Isaac Getz, professeur en innovation à l’ESCP, a reçu le prix Syntec Conseil en management pour avoir décrypté "une forme d’organisation des entreprises peu répandue mais qui permet aux sociétés d’afficher des résultats supérieurs à leurs concurrentes". Ce mode d’organisation qu’il appelle "Liberté SA" (Freedom Inc. en anglais) est censé favoriser l’auto-motivation des salariés. L’idée du chercheur étant que "des employés responsables et libres de décider sont plus productifs". Les entreprises ainsi organisées sont plus performantes ou plus rentables que leurs concurrentes, notamment grâce au surcroît d’implication des employés et à la réduction de l’absentéisme, selon lui.

Capital.fr : Vous avancez qu’une certaine forme d’organisation permet de libérer la créativité et l’initiative dans l’entreprise. Quelle est-elle?
Isaac Getz : La "Freedom Inc." prend des formes différentes en fonction de l’histoire et du secteur de l’entreprise. Ainsi, Favi, le fournisseur de boîtes de vitesses basé dans la Somme, Gore, le fabricant américain du Gore-Tex, Harley Davidson, le constructeur américain de motos ou Bretagne Ateliers, le sous-traitant industriel basé à Rennes, n’ont pas adopté la même matrice mais sont toutes des organisations "Freedom Inc.".

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Elles partagent des points communs : il n’y a pas de hiérarchie pyramidale ; les managers n’ont pas un rôle de contrôle, mais sont des « leaders » au service des autres ; les symboles des privilèges de la hiérarchie ont été bannis : il n’y a pas, par exemple, de parking réservé pour la direction ou de bureau particulier pour les chefs ; les salariés sont tous traités avec les mêmes égards ; les salariés sont libres de décider de leurs actions dans leur périmètre de responsabilité.

La mise en place de ce type d’organisation implique un profond bouleversement. L’entreprise ne peut pas se contenter de faire des discours vagues ou de tapisser les murs avec des valeurs inventées. Les dirigeants doivent adopter un comportement au quotidien qui respecte des engagements précis.

Capital.fr : Comment une PME française peut-elle s’organiser sur ce modèle pour améliorer ses performances ?
Isaac Getz : C’est compliqué et cela prend du temps. Au moins trois ans pour une start-up, et à peu près dix ans pour une entreprise qui compte 3000 salariés. Il s’agit de construire une structure qui va à l’encontre de la tradition bicentenaire d’organisation des entreprises. Vous allez donc vous heurter à la résistance des managers qui pensent leur fonction en tant que contrôleurs et se voient en gardien des procédures.

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Il n’y a que le numéro un de l’entreprise qui peut mener une telle révolution, car il doit être totalement libre. La première chose que cette personne doit faire est de changer son propre comportement. Il doit arrêter de dire aux gens comment ils doivent faire leur travail, s’interdire de décider et de proposer des solutions à la place des autres. C’est très difficile. Si quelqu’un vient vous voir et vous demande : "comment dois-je faire ?", il faut lui répondre : "Ecoutez, je vous ai recruté car vous êtes le plus compétent pour ce poste…donc quelle est votre solution ?".

Il ne faut surtout pas se substituer à l’individu qui a un problème, car si vous ne lui faîtes pas confiance, vous ne lui permettez pas de se développer. Une fois que vous avez démarré, ce genre de comportements va se diffuser à une partie des managers. Il faudra, bien sûr, les accompagner, les former et leur expliquer pourquoi l’entreprise ne peut fonctionner avec un cerveau ou même dix, mais doit tourner avec l’ensemble des cerveaux. Dans cette étape on ne peut pas faire d’à peu près. Il ne faut pas commettre un seul faux pas car une majorité des salariés risquent alors de ne plus croire en vos intentions. Par exemple, si vous pénalisez une personne qui a pris une initiative n’ayant pas apporté les résultats escomptés, c’est terminé.

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Capital.fr : À partir de quel moment l’entreprise devient-elle une "Freedom Inc." ?
Isaac Getz : Quand 70% des salariés commencent à prendre des initiatives spontanément, c’est gagné. Cela veut dire qu’ils ont été convaincus qu’ils ne sont pas uniquement un petit rouage dans une énorme machinerie. Les équipes marchent toute seules, sans attendre le chef. Par exemple, si un client appelle une usine et qu’il a un problème, la personne qui répond ne va pas lui dire "attendez, il faut voir le chef, nous on ne fait que fabriquer".

Il va considérer que c’est à lui d’apporter une réponse au problème. Cette forme d’organisation est quelque chose qui s’entretient. Le patron doit devenir le gardien de cette culture, tous les jours faire ses tournées et demander aux salariés : "Est-ce que vous avez besoin de quelque chose (pour faire encore mieux votre travail) ?" Enfin, j’ajouterai qu’il faut une cohérence par rapport aux objectifs. L’organisation "Freedom Inc." est réservée aux entreprises qui ambitionnent de faire partie des meilleures au monde, sinon ce n’est pas la peine, cela ne marchera pas. Il faut une vision très ambitieuse pour motiver les gens. Si c’est uniquement pour jouer le maintien, ils vont faire le minimum syndical.

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Propos recueillis par Pierre-Alban Pillet

NB : Isaac Getz, professeur de Management des Idées, de l'Implication et de l'Innovation à ESCP Europe, a reçu le Prix académique Syntec Conseil en Management, dans la catégorie Management/ Ressources Humaines/ Organisation pour son article : “Liberating leadership : how the initiative-freeing radical organizational form has been successfully adopted”, California Management Review.

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