CRISELes défis et les «mauvaises nouvelles» qui attendent la ministre du Travail

Gouvernement Castex : Les dossiers et les « mauvaises nouvelles » qui attendent Elisabeth Borne, la nouvelle ministre du Travail

CRISETransférée de la Transition écologique, Elisabeth Borne sera au cœur de la crise liée au coronavirus, qui va entraîner une forte hausse du chômage
La nouvelle ministre du Travail, Elisabeth Borne.
La nouvelle ministre du Travail, Elisabeth Borne. - Jacques Witt
Catherine Abou El Khair

Catherine Abou El Khair

L'essentiel

  • Elisabeth Borne devient la nouvelle ministre du Travail.
  • Elle va occuper un poste réputé difficile. Malgré la mise en place du chômage partiel, elle devra répondre de la hausse du chômage, jugée inéluctable.
  • Si la ministre pourra agir contre le chômage à travers le développement des reconversions, elle dispose de peu de leviers pour contrecarrer la hausse du chômage qui se profile. « Il faut avoir le sens du sacrifice, c’est évident. Vous n’avez que des mauvaises nouvelles à annoncer », explique Bertrand Martinot, conseiller à l’Institut Montaigne.

Elle va occuper l’un des postes les plus difficiles de ces prochains mois. Après les Transports et la Transition écologique, Elisabeth Borne vient d’être nommée ministre du Travail par le nouveau chef du gouvernement Jean Castex, au cœur de la crise économique qui se profile.

Elisabeth Borne devra piloter un ministère où la situation s’est complètement retournée. En février dernier, sa prédécesseure, Muriel Pénicaud, se croyait déjà proche du plein emploi, espérant atteindre les 7% de chômage d’ici à 2022. Désormais, la Banque de France s’attend à un taux de chômage grimpant à 11,5% mi-2021.

Vague de faillites et de licenciements

C’est le premier sujet qui attend la nouvelle ministre : les vagues de licenciements malgré un dispositif de chômage partiel sans précédent. « Il faudra éviter un surajustement de l’emploi par rapport aux faillites, qui toucheront des entreprises viables à moyen terme. Or, avec le chômage partiel, l’Etat demande une participation importante des entreprises et il sera difficile d’aller plus loin », explique Frédéric Lerais, directeur de l’Institut de recherches économiques et sociales, un organisme au service des organisations syndicales. Malgré les aides publiques, les projets de suppressions d’emploi se multiplient, dans l 'automobile, l' aérien ou l' aéronautique. Et Bercy trouve déjà que dans leurs plans de départ, les entreprises ont la main un peu trop lourde.

Une position d’autant plus délicate à tenir, selon Frédéric Lerais, que le gouvernement a, depuis 2017, développé « une palette de dispositifs pour faciliter les séparations entre entreprises et salariés ». Mis en place par les ordonnances Macron, le plafonnement des indemnités prud'homales en cas de licenciement abusif permet de licencier à des coûts contrôlés. De leur côté, les ruptures conventionnelles collectives permettent de supprimer des emplois en cas d’accord avec les syndicats, sans en passer par un plan social médiatiquement peu valorisant. « L’Etat a décidé que c’était à la négociation collective [c’est-à-dire aux entreprises et à leurs syndicats] de régler les choses », résume Frédéric Lerais.

Eviter les plans sociaux massifs

Si une hausse des licenciements est à redouter, de quelle ampleur sera-t-elle ? Economiste à l’Institut Montaigne, think tank libéral, Bertrand Martinot souligne que les entreprises auront « énormément de souplesse pour négocier des accords innovants sur le temps de travail, la rémunération ou l’emploi, qui n’existaient pas en 2008-2009 ». Reste à savoir si les accords de performance collective, qui permettent de tels compromis et sont loin de faire l'unanimité, seront utilisés. « Les partenaires sociaux auront une responsabilité historique pour faire soit de la flexibilité interne, soit se débarrasser des sureffectifs comme on l’a trop souvent fait par le passé en France ».

Un sujet sur lequel Emmanuel Macron a adressé un avertissement dans son interview accordée à la presse régionale. « Nous devons collectivement rompre avec ce qui est la maladie française : la préférence pour le chômage. Le modèle français classique, c’est d’accepter des plans sociaux massifs, ensuite d’avoir un système très généreux qui les indemnise. Au fond, un modèle qui fait que nous n’avons jamais réglé le problème du chômage de masse ».

Réforme de l’assurance chômage

Mais pourra-t-il en être autrement ? C’est justement sur l’adoucissement des règles de l'assurance chômage que le gouvernement est attendu au tournant. Les organisations syndicales militent pour revenir sur cette réforme lancée en 2018. C’est selon eux une nécessité, compte tenu de la crise économique qui frappe déjà les actifs précaires. Pour l’instant, Emmanuel Macron n’a pas encore officialisé un arbitrage qui lui demande de faire marche arrière sur ses propres réformes. Depuis novembre 2019, les conditions pour ouvrir ses droits à indemnisation ont été durcies ; quant à la réforme du calcul de l’indemnisation chômage, elle a été reportée d’avril à septembre 2020.

Or le nombre de demandeurs d'emploi commence déjà à augmenter. D’ici à la fin de 2020, avec des entreprises dont la trésorerie est contrainte, l’Unédic s’attend à la destruction de 900.000 emplois salariés et l’indemnisation de 650.000 chômeurs supplémentaires. « Il y aura de nombreux chômeurs et un déficit de l’assurance chômage important. Ce n’est pas la période pour faire des économies budgétaires, d’autant que ce qui est marquant avec cette réforme, c’est qu’elle touche les jeunes, ceux qui enchaînent les CDD. Socialement, c’est très risqué », estime Frédéric Lerais, de l’Ires.

« La réforme devait avoir pour effet de diminuer les droits des personnes qui enchaînaient les contrats courts et les périodes de chômage et qui, parfois, refusaient d’accepter des CDI. Sauf que maintenant, on va plutôt inciter à reprendre le travail quoi qu’il arrive. De ce point de vue, je ne suis pas sûr que la réforme soit adaptée. Le gouvernement ne peut pas se montrer inflexible sur ce sujet », explique de son côté Bertrand Martinot.

Reconversion des demandeurs d’emploi

Comment aider, enfin, les demandeurs d’emploi qui viennent de perdre leur travail ou ceux qui ne parviennent à en retrouver un nouveau ? Le sujet devrait occuper Elisabeth Borne ces prochains mois.

« Le sujet, ce sera la formation au sens très large. Il faudra être pris en main par des professionnels pour être orientés, avoir des formations bien ciblées et innovantes. Les reconversions vont être lourdes car il faudra passer d’entreprises qui débauchent à des entreprises qui recrutent. Or on est historiquement très mal équipé pour ce genre de choses. Avec l’Etat, Pôle emploi, les régions, les partenaires sociaux, chacun est dans son silo et tout n’est pas coordonné », estime Bertrand Martinot, qui fut entre 2008 et 2012 directeur général de l’emploi et de la formation professionnelle.

Surveiller l’emploi des jeunes

A ces nouveaux chômeurs s’ajoutent les jeunes, encore plus fragiles dans un contexte de crise et dont le gouvernement a commencé à s’occuper. Des aides pour éviter au maximum la chute de l'apprentissage ont été déjà annoncées. Des annonces sont attendues pour inciter les entreprises à l’embauche de jeunes, soit sous la forme d’une prime à l’embauche soit d’une exonération de cotisations salariales.

En revanche, le retour des emplois aidés est a priori exclu. Ces contrats massivement utilisés par les gouvernements précédents ont été qualifiés d'«impasses» par le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire. Ils étaient, selon l’exécutif, trop coûteux par rapport à leur efficacité. En attendant, les parcours emplois compétences – la nouvelle version des emplois aidés, beaucoup plus sélective - ont diminué de 64 % entre mars et juin 2020, par rapport à la même période l’année dernière.

Le poste « le plus pénible du monde »

« Le ministère du Travail essaiera de renforcer les dispositifs de soutien à la formation. C’est toujours ça de pris. Mais ce n’est pas une solution à court terme. L’enjeu majeur n’est pas là, mais dans les mesures de soutien à l’économie. En cas d’austérité budgétaire, la ministre du Travail sera en grande difficulté. Il faudrait qu’elle ait un droit de regard et de discussion sur la politique économique, sinon ce sera le poste le plus pénible du monde », rappelle Frédéric Lerais.

« Le moteur de la croissance qui risque de s’effondrer, c'est l'investissement. Or tous les prévisionnistes prévoient son effondrement à cause de l’incertitude, de la dégradation des bilans », avertit Bertrand Martinot. Il juge donc la hausse du chômage difficilement évitable. « Malheureusement, la destruction d’emplois va faire partie de la résolution de la crise. Plus la crise est profonde, plus les structures productives se modifient », juge le conseiller de l’Institut Montaigne.

De quoi rendre ce poste ministériel, le troisième pour Elisabeth Borne sous l’ère Macron, particulièrement exposé aux critiques. « Il faut avoir le sens du sacrifice, c’est évident. Vous n’avez que des mauvaises nouvelles et la seule chose que vous pouvez dire, c’est que ça aurait été pire si vous n’aviez rien fait ».

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