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Cybercriminalité : la géocalisation comme preuve numérique

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    La géolocalisation est en effet utilisée pour certaines missions d’investigation des services de police et de gendarmerie. (geralt/Pixabay)
  • Dans le contexte de lutte contre la cybercriminalité et de la constitution de preuves, la géolocalisation vient enrichir les indices numériques déjà disponibles. Un encadrement juridique est attendu.

    La preuve est aujourd’hui confrontée à la recherche d’indices numériques pour caractériser des infractions compte tenu d’une dématérialisation croissante des échanges et du développement de la cybercriminalité (1). Le législateur a ainsi adapté les moyens procéduraux au monde numérique avec non seulement les perquisitions informatiques, les interceptions de communications électroniques, les réquisitions informatiques, mais aussi l’infiltration numérique et la captation de données à distance. Ces dispositifs intrusifs et attentatoires à la liberté sont encadrés par la loi. Tel n’est pas encore le cas de la géolocalisation qui est une technologie permettant de déterminer la localisation de façon plus ou moins précise d’un objet ou d’une personne par le biais d’un système GPS ou d’un téléphone mobile.

    La géolocalisation est en effet utilisée pour certaines missions d’investigation des services de police et de gendarmerie. Le nombre des balises posées sur un véhicule, estimé à environ 4 600 en 2011, dépassait 5 500 en 2012, soit une croissance de près de 25 % en un an. S’agissant de la géolocalisation par des téléphones portables, le chiffre est passé approximativement de 1 000 à 3 000 utilisations en 2009 à 20 000 utilisations environ en 2013, dont 70 % seraient ordonnées au stade des enquêtes préliminaires. La géolocalisation qui est aussi utilisée pour protéger les salariés en entreprise (2) ; est un outil qui peut faire l’objet de dérives conduisant à des atteintes aux libertés individuelles qu’il convient de préserver.

    Cependant si la géolocalisation sera prochainement encadrée juridiquement ; elle sera soumise au contrôle du juge au plan judiciaire, et non pour la géolocalisation administrative prévue par la récente loi de programmation militaire.

    1. La géolocalisation judiciaire : une ingérence dans la vie privée

    Il convient de rappeler qu’en 2010 (3) la Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée sur la compatibilité d’une surveillance par GPS et les dispositions de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Conv. EDH). Ceci dans le cadre d’une enquête pénale. Dans sa décision, la Cour a tout d’abord relevé que les autorités d’enquête avaient véritablement « pisté » les déplacements du requérant en public. Ce qui l’a amenée à conclure à l’existence d’une ingérence dans la vie privée de l’intéressé, telle que protégée par l’article 8 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

    La Cour a vérifié que cette ingérence était bien « prévue par la loi » au regard des dispositions du code de procédure pénale allemand. Elle a relevé que la surveillance était réalisée dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de la prévention des infractions pénales en matière de terrorisme de la protection des droits des victimes. Elle en a déduit que la surveillance était proportionnée aux buts légitimes poursuivis et donc « nécessaire dans une société démocratique ».

    Dans deux arrêts en date du 22 octobre 2013 (4), la Chambre criminelle de la Cour de cassation indique qu’il se déduit de l’article 8 de la CEDH que la technique dite de géolocalisation constitue « une ingérence dans la vie privée dont la gravité nécessite d’être ordonnée sous le contrôle d’un juge » garant du respect des libertés individuelles. La Cour de cassation casse et annule uniquement la géolocalisation prescrite durant l’enquête préliminaire et non pas durant l’instruction dans le cadre de laquelle d’autres mesures de surveillances ont été ordonnées sous le contrôle d’un juge d’instruction.

    Exigence du contrôle du juge

    Le rôle du juge comme garant de la protection des libertés individuelles est clairement réaffirmé. On remarquera cependant que la Chambre criminelle vise non pas seulement l’article 8 §1 de la CEDH. Celle-ci énonce que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». Elle vise l’article 8 dans son intégralité, c’est-à-dire aussi le 8 §2. Il dispose « qu’il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ». La Chambre criminelle souligne ainsi l’exigence du contrôle du juge pour toutes les mesures intrusives à caractère occulte visant à rechercher des éléments de preuves numériques, contrôle inexistant au stade de l’enquête préliminaire, ce qui explique la cassation (5).

