qui a tout de même gagné plus de 3 milliards de dollars aux Etats-Unis, en 2013, sur le marché du display selon eMarketer. Un montant qui pourrait frôler les 6 milliards de dollars en 2015.

De nouvelles techniques encore moins respectueuses de la vie privée ?

Dans cette hypothétique ère post-cookie se profile un ultime écueil : le respect de la vie privée des utilisateurs. On peut s'interroger sur la pertinence pour le marché d'abandonner un système critiqué de longue date mais en passe d'être moralisé, à en croire les résultats des discussions entre les différentes Cnil et les lobbies du marketing digital concernant la transposition du paquet télécom. Car les outils de tracking nouvelle génération, tels que le Facebook Connect ou le compte Gmail, sont loin de satisfaire à de telles exigences. Comme le rappelle Augustin Decré, "les cookies procèdent de l'information anonyme contrairement à une adresse mail ou un Facebook connect". A ce titre, Facebook devrait rapidement développer sa technologie de tracking à plus grande échelle, le rachat de l'ad-server Atlas lui permettant d'exploiter les informations récoltées sur plus d'1 milliard de profils en dehors de son réseau social. Sous réserve toutefois de l'utiliser avec circonspection, pour ne pas, une nouvelle fois, être pointé du doigt concernant ses pratiques en matière de respect de la vie privée. Pour le reste, la majorité des acteurs de la publicité risque d'utiliser le système des cookies pendant encore un petit moment.