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Le luxe des uns…

Mugron, 6 avril 2015 — Six novillos de Baltasar Ibán pour Alejandro Marcos, Louis Husson et Pablo Aguado (remplaçant Leo Valádez blessé).


L’affiche annonçait une « novillada de luxe ». On se vend comme on peut, et le luxe des uns… Pour une fois, il faisait très beau temps pour un week-end de Pâques et pour une fois aussi ce qui était annoncé était vrai : la novillada envoyée par les héritiers de Baltasar Ibán fut un luxe pour au moins quatre des six novillos, très variés de tamaño et de type. Du laid ‘Camarito’, dont l’échine dorsale s’effondrait en son milieu vers un arrière-train soudanais, au très alluré ‘Peletero’ en passant par le costaud ‘Pilar’, colorado d’ouverture, ce lot de luxe méritait le classique sobriquet de desigual.

La caste les portait, parfois accompagnée d’une bravoure sèche, brute et rebelle ; d’aucuns étaient chargés de sentido, d’autres d’une franche et belle noblesse. Mais aucun ne fut un collaborateur… Du luxe pour amoureux du toro de lidia exigeant. Le luxe des uns…

De lidia il n’y en eut pas, ou si peu, ou si mal : cuadrillas débordées ; bregas catastrophiques (la cuadrilla de Pablo Aguado recevant la palme de l’incompétence) ; faenas indéfiniment entamées par une série de derechazos lointains sans avoir, au préalable, contraint le novillo ; mise à distance nulle pour des astados qui ne demandaient qu’à courir pour exprimer cette caste de tous les instants. J’en passe. À décharge, reconnaissons que bien peu de matadors seraient venus à bout du troisième, ‘Provechoso’, et que le manque d’expérience en piquée de Husson et d’Aguado doit nous inciter à modérer ce qui suit et ce qui précède, d’autant plus qu’ils font partie de ceux qui acceptent de se coltiner les élevages encore sérieux de la cabaña brava.

‘Peletero’ fut combattu en seconde position par Louis Husson et piqué par Gabin Rehabi, dont il faut reconnaître la qualité du travail accompli. Le novillo encaissa trois vraies piques au cours desquelles il s’époumona en poussant comme un fou (la première dura plus d’une minute) et décida qu’il resterait le maître du ruedo, ce que Husson ne parvint jamais à lui contester, lui qui fut incapable de tirer une série correcte à ce moteur 12 cylindres en V.

‘Provechoso’ prit la place de ce grand novillo et imposa d’entrée de jeu, par la violence de ses assauts, une présence dictatoriale. La place était à lui et tout corps étranger devait en être exclu. Le cheval — malade, fragile, faible ? — de Heyral en fit les frais lors de trois batacazos d’anthologie. Les bons toros apprennent vite, et surtout les mauvaises manières. La brega sauve-qui-peut de la cuadrilla en fit un délinquant de grand chemin, le couteau entre les dents. Les délinquants font peur et Aguado eut très très peur, ce qui priva le public d’un combat qu’a priori ‘Provechoso’ annonçait titanesque.

C’est Houellebecq qui l’écrit. Je ne me souviens plus dans quel livre. Les Particules élémentaires. Possible. Il y aurait des hommes exclus des jeux de l’amour et de la séduction, et c’est comme ça. Moches. Tous les goûts sont dans la nature : foutaises.

Quand je les ai vues, quittant la douceur printanière des arènes de Condrette de Mugron, derrière les trois ou quatre représentants de la maréchaussée, elles me regardaient en relevant la tête comme si un fil invisible avait relevé leur cou pour soutenir encore mieux leur fierté affichée sur de risibles pancartes antitaurines (« Joyeuses Pâques les taureaux »). Elles me dévisageaient, droit dans les yeux. J’ai baissé les miens sur le bitume et j’ai accéléré le pas. C’est là que j’ai pensé à ce passage de Houellebecq. En baissant les yeux pour ne pas avoir à les abîmer dans l’observance de ces deux êtres raides comme le manche d’un balai à chiotte, et qui pouvaient avoir été des femmes il y a si longtemps. Abandonnées sur le trottoir de leur vie, moches et flasques. De haine pleines.

J’ai repensé au beau ‘Peletero’ et à ses frères. La saison commence bien. Ça ne sera pas du luxe.

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