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Sociologue, directeur de recherches au CNRS (Centre Méditerranéen de Sociologie, de Science Politique et d'Histoire). https://mesopolhis.fr/membres/mucchielli-laurent/

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Billet de blog 18 octobre 2010

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Et si la vidéosurveillance servait d’abord à faire de la politique ?

Les études scientifiques s'accumulent, prouvant à la fois le peu d'efficacité et le coût exorbitant de la vidéosurveillance. Et pourtant les communes continuent à s'équiper de plus en plus. Comportement irrationnel des élus ?

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Les études scientifiques s'accumulent, prouvant à la fois le peu d'efficacité et le coût exorbitant de la vidéosurveillance. Et pourtant les communes continuent à s'équiper de plus en plus. Comportement irrationnel des élus ? Du point de vue de la performance du dispositif, c'est évident. Mais si cela se développe à ce point, l'effet de mode et les attitudes conformistes ne suffisent pas à l'expliquer. D'autres formes de rationalité sont à l'oeuvre. Il faut donc inverser la question et se demander quelles « bonnes raisons » ont les élus locaux d'agir ainsi. On comprend alors assez vite que, la vidéosurveillance, ça sert aussi, et parfois même avant tout, à faire de la politique auprès de ses électeurs. Nous l'évoquions il y a quelques jours dans une émission de France 3 Languedoc-Roussillon. Il faut ici le montrer exemples à l'appui.

De « bonnes raisons » d'installer la vidéosurveillance sur sa commune

Sachant que le mythe du progrès par la technologie est très répandu et que les élus et leurs services techniques ne sont généralement pas informés de l'existence des critiques scientifiques de la vidéosurveillance, on ne voit pas pourquoi ils y résisteraient. En réalité, deux constats les poussent même fortement à adhérer au dispositif et à le retourner à leur avantage (politique).

Premièrement, il s'agit quasiment d'une injonction de l'Etat qui exerce une très forte pression sur les élus locaux par le biais des préfets bien sûr, mais aussi de la hiérarchie policière et gendarmique sommée en quelque sorte de se transformer en représentant de commerce des marchands de caméras. Ainsi, par exemple, un article du journal Sud-Ouest nous apprend que, jeudi 14 octobre, lors de la séance inaugurale du Conseil intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance de Saint-André-de-Cubzac (commune de 8 500 habitants en Gironde), le sous-préfet a réclamé l'installation de la vidéosurveillance, soutenu par le (nouveau) capitaine de gendarmerie. Le maire (PS) résiste toutefois, persuadé qu'il est (et comme il a raison !) qu'il vaut mieux « renforcer les moyens humains et embaucher un nouveau garde champêtre ».

Deuxièmement, malgré les critiques des associations de défense des libertés publiques, la vidéosurveillance est pour le moment acceptée par la majorité de la population. La plupart des gens y sont assez indifférents, une minorité (à fort sentiment d'insécurité) la soutient même activement (les commerçants, les personnes âgées). Pourquoi donc s'y opposer ? Pourquoi pas, même, ne pas en profiter, récupérer l'idée à son avantage et s'en servir activement auprès de ses électeurs ? C'est ce que les maires sont de plus en plus nombreux à faire.

Quand la vidéosurveillance sert à faire de la politique auprès de ses électeurs

Pour ne fâcher personne, nous prendrons un exemple dans chaque bord politique.
A gauche d'abord. La ville de Montpellier est équipée depuis dix ans de la vidéosurveillance. En 2009, elle comptait 114 caméras, essentiellement dans le centre-ville et dans le quartier de la Mosson où se trouve son grand stade de football. Madame le maire (Hélène Mandroux, PS, qui a succédé à Georges Frèche) compte t-elle développer encore le système ? La tentation de l'usage politique pourrait l'en décider. On le comprend en lisant le communiqué de presse de la mairie publié le 30 septembre, qui dit ceci : « La Ville va étudier l'installation d'une caméra de vidéosurveillance rue des Tilleuls. En marge de son déplacement dans le quartier Hôpitaux-Facultés, Hélène Mandroux a rencontré aujourd'hui, en tête-à-tête, Annick Neumuller, la mère de Ludmilla, assassinée cet été dans le bureau tabac de la rue des Tilleuls. A l'occasion de cette visite, les commerçants du centre commercial La Colombière lui ont également remis une copie de la lettre adressée à la Mairie. Hélène Mandroux les a informés que la Ville mettait à l'étude l'installation d'une caméra dans ce quartier dans le cadre du déploiement de la vidéosurveillance à Montpellier ». A chaque affaire médiatisée, on mettra une caméra ?

A droite maintenant, où certains semblent prêts à tout pour tirer parti de la mode actuelle. Jugez plutôt. Située à une vingtaine de kilomètres au nord de Lyon et au sud de Villefranche sur Saône, voici la commune de Chazay d'Azergues, 4 000 habitants, paisible gros village de la région du Beaujolais des Pierres Dorées. Le magazine Lyon Capitale et le site Rue 89 nous apprennent que le maire, Alain Martinet (UMP), y a fait installer 37 caméras de vidéosurveillance. Avec un taux qui approche donc 1 caméra pour 100 habitants, Chazay d'Azergues se trouve ainsi être désormais la commune la plus vidéosurveillée de France ! Rien ne doit échapper à l'oeil des caméras selon monsieur Martinet, pas même l'école primaire (6 caméras), ni même l'école maternelle (3 caméras) et même pas la crèche que surveillent 6 caméras ! Le système se trouve ainsi poussé jusqu'à la caricature et au ridicule. Pourquoi une telle aberration, sinon parce que ce maire est sans doute persuadé que ses électeurs lui en seront reconnaissants et que c'est donc une bonne opération politique pour lui ?

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