    Projet de loi

    L’article 230-32 du projet de loi relatif à la géolocalisation prévoit qu’il peut être recouru à tout moyen technique destiné à la localisation en temps réel. Cela sur l’ensemble du territoire national, d’une personne, à l’insu de celle-ci, d’un véhicule ou de tout autre objet, sans le consentement de son propriétaire ou de son possesseur. Ceci vaut si cette opération est exigée par les nécessités d’une enquête ou d’une instruction relative à des infractions punies d’au moins cinq ans d’emprisonnement pour les délits d’atteinte aux biens, de trois ans pour les délits d’atteinte aux personnes, de recel de criminels ou d’évasion et de cinq ans pour les délits douaniers. Le parquet pourra autoriser la géolocalisation pour une durée de 15 jours. En cas d'urgence, un officier de police judiciaire pourra décider d’une géolocalisation, sous réserve d’une autorisation a posteriori dans un délai de 24 heures du procureur. Ce texte est soumis au Conseil constitutionnel qui va se prononcer très prochainement.

    2. La géolocalisation dans le cadre administratif

    La loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 (8) relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale (6) prévoit l’accès des services de renseignement de l’État aux informations ou documents ainsi qu’aux données de connexion et de localisation. À cette acception très large des données pouvant être collectées, s’ajoutent des moyens élargis pour y accéder. L’accès à ces données, qui seront transmises en temps réel, sera effectué sur « sollicitation du réseau ». Enfin, le texte étend les finalités à la sécurité nationale, la sauvegarde du potentiel économique, la prévention du terrorisme et de la criminalité organisée et les destinataires de ces données peuvent être des membres des ministères de l’Intérieur, de la Défense et de l’Économie et du Budget ce qui est large.

    Il convient de préciser que la loi de programmation militaire a été promulguée, en l’absence de dépôt d’une saisine du Conseil constitutionnel, signée par au moins 60 députés ou sénateurs contrairement au projet relatif à la géolocalisation dans un cadre judiciaire. L’article 20, applicable au 1er janvier 2015, devra faire l’objet de décrets d’application qui seront soumis à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) qui a souligné les risques du texte sur les atteintes à la vie privée.

    3. perspectives

    La recherche d’un équilibre entre loyauté de la preuve et recherche de la vérité, d’une part, entre protection de la vie privée et de l’ordre public, d’autre part, est aujourd’hui essentielle afin de garantir un procès équitable en préservant les droits de chacune des parties. Ce fil conducteur est primordial, mais parfois complexe à mettre en oeuvre et il ne faudrait pas que la technique prenne le pas sur le droit. Comme le souligne le professeur de droit Denys de Bechillon (7) « les principaux “progrès” à espérer désormais dans la genèse de droits et libertés sont à accomplir au prix du doute, de l’hésitation, de l’expérimentation, et donc du repentir possible ».

    Myriam Quéméner
    [Avocat général près la Cour d’appel de Versailles, membre de l’Adij]

     

    (1) M.Quéméner ; Y.Charpenel , « Cybercriminalité , droit pénal appliqué », Economica 2010
    (2) M.Quéméner « La géolocalisation : un outil de protcetion ou de surveillance ? » Revue du CDSE Sécurité et Stratégie n° 15, février 2014, p.11 et s.
    (3) CEDH 2 sept. 2010, n° 35623/05, Uzun c/ Allemagne, D. 2011. 724, obs. S. Lavric, note H. Matsopoulou ; RSC 2011. 217, obs. D. Roets.
    (4) Crim. 22 oct. 2013, n° 13-81.945, D. 2013. 2525et Crim. 22 oct. 2013, n° 13-81.949
    (5) M Quéméner, la procédure pénale à l’épreuve de la géolocalisation, Dalloz, AJ Pénal 2013, p. 568
    ​(6) Article 20
    (7) Denys de Béchillon « Renouveler les libertés ? », Pouvoirs 3/ 2009 (n° 130), p. 143-149. www.cairn.info/revue-pouvoirs- 2009-3-page-143.htm.DOI : 10.3917/ pouv.130.0143

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