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Michael Cross : "Les données publiques doivent pouvoir être réutilisées librement"

Dans un chat sur Le Monde.fr, Michael Cross, responsable de la campagne "Free our data", raconte pourquoi le gouvernement britannique rend publiques de plus en plus d'informations.

Par Chat modéré par Laurent Checola et Damien Leloup

Publié le 01 juillet 2010 à 12h33, modifié le 01 juillet 2010 à 12h33

Temps de Lecture 5 min.

Michael Cross est journaliste au Guardian et l'un des responsables de la campagne "Free our data", qui milite pour davantage de transparence et une plus large diffusion des données publiques. Il est l'un des invités de la conférence Lift France, dont la dixième édition se déroulera à Marseille la semaine prochaine.

Guest : Qu'appelez-vous "données publiques" ? Y incluez-vous également les données fiscales ? judiciaires ?

Michael Cross : Notre définition des données publiques englobe toutes les données créées par des administrations dans le cadre de leurs missions. Ce sont principalement les données géographiques ou météorologiques, mais oui, cela peut aussi inclure des données financières ou juridiques.

Kerenn : On a beaucoup parlé des notes de frais des députés britanniques, mais comment peut-on y avoir accès au Royaume-Uni ?

La loi britannique est très claire sur l'accès aux données. Grâce au Freedom of Information Act, tout citoyen peut demander accès à la plupart des documents, même si les autorités se démènent pour protéger leurs secrets les plus embarrassants. Le plus dur, c'est d'avoir l'autorisation de réutiliser ces données.

En théorie, les données du gouvernement sont soumises au "copyright de la Couronne", et sont la propriété de la reine, qui pose des conditions strictes à leur reproduction et à leur réutilisation. Cependant, en partie grâce à la campagne que nous avons menée au Guardian, le gouvernement a assoupli les règles pour qu'il soit possible, au moins en principe, de réutiliser ces informations.

La bataille pour l'accès aux notes de frais des députés a été conduite par ma collègue Heather Brooke, qui est l'une des héroïnes du mouvement pour la librerté d'information. En résumé, elle a dû se battre contre les autorités parlementaires (qui estimaient que ces données étaient leur propriété) jusqu'aux plus hautes instances judiciaires. Après une très longue bataille, les tribunaux lui ont finalement donné raison, mais, alors que ces informations devaient être expurgées avant de lui être remises officiellement, une fuite a eu lieu et un fichier contenant toutes les notes de frais a été remis au Daily Telegraph, qui a commencé à les publier.

Les autorités du Parlement ont compris que la partie était finie – notamment parce qu'il y avait des révélations embarrassantes – et a accepté de publier les notes de frais. D'autres administrations ou entités publiques comme la BBC suivent maintenant leur exemple. Le nouveau gouvernement, élu en mai, s'est aussi engagé à plus de transparence, par exemple en publiant les salaires des hauts cadres de l'administration.

Choco : Est-il plus facile au Royaume-Uni d'avoir accès à des documents administratifs qu'en France ou que dans d'autres pays européens ?

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D'après ce que je comprends de ce que disent mes collègues en Europe, la situation en Grande-Bretagne sur l'accès et la réutilisation des données est meilleure que dans le reste de l'Europe. Certains pays d'Europe du Nord sont en avance, tandis que d'autres pays sont particulièrement exigeants sur les conditions de réutilisation des données.

Par exemple, j'ai appris récemment que dans un pays du centre de l'Europe, les données météorologiques sont toujours soumises au secret défense ! Je ne suis pas un spécialiste de la situation en France, mais j'ai rencontré des représentants du ministère de l'économie l'an dernier, et j'ai eu l'impression qu'ils avaient peu de sympathie pour l'idée de rendre publiques leurs données économiques. J'ai également cru comprendre qu'il y avait un débat autour des données de l'Institut géographique national (IGN).

Khenny : Ne trouvez-vous pas que la confidentialité de certaines données assure justement la sécurité du citoyen lambda ?

Bonne question. Quand nous avons commencé la campagne "Free our data", nous nous sommes concentrés sur tout ce qui ne contenait pas d'informations personnelles. Des problèmes liés au respect de la vie privée demeurent. Les "cartes du crime" [voir celle de Londres], par exemple, posent problème : je pense que la plupart des victimes de cambriolages préfèrent que leur adresse ne soit pas publiée !

Les données médicales, celles des hôpitaux, posent des questions extrêmement complexes. Le gouvernement a accepté de publier certaines données très sensibles, comme les taux de mortalité des patients de chirurgiens clairement identifiés : cela a créé une controverse. De telles questions doivent être débattues publiquement : une part de notre campagne porte sur la transparence du processus de décision qui aboutit à la publication – ou à la non-publication, pour de bonnes raisons – de tel ou tel type de données.

Marc : Une fois qu'on a accès à ces données publiques, que peut-on en faire ?

La réponse courte, c'est "ce que vous voulez" (dans le respect, bien sûr, de la présomption d'innocence, des lois sur la diffamation…) ! Nous nous sommes rendu compte que quand vous donnez de grandes quantités de données à des gens créatifs, ils font des choses créatives avec.

Voici un exemple simple : c'est une carte mise à jour en temps réel de la position de tous les trains sur le réseau – célèbre pour sa ponctualité – de British Railways [les chemins de fer britanniques connaissent fréquemment d'importants problèmes de retard]. Il se passera des choses encore plus intéressantes lorsque les citoyens commenceront à véritablement mélanger les données en provenance de différentes sources, ce que même le gouvernement a encore du mal à faire.

Régis B. : Dans un pays démocratique, quelles sont les étapes à franchir par les institutions nationales pour parvenir à une libération des données ? Sont-elles d'ordre juridique, sont-elles profondément structurelles, ou la libération des données résulte-t-elle simplement d'un changement de comportement de la part des institutions concernées ?

Très bonne question. Je pense que c'est principalement une question de culture. Dans les administrations, il y a toujours une crainte : celle d'avoir plus d'ennuis en rendant publiques par erreur des données qu'en en conservant à tort. Donc la position par défaut des administrations est toujours une très grande prudence.

Je crois que cela ne peut être changé qu'en partant du sommet de la hiérarchie. Nous avons eu deux premiers ministres de suite, de partis opposés, qui se sont positionnés en faveur de l'ouverture des données, et qui ont nommé des personnalités reconnues, comme Tim Berners-Lee, pour promouvoir cette cause. Cela a un impact sur les positions officielles. La création du site officiel Data.gov.uk, basé sur son équivalent américain, a aussi été d'une grande aide.

Khenny : Ne pourrait-il pas y avoir un détournement de ces informations pour des objectifs commerciaux ? Je pense particulièrement aux publicitaires, qui pourraient alors cibler les consommateurs les plus vulnérables… Dans notre société de consommation surendettée, cela pourrait poser problème.

Plus largement, c'est bien sûr une question de philosophie politique. A mon avis – qui n'est pas nécessairement celui de mes collègues – les données publiques doivent pouvoir être réutilisées aussi de manière commerciale, même par des entreprises que nous n'aimons pas, et pour des buts que nous n'approuvons pas. Si ces pratiques commerciales posent problème, c'est à ces pratiques que l'Etat devrait s'attaquer directement.

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