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La recherche compte sur les internautes pour comprendre Facebook

Une application pour Facebook, développée par des sociologues, sensibilise aux données recueillies par l'entreprise et aidera à mieux comprendre le rôle des outils numériques sur les interactions sociales.

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Publié le 12 décembre 2013 à 10h59, modifié le 12 décembre 2013 à 15h36

Temps de Lecture 5 min.

Pour aider la recherche, le profane peut donner au Téléthon, participer à des activités de science participative ou... installer une application pour le réseau social Facebook.

C'est l'ambition d'Algopol, financé par l’Agence nationale de la Recherche et réunissant des laboratoires de l’université Paris 7, de l’Ehess, du CNRS et des entreprises comme Orange ou Linkfluence. Cette collaboration vient de rendre publique un programme original pour aider la recherche à mieux comprendre la sociabilité en ligne. Et en retour pour faire prendre conscience aux participants de tout ce que Facebook sait sur eux. C’est aussi une manière d’interroger la mode du Big data en sciences sociales, en mettant un peu de rigueur scientifique dans les études sociologiques tirées de données numériques.

Une fois l’application installée, l’outil fournit au volontaire, sous forme de carte, une représentation originale de son réseau d’amis (au sens de Facebook), de son interaction avec eux (commentaires, messages publiés, et les fameux «like») et enfin de la dynamique de ce réseau au cours du temps.

Un exemple de carte tirée d'un compte Facebook montrant les proximités entre les membres et l'intensité de leurs interactions.

Sur cette carte, les boules ou nœuds représentent les « amis ». Leur position dans l’espace traduit les proximités entre eux, calculée en analysant les liens d’amitiés entre ces amis. Deux amis du participant seront proches s'ils sont eux mêmes amis sur Facebook. Ce calcul fait apparaître des communautés plus ou moins distinctes (amis d’école, collègues, famille...).

La taille des boules varie avec le nombre d’interactions entre cette boule et le participant. Les nuances de couleur rouge sont propres aux interactions de type «like». Enfin, un curseur permet de voir l’évolution des communautés et leurs interactions dans le temps.

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La première impression est assez frappante voire vertigineuse. «Cela montre une partie de ce que Facebook sait de vous et dont on n’a pas forcément conscience. L’outil sert aussi à re-responsabiliser les utilisateurs sur leurs données personnelles», explique Irène Bastard, qui fait sa thèse au sein des Orange Labs et Télécom ParisTech sous la direction de Dominique Cardon et Dominique Pasquier.

«Les données dévoilent plus que ce que l’on pense», rappelle Eric Fleury, de l’Inria et de l’ENS Lyon, non participant à Algopol mais qui a publié des travaux montrant que la structure d'un graphe colle très bien à la réalité sociale, voire permet d’inférer des traits psychologiques.

Passé le premier choc (et celui qui consiste à voir l’outil « analyser les données » de vos amis), le volontaire peut naviguer et paramétrer sa visualisation de manière à s’approprier son activité numérique : avec qui interagit-on le plus ? Qui on like le plus ? Comment a grossi le réseau ? Avec qui on parle de politique ou de cinéma ?

L’utilisateur est alors invité à partager sa carte (éventuellement en supprimant les noms associés aux noeuds) et à suggérer à ses amis de rejoindre l’expérience. «Cette carte est en quelque sorte une gratification en contrepartie d’un accès aux données. La dimension virale nous permet d’augmenter la collecte», détaille Stéphane Raux, en thèse chez Linkfluence et à Paris 7 sous la direction de Christophe Prieur.

LES DONNEES EXTRAITES DU WEB ONT-ELLES UN SENS ?

De leur côté les chercheurs utilisent ces informations pour répondre à des questions majeures liées à ces nouveaux réseaux sociaux. «Peut-on réellement extraire du sens de la prolifération des traces du web ?», s’interroge le groupe dans un texte résumant leur motivation et sous-entendant que la réponse n’est pas évidemment positive. Ainsi le projet cherchera à estimer la représentativité de ces données numériques par rapport à celles du monde socio-économique réel. Pour cela, en plus des volontaires, les chercheurs ont accès à un panel représentatif de l’institut CSA, ce qui permettra de corriger des biais statistiques dans des analyses tirées des seules données Facebook.

Ils veulent aussi comprendre les spécificités du partage en ligne par rapport au face-à-face. Les participants doivent donc qualifier certains de leurs «amis» (au moins cinq) en indiquant notamment s’ils sont des collègues, des amis, de la famille... Et certains seront invités à répondre à un questionnaire en tête à tête, outil plus classique en sociologie.

Armés de ces informations, les chercheurs espèrent trancher notamment une question encore controversée dite de l’homophilie : le web a-t-il tendance à renforcer les communautés ou à diversifier les échanges et interactions par rapport à ceux de la vie en face-à-face ? Autrement dit, «est-ce que mon réseau Facebook me permet de découvrir des actualités et des groupes de musique que je n'aurai pas vu sinon ?».

«Le consensus sur cette question n’est pas atteint. Des dispositifs techniques ont l’air de favoriser l’homophilie. Quand d’autres phénomènes comme les trolls, la cassent. Après des années de recherche on reste toujours ambivalent sur ce problème», note Antonio Casilli, spécialiste des réseaux sociaux à Telecom Paristech mais non impliqué dans Algopol. Avec son équipe il vient par exemple d’observer la complexité de cette question pour les personnes atteintes de troubles alimentaires.

« NOUS NE SOMMES QU'AU DEBUT DE L'ALGORITHMISATION DE LA VIE COMMUNE »

«Derrière se pose également la question de la nature du web. Est-il toujours horizontal et libertaire ou bien crée-t-il une sur-personnalisation ?», s’interroge Guilhem Fouetillou, l’un des fondateurs de la  société Linkfluence, spécialisée dans l'analyse des réseaux. La neutralité de ces techniques semblent en effet de plus en plus remise en cause ; Google par exemple, ne propose plus depuis longtemps les mêmes réponses à tout le monde. Algopol signifie d’ailleurs «politique des algorithmes», manière de pointer l’absence de neutralité des techniques.

«Il est important de connaître le rôle des dispositifs techniques dans le traitement de l’information. Facebook a des algorithmes pour filtrer et sélectionner les informations qu’il propose dans son fil de nouvelles. On est en droit de s’interroger sur les effets que cela a sur les interactions sociales dans cet espace», ajoute Bernhard Rieder, professeur associé à l’université d’Amsterdam qui a développé un outil de collecte de données sur Facebook à destination des chercheurs, Netvizz. «Sans compter que ces grands réseaux posent le risque d’une monopolisation des connaissances sur les comportements. Nous ne sommes qu’au début de l’algorithmisation de la vie commune», ajoute le chercheur.

Algopol n’est pas le premier outil à se nourrir des données de Facebook et à proposer des visualisations. Netvizz, Friendwheel, Facebook report de Stephen Wolfram, Friendmatrix ou encore Fellows (qui n’est plus actif) en sont des exemples. Mais ces outils ne reposent souvent que sur les liens entre les personnes et pas sur leurs interactions à l’intérieur de Facebook. La dynamique du réseau est également absente. Enfin, à part Netvizz et Fellows, elles ne sont pas destinées à la recherche.

 

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