Les défaites informationnelles de Veolia et d’Alstom
Les groupes industriels français n’échappent pas aux effets indirects de la guerre de l’information qui sévit dans le monde économique. Force est de constater que ces groupes subissent plus qu’ils n’agissent dans un domaine qui devient stratégique. Les relais diplomatiques et les actions de lobbying classiques ne suffisent plus pour faire face à des attaques insidieuses dont les auteurs ne sont pas toujours les chevaliers blancs qu’ils prétendent être.
Pour avoir été sélectionné pour la construction du tramway reliant Jérusalem Est à Jérusalem Ouest, Véolia et Alstom se sont retrouvés au centre d’une polémique d’envergure où les enjeux financiers sont nombreux et dont le dénouement se joue actuellement devant la justice française.
Rappelons les faits. En 2000, le gouvernement Israélien et la ville de Jérusalem lance un appel d’offre pour la construction d’un tramway pour fluidifier la circulation dans la ville. Rapidement une polémique éclate autour des sociétés retenues pour ces travaux. Le tramway doit en effet relier le centre de Jérusalem à des colonies israéliennes situées sur des territoires palestiniens annexés depuis la guerre des six jours et au demeurant jamais reconnus par la communauté internationale.
Alstom et plus encore Véolia, qui détiennent à eux deux 25% du capital de la société City Pass titulaire du marché, sont la cible d’ONG internationales de défense des droits de l’homme. Une campagne de boycott est diligentée contre les deux entreprises françaises. Toutes deux ont subi de nombreux revers économiques à la suite à cette campagne informationnelle. L’ONG suédoise Diakonia a entrepris une campagne de dénigrement à l’encontre de Véolia alors qu’elle postulait pour le renouvellement d’un marché de 1,9 milliards d’euros relatif à la gestion du métro de Stockholm. A grand renfort de communiqués de Diakonia, repris dans la presse française (blog du diplo) et surtout palestinienne Véolia a été écarté de ce marché. Bien que l’autorité des transports publics municipaux de Stockholm s’en défende la décision de ne pas retenir Véolia n’est pas sans lien avec la controverse liée à la construction de ce tramway dont les médias suédois se sont fait l’écho lors de l’examen des offres.
Véolia et Alstom font aussi les frais de la campagne de boycott contre Israël au lendemain de la guerre menée dans la bande de Gaza du 27 décembre 2008 au 18 janvier 2009. Si le boycott des marchandises constitue la forme la plus médiatisée, la composante « désinvestissement » adressée aux entreprises et aux sociétés qui travaillent au Proche-Orient commence à donner des résultats. En raison de leur participation à la construction du tramway de Jérusalem et sur le critère d’exigence d’investissement « socialement responsable », l’ASN Bank, institution financière néerlandaise a exclu Véolia Transport de son portefeuille de fond de pension. Le groupe Alstom a, quant à lui, été exclu du fond de pension suédois AP7 pour les mêmes griefs. Par ailleurs, Véolia n’a pas été retenu dans d’autres appels d’offres auxquels elle soumissionnait : gestion des déchets urbains de Bordeaux (750 millions d’Euros) ou exclusion par le conseil municipal de Sandwell (Royaume-Uni) d’un contrat de d’un milliard de livres pour la collecte et le recyclage des déchets. Mais, il n’a jamais été fait mention explicitement par ces deux communes d’une relation entre leurs décisions et les travaux de Véolia en Israël. L’apparition du concept de « sociétés éthiquement et socialement responsable » va désormais être un facteur encore plus déterminant pour la conclusion de contrat.
Concomitamment à ces manœuvres de déstabilisation et s’appuyant sur la convention de Genève de 1949 et sur une résolution de l’ONU sur l’annexion des territoires palestiniens, une plainte est déposée en 2007 par l’Association France Palestine Solidarité (AFPS) demandant l’annulation du contrat et donc l’arrêt de travaux. Selon cette ONG, ce contrat reconnaît implicitement l’annexion de Jérusalem Est par Israël et est donc de fait illicite. Malgré les arguments déposés par Véolia Transport et Alstom, le tribunal de grande instance de Nanterre a reconnu dans son jugement du 15 avril 2009 que « l’AFPS pouvait valablement intenter une action contre les sociétés françaises incriminées, car l’exécution du contrat en cause porte atteinte aux intérêts collectifs qu’elle défend ». Alstom a fait appel de cette décision qui a été confirmé par la cour d’appel de Versailles le 22 décembre dernier.
Cet épisode judiciaire marque très certainement la fin d’une époque où certaines entreprises acceptaient des contrats tous azimuts sans se soucier des acteurs locaux. A l’heure où le monde entier communique sur tout, une attention toute particulière devra maintenant être conduite sur les répercussions économiques que pourront engendrer ces erreurs d’appréciation sur les attaques informationnelles. Il serait souhaitable que les groupes français intègrent un peu plus la dimension opérationnelle de l’intelligence économique dans leurs études pour la réalisation de contrats dans une zone sensible.
Nicolas Bourguignat (Ecole de Guerre Economique)
Christian Harbulot (Directeur de l’EGE et directeur associé du cabinet Spin Partners)
Sources :
http://www.monde-diplomatique.fr/2009/09JACKON/18102
http://www.france-palestine.org/article13420.html
http://www.diakonia.se/sa/node.asp?node=2807
http://blog.mondediplo.net/2009-01-22-Tramway-de-Jerusalem-Veolia-sanctionne-en-Suede
http://www.france24.com/fr/20091109-boycott-tramway-j%C3%A9rusalem-ONG-veolia-alstom
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