Vous vous demandez pourquoi votre longe de cerf, vos pétoncles, votre suprême de volaille sont toujours plus tendres, plus fondants lorsque vous les commandez au restaurant? Le savoir-faire du chef y est pour beaucoup, bien sûr, mais depuis quelques années, ce dernier a aussi l'aide d'une technique de cuisson répandue maintenant dans les plus grandes cuisines: le sous vide ou «cuisson à basse température». Au nouveau Birks Café, tenu par Jérôme Ferrer (Europea, Beaver Hall, etc.), on prépare un grand nombre de plats de cette manière. Éric Gonzalez (Auberge Le Saint-Gabriel) et Marc-André Royal (Le St-Urbain) ont été parmi les premiers chefs de chez nous à l'adopter. Si, pour vous, sous vide rime encore avec bouffe d'avion ou cuisine industrielle, voilà qui pourrait changer votre perception.

Utilisée à quelques reprises à la populaire émission Les chefs, la cuisson sous vide commence à intéresser monsieur et madame Tout-le-Monde. S'il est toujours l'apanage des grands restaurants et des chefs professionnels, le sous-vide attire suffisamment d'attention pour que les fabricants d'équipements de cuisine commencent à proposer des appareils destinés aux cordons bleus maison. Il n'en demeure pas moins que, pour l'instant, le sous-vide est un mode de cuisson un peu inaccessible. Pour curieux et cuistots avertis seulement.

Le sous-vide était jusqu'à récemment connu comme méthode de conservation. C'est un biochimiste et grand amateur de bonne chère français, Bruno Goussault, qui a découvert qu'une cuisson sous vide à basse température pouvait attendrir les coupes de viande les plus coriaces. Parallèlement, le grand charcutier Georges Pralus expérimentait le sous-vide avec un aliment haut de gamme, le foie gras, qu'il emballait dans plusieurs couches de pellicule plastique (version moderne du foie gras au torchon). Les deux hommes se sont rencontrés au début des années 80. Ensemble ou séparément, ils ont informé et formé plusieurs grands chefs étoilés.

C'est la société américaine Cuisine Solutions, pour laquelle Goussault est devenu le directeur scientifique au début des années 90, qui a introduit la cuisson sous vide aux États-Unis, à la faveur de plats préparés. C'est seulement vers la fin de la même décennie, avec l'aide de Gérard Bertholon, chef devenu cadre d'entreprise alimentaire, que Cuisine Solutions a réussi à convaincre des toqués américains comme Daniel Boulud et Thomas Keller (auteur du livre Under Pressure - Cooking Sous Vide) du potentiel de la cuisson sous vide. Alors que la cuisine moléculaire commençait à faire fureur et à habituer le public à une gastronomie plus «laboratoire», ces deux grands chefs ont exploité le sous-vide pour en faire une technique désormais presque incontournable, repoussant encore les limites de la gastronomie.

On vante aujourd'hui les mérites de cette technique ultra-précise, qui attendrit les chairs trop coriaces sans brusquer les plus fragiles, qui conserve la couleur vibrante des aliments (sauf des légumes verts) et empêche l'oxydation des pommes, poires, bananes, artichauts, etc. tout en produisant des saveurs infiniment pures ou naturellement concentrées. En plus de servir à la cuisson à basse température, le sous-vide peut avoir d'autres applications, comme la compression des aliments pour produire de nouvelles textures, par exemple, puis la marinade.

Les restaurants haut de gamme utilisent cette technique de plus en plus. Les élèves du programme de l'ITHQ l'apprennent. Les chefs font des stages en Europe ou aux États-Unis pour la maîtriser. Si vous avez l'habitude de fréquenter les bonnes tables de la métropole et d'ailleurs, vous avez à n'en point douter mangé une viande, un poisson, un légume ou même un dessert préparé sous vide.

À Montréal, Éric Gonzalez (qui vient d'élever la table du Saint-Gabriel à un autre niveau) fut un des premiers à en parler. Déjà, au Lutétia et au défunt Cube, il préparait volaille, saumon et foie gras sous vide. «Au Cube, un client m'a déjà dit que son veau se mangeait à la cuiller!» lance le chef, qui prépare d'ailleurs un cours de cuisson sous vide pour La Guilde culinaire.

Marc-André Royal, chef propriétaire du St-Urbain et coanimateur de l'émission La cantine, n'a pas hésité à s'équiper pour cuire sous vide, dès l'ouverture de son restaurant. «Une fois qu'on maîtrise la technique, on ne peut plus s'en passer. Elle est maintenant parfaitement intégrée dans ma cuisine», déclare celui qui a eu son baptême de sous-vide dans un restaurant à Londres.

Tous les chefs qui ont tâté de la cuisson sous vide n'hésitent pas à la qualifier de véritable révolution, au même titre que le congélateur et le four à micro-ondes. Jérôme Ferrer vient d'ouvrir le Birks Café, dans la célèbre bijouterie de la rue Sainte-Catherine. Il était impératif que le magasin ne soit pas envahi par des odeurs de viande braisée et de sole poêlée. La solution: le sous-vide.

Le chef des restaurants Europea, Andiamo et Beaver Hall, entre autres, n'était pas un habitué de cette cuisine de l'avenir. Il s'est donc mis au parfum pour concevoir le menu de son nouveau café. Depuis, il l'utilise dans toutes ses cuisines. Plusieurs des plats du Birks Café sont partiellement préparés à l'avance chez Europea, puis les viandes et poissons (souvent saisis et refroidis avant d'être mis sous vide) sont reconditionnés sur place, dans l'eau chaude, et montés impeccablement dans de la vaisselle fine.

«Au début, j'avais des réserves. Je suis un peu de l'ancienne école, explique le chef entrepreneur. Mais j'ai pris le téléphone et j'ai appelé tout plein de chefs étoilés, qui m'ont confirmé que je devais inévitablement passer par le sous-vide.» Aujourd'hui, il s'amuse beaucoup à faire découvrir aux clients des produits de consommation courante «cuits autrement».

«J'ai fait un test avec une banale compote de pommes: une pomme coupée en deux, du jus de citron, un peu de sucre et un tiers de gousse de vanille, le tout sous vide, cuit à 63 degrés pendant 45 minutes. C'était divin!»

Si elle ne remplace pas les techniques traditionnelles et qu'elle ne peut être appliquée à tous les aliments (légumes verts et céréales ne sont pas de bons candidats!), la cuisson sous vide est néanmoins un complément intéressant, voire indispensable de la cuisine d'aujourd'hui... et de demain